lundi 31 mai 2010

LITTÉRATURE - Le Temps des chimères - Hubert Védrine

Le Monde - Analyses, vendredi, 19 février 2010, p. 2

Hubert Védrine veut en finir avec le droit-de- l'hommisme européen. Sur TV5, l'ancien ministre des affaires étrangères a lancé, le 14 février, un appel : " Il faut arrêter cette évolution qui a dominé depuis vingt/vingt-cinq ans " en Europe. Elle accréditait l'idée que la politique étrangère, c'est la défense des droits fondamentaux - prioritairement.

Dans la préface de son dernier livre (Le Temps des chimères, Fayard), M. Védrine interpelle les droits-de-l'hommistes : quel bilan après un quart de siècle de prosélytisme ? La question, légitime, est adressée aux ONG, à la presse, à ceux qui ont milité pour que les droits de l'homme soient au coeur de la politique étrangère.

Le temps des chimères : Articles, préfaces et conférences (2003-2009)

Hubert Védrine observe que les Occidentaux pèsent moins dans le monde d'aujourd'hui. Ils ont perdu le monopole de la puissance économique, mais aussi celui de dire la norme du droit et de la morale. La planète se soucie de moins en moins de ce que les Américains et les Européens peuvent bien penser. Or la mise en avant des droits de l'homme, écrit-il, " découle d'une vision séculaire selon laquelle tout s'organise à partir de l'Occident ". Avec la montée de la Chine, de l'Inde, du Brésil et de quelques autres, tout ne " s'organise plus autour de l'Occident ".

M. Védrine pense juste, souvent. Il a l'expérience de l'action, mais il est aussi un homme de réflexion. Il n'est pas contre la défense des droits de l'homme, il s'oppose à ce qu'elle devienne le principal déterminant des relations que l'Europe ou les Etats-Unis ont avec le reste du monde. Là, il se trompe. Il y a beau temps que les droits de l'homme ne pèsent plus guère dans la diplomatie des Etats-Unis ou des Européens. Le droit-de-l'hommisme est mort, enterré au cimetière des illusions nées de la fin de la guerre froide.

L'administration Obama dit que la relation que les Etats-Unis entretiennent avec la Chine est trop importante pour être altérée par la question des droits de l'homme. La Chine peut tout se permettre, ou à peu près. Sous patronage onusien, il y a une commission Goldstone pour juger le comportement d'Israël à Gaza; il n'y en a pas pour juger celui des forces de l'ordre chinoises au Tibet ou au Xinjiang.

Il a fallu attendre dix jours de manifestations pour que Barack Obama ait un mot de sympathie à l'adresse des Iraniens qui défient le régime de M. Ahmadinejad. Les Européens n'ont pas jugé bon de diminuer le niveau de leur représentation diplomatique à Téhéran. Pour les meilleures raisons économiques, Berlin et Paris font les yeux doux à Moscou.

Derrière la Chine, les puissances émergentes développent une conception fondamentaliste de la souveraineté nationale : pas question de s'immiscer dans leurs affaires intérieures. La nouvelle doctrine, c'est non à l'ingérence, surtout au nom des valeurs. Le relativisme culturel progresse. On prend le pari : dans ce monde-là, M. Védrine en viendra vite à regretter les droits-de-l'hommistes.

Alain Frachon


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