lundi 24 mai 2010

INTERVIEW - M. Pettis : « Il y a un risque de guerre commerciale »

Le Figaro, no. 20468 - Le Figaro Économie, lundi, 24 mai 2010, p. 18

ÉCONOMISTE américain, chercheur à la Carnegie Endowment for International Peace, Michael Pettis enseigne actuellement la finance dans la prestigieuse Université de Pékin.

LE FIGARO. - Après les tensions sino-américaines de cet hiver, l'heure semble être à la détente. Ce climat est-il durable?

Michael PETTIS. - Non. Le problème est que le monde a toujours besoin de sérieux ajustements entre les États-Unis et les pays d'Europe à fort déficit commercial d'une part, le Japon, l'Allemagne et la Chine d'autre part. Et il y a un conflit inhérent à ces différentes positions. Les États-Unis ont besoin d'un ajustement rapide, à cause des sérieux problèmes de chômage. Mais l'Allemagne, le Japon et la Chine ne sont pas en position de s'ajuster si rapidement, et ont besoin probablement de huit ou dix ans. Ces deux vitesses, ces deux calendriers forcément différents, ne peuvent que générer un grand nombre de conflits.

Le risque de guerre commerciale n'est donc pas écarté?

Je serais énormément surpris et encore plus impressionné si toutes les grandes économies étaient capables d'agir avec la responsabilité et la maturité nécessaires pour éviter une guerre commerciale. Pour le moment, je n'ai vu aucun pays agir de cette façon.

Pékin affirme que les États-Unis souffriraient plus que la Chine d'une guerre commerciale...

Cette affirmation défie le sens commun et viole tous les précédents historiques, quand le regain des tensions commerciales coïncide avec une contraction de la demande globale. Ce sont les pays à excédents commerciaux qui souffrent le plus. Regardez les États-Unis à la fin des années 1920 ou le Japon à la fin des années 1980. Il est difficile de prétendre que la décennie qui a suivi pour eux était agréable à chaque fois...

La consommation intérieure chinoise est-elle réellement en train de décoller?

Elle croît en effet, mais un rééquilibrage exige que la consommation augmente plus vite que le PIB de plusieurs points chaque année. Ce n'est clairement pas le cas. Amener la consommation à une part raisonnable du PIB sera extrêmement difficile pour la Chine, et prendra de longues années.

Pensez-vous qu'un ajustement chinois peut satisfaire les attentes urgentes de Washington vis-à-vis de Pékin?

Oui, mais temporairement. À plus long terme, le problème n'est pas le niveau de la monnaie mais plus le niveau de déficit commercial américain en des temps de fort chômage. Si les effets d'un yuan qui s'apprécie sont contrés par une baisse des taux d'intérêts réels, le surplus chinois restera très haut. Et à moins que le chômage américain baisse rapidement, ce qui je pense n'arrivera pas, les tensions commerciales referont surface. En fait, comme les effets de la crise européenne se feront sentir sur les équilibres mondiaux toute l'année prochaine, je pense que les tensions commerciales seront encore plus fortes. Mais c'est une erreur de voir les tensions commerciales sino-américaines comme les plus aiguës. En fait, elles sont encore plus fortes entre la Chine et d'autres pays asiatiques, même si moins visibles. La raison pour laquelle la relation entre la Chine et les États-Unis est si importante, c'est que si les Américains sont vus comme s'engageant dans un fort protectionnisme, le reste du monde prendra cela comme un feu vert.

PHOTO - A board at the New York Stock Exchange displays the Dow Jones Industrial Average soon after the closing bell, May 20, 2010. U.S. stocks sank nearly 4 percent on Thursday on growing fears the euro zone's efforts to tackle its sovereign debt crisis will fall short, jeopardizing the global economic recovery.

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