Pékin souhaite ramener Kim Jong-il à la table des négociations sur le nucléaire.
Le dirigeant étranger voyageant le moins au monde est arrivé hier en Chine. Le « cher leader » nord-coréen aurait passé la frontière chinoise hier peu avant l'aube, à bord de son train spécial, et il se trouverait dans la cité portuaire de Dalian, dans le nord du pays. Il s'agit du premier déplacement à l'extérieur du pays de Kim Jong-il depuis l'accident cérébral dont il a été victime à l'été 2008. Son dernier voyage en Chine remonte à 2006.
Comme à chaque fois, le ministère chinois des Affaires étrangères s'est refusé à tout commentaire. Les pérégrinations du dirigeant nord-coréen sont entourées du plus grand secret et, il y a un mois, des rumeurs d'un tel voyage s'étaient révélées fausses. Cette fois-ci, toutefois, la chaîne de télévision japonaise NHK a montré Kim, vêtu de sa traditionnelle tenue kaki, arriver à son hôtel dans un imposant convoi de voitures noires et entouré d'agents de sécurité chinois. La façade de l'hôtel a été recouverte d'un immense drap blanc.
Cette visite intervient à un moment crucial. La Chine, en pointe sur le dossier du nucléaire nord-coréen, tente de faire revenir Pyongyang à la table des pourparlers à Six, interrompus depuis plus d'un an. Et ce alors que l'on craint que Kim Jong-il ne prépare un 3e essai nucléaire. Mais l'affaire de la corvette sud-coréenne rend toute avancée à court terme improbable. La tension, en effet, est vive entre le Nord et le Sud depuis le naufrage d'un navire de guerre sud-coréen dans une explosion fin mars, qui a provoqué la mort de 46 marins. Séoul a promis une réponse « appropriée » s'il devait s'avérer qu'une torpille nord-coréenne est responsable du drame.
Présentation du successeur
Ces relations de nouveau glacées avec le Sud renforcent encore la dépendance de la Corée du Nord vis-à-vis de la Chine. Et l'on peut imaginer que Kim Jong-il demandera une aide accrue à son grand voisin et protecteur historique. La Chine, avec qui se font quelque 20 % du commerce, reste bien le poumon du pays, vital pour les denrées alimentaires et le pétrole. La situation s'est encore détériorée en Corée du Nord, avec une désastreuse tentative de réforme monétaire en novembre dernier, qui aurait aggravé l'inflation ainsi que les pénuries alimentaires et provoqué des troubles. Un autre point important sera de savoir si le jeune fils du dirigeant Kim Jong-un est du voyage. Sa présence, pour une présentation aux dirigeants chinois, confirmerait sa position de successeur désigné.
Ce voyage installe encore un peu plus le rôle de la Chine dans la région en général et la péninsule coréenne en particulier. Il se produit trois jours seulement après que le président Hu Jintao a rencontré le président sud-coréen, Lee Myung-bak, à Shanghaï, à l'occasion du lancement de l'Exposition universelle. La politique de Pékin est toujours d'éviter une implosion dangereuse à ses frontières du régime nord-coréen et de jouer les modérateurs vis-à-vis des Occidentaux. Tout en gardant cette carte nord-coréenne suffisamment forte dans son jeu diplomatique.
Explication - Kim Jong-il en visite chez son allié chinois
La Croix, no. 38655 Mardi, 4 mai 2010, p. 6
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-il, 69 ans, est arrivé en Chine hier pour un de ses rares voyages à l'étranger, quatre ans après sa dernière visite chez son voisin et allié. Un certain mystère entoure toujours les déplacements du leader nord-coréen, au point qu'on ne voit jamais d'images de ces visites avant qu'elles ne soient achevées et qu'il soit rentré chez lui.
Dorian MALOVIC et FRÉDÉRIC ORJADAS Quel est le premier objectif de ce voyage ? La Corée du Nord a vu son économie durement touchée par les sanctions imposées en juin 2009 par l'ONU, à la suite de ses tirs de missiles et de ses essais nucléaires. Asphyxié, elle a besoin de la Chine : « Pour la première fois, la coopération économique sera le point le plus important des discussions à venir », explique le professeur Cheong Seong-chang, de l'institut Sejong, à Séoul. Les projets de coopération intercoréens (complexe touristique de Geumgang, parc industriel de Gaesong), très lucratifs pour le Nord, souffrent des graves regains de tension entre les deux Corées. Pyongyang se tourne donc vers Pékin. « La Corée du Nord essaie d'attirer les investisseurs chinois. Elle vient notamment de modifier dans ce but la loi de sa zone industrielle de Rajin-Sonbong, près de la frontière », explique Cheong Seong-chang. La Chine a déjà obtenu le droit d'utiliser pour dix ans le port nord-coréen de Rajin, lui offrant un accès direct à la mer du Japon. Elle est aussi le premier partenaire économique de la Corée du Nord, où elle exploite de nombreuses mines et ressources naturelles. La Chine peut-elle influencer Pyongyang sur le nucléaire ? Voisine et alliée historique de la Corée du Nord, la Chine ne veut pas d'un effondrement du régime communiste nord-coréen. C'est pourquoi Pékin continuera de soutenir Kim Jong-il. Même si les Chinois vont profiter de sa visite pour l'inciter à revenir à la table des négociations à six (Chine, Russie, États-Unis, Corée du Sud, Japon et Corée du Nord) sur la dénucléarisation de la péninsule, dans l'impasse depuis plus d'un an, ils ne vont pas user de contraintes contre Pyongyang. Partisan du « dialogue jusqu'au bout », comme pour l'Iran, Pékin juge que c'est à son protégé de décider quand et comment rejoindre la table des négociations. Pour Jin Hualin, professeur à l'université de Yanbian, ville frontalière avec la Corée du Nord, celle-ci « a tellement dépensé dans le nucléaire depuis tant d'années qu'elle demandera de fortes compensations économiques pour rejoindre les négociations, mais elle sait que reprendre le dialogue favorisera de nouveaux investissements de ses voisins chinois ou russes ». Reste toutefois à lever les sanctions votées par les Nations unies l'année dernière. Comment réagit la Corée du Sud ? Le climat s'est tendu entre les deux frères ennemis coréens depuis le naufrage, fin mars, d'une corvette sud-coréenne près de la frontière avec le Nord. Mais Séoul reste tout aussi inquiet que Pékin à l'idée d'un effondrement du régime et ménage également Kim Jong-il, en n'accusant pas directement les Nord-Coréens d'avoir torpillé la corvette. En inaugurant le pavillon sud-coréen à l'Exposition universelle de Shanghaï, le 1er mai, le président Lee Myung-bak a sans doute fait part de ses inquiétudes au président chinois Hu Jintao en lui demandant de favoriser une plus grande ouverture économique de Pyongyang. © 2010 la Croix. Tous droits réservés.
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