lundi 24 mai 2010

Le retour à un climat de guerre froide en mer Jaune - Alain Frachon

Le Monde - International, mardi, 25 mai 2010, p. 5

Pour nombre d'experts - européens et américains, notamment -, il n'y avait déjà guère de doute : la torpille qui a coulé, le 26 mars, la corvette sud-coréenne Chenoan, tuant 46 marins, était d'origine nord-coréenne. Depuis qu'une commission internationale d'enquête a confirmé cette conclusion à la fin de la semaine passée, les réactions vont de la stupeur à la colère.

Les uns y voient un acte de guerre comme la région n'en a pas connu depuis longtemps. Les autres dénoncent une agression qui remet en cause l'armistice de 1953. Celle-ci avait mis fin à trois ans d'un conflit meurtrier entre, d'une part, les forces nord-coréennes soutenues par la Chine et l'URSS, et, d'autre part, celles de la Corée du Sud appuyées par les Etats-Unis et leurs alliés.

Depuis, sur le 38e parallèle, les troupes des deux Corées sont face à face : paix armée d'autant plus instable que le régime nord-coréen, tyrannie communiste familiale, s'est doté de la bombe atomique. Est-ce de nouveau la " guerre froide " sur la ligne d'armistice ?

Le problème est celui du peu de possibilités de rétorsion à l'encontre d'un régime comme celui qui sévit à Pyongyang, la capitale nord-coréenne. C'est une équipe sanguinaire, dénuée de tout scrupule, au comportement irrationnel, même si elle poursuit, avec constance et succès, une politique qui relève du chantage et de l'extorsion : ou vous m'aidez - économiquement - ou je vous agresse...

Ce qui laisse entière la question du moment de l'agression. Pourquoi aujourd'hui ? Si l'on exclut la thèse d'un " accident " - une torpille tirée par hasard par un sous-marin nord-coréen -, il ne reste que des hypothèses.

La Chine, acteur clé

Mystérieux épisode d'une crise de succession au sein d'un régime très opaque ? Il y a deux ans, le leader nord-coréen, Kim Jong-il, était victime d'une attaque cérébrale. La télévision l'a montré boitant et voûté lors d'une visite en Chine début mai. On le dit s'efforçant d'organiser une succession au profit de son troisième fils. Le Financial Times évoque la possibilité que l'agression contre le Chenoan relève de la lutte pour le pouvoir à Pyongyang.

La Corée du Sud a été patiente. Elle a attendu les résultats de l'enquête internationale. Ceux-ci rendus, elle ne pouvait pas ne pas répondre. Elle l'a fait en prenant des sanctions commerciales - pas totales. Elle a reçu le soutien du Japon et des Etats-Unis. Le Conseil de sécurité de l'ONU va se réunir. Ces jours-ci en visite en Chine, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a appelé ses interlocuteurs à se mobiliser.

La Chine est l'un des acteurs clés dans cette affaire. Elle soutient le régime nord-coréen, de peur que son effondrement ne provoque un chaos à sa porte.

Plus que les Etats-Unis ou la Russie, elle devrait être en mesure d'exercer une influence stabilisatrice. Sa responsabilité de grande puissance est engagée : elle peut modérer un régime qui se croit peut-être tout permis depuis qu'il dispose d'un parapluie nucléaire.

Alain Frachon

PHOTO - South Korean Foreign Minister Yu Myung-hwan, left, shakes hands with Chinese nuclear envoy Wu Dawei before their meeting at the Foreign Ministry in Seoul, South Korea, Tuesday, May 25, 2010. South Korea has won U.S. support for slashing trade to North Korea and vowed to haul its communist neighbor before the U.N. Security Council for a torpedo attack that sank a South Korean warship and killed 46 sailors.

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