En 2005, on pouvait voir à Londres dans le cadre d'une grande exposition organisée sous les auspices du gouvernement chinois une immense peinture dans le style jésuite du XVIIIe siècle représentant un interminable défilé d'ambassadeurs payant tribut à l'empereur de Chine. Le message ne pouvait être plus clair. « Vous aussi nous paierez tribut, bientôt. » Alors que s'ouvre l'Exposition universelle de Shanghai, ce bientôt est-il déjà arrivé ?
En venant en Chine pour une visite présentée comme un « voyage de réconciliation », le président français vise-t-il à se rapprocher de la Chine au moment où cette dernière semble faire preuve d'« hubris » ? Pékin a sans doute le sentiment aujourd'hui que le rapport des forces dans le monde bascule plus rapidement encore en sa faveur qu'il ne le pensait hier. La confiance chinoise serait-elle en train de se transformer en excès de confiance ?
Il est vrai que le président français n'a pas de chance, arrivant en Chine en pleine tourmente européenne. Comment se faire l'avocat d'un nouvel ordre monétaire multipolaire lorsque l'on est perçu par ses interlocuteurs chinois comme le représentant d'une Europe affaiblie, pleine de doutes sur son avenir et qui compte toujours davantage sur la Chine pour relancer sa timide croissance ?
Certes la Chine de 2010 ne saurait être comparée à l'Allemagne de Guillaume II. Elle n'est pas un nouveau riche de la puissance, mais un pays qui retrouve le statut qui fut le sien jusqu'au début du XIXe siècle. Et pourtant la Chine a elle aussi besoin d'un Bismarck, c'est-à-dire d'un homme d'Etat qui sache contrôler les ambitions de son pays et intégrer les intérêts et les émotions du « reste du monde » et de ses voisins asiatiques en particulier.
Pour certains, la Chine se comporte en Asie comme le faisait hier les Etats-Unis dans le monde. Avec une différence certes majeure : leur vision d'un « monde unipolaire asiatique » ne s'accompagne pas d'un message universel. Si la Chine est « numéro un » dans sa zone, c'est tout simplement pour servir ses intérêts et pas pour rendre l'Asie meilleure.
En politique internationale, la confiance est un atout, l'excès de confiance une faiblesse, surtout lorsqu'elle débouche sur une forme d'autisme à l'autre. Cet autisme se trouve renforcé par l'existence en Chine de « couches d'humiliation », de la guerre des Boxers aux invasions japonaises, qui ne sont pas encore dépassées et encore moins transcendées dans une société non démocratique qui semble avoir plus de mal encore que la Russie à se confronter à son histoire.
Ce qui est inquiétant depuis quelques temps dans le comportement de la Chine ce ne sont pas tant des évolutions stratégiques comme le renforcement de sa puissance navale ou plus généralement l'augmentation de son budget de défense. « Les capacités créent les intentions », écrivait Raymond Aron ; peut-être, mais qui la Chine veut-elle envahir ? La croissance de son arsenal militaire suit celle de ses excédents budgétaires. La Chine s'est donné les moyens de son statut international nouveau. Elle en use, elle n'en abuse pas (pas encore) diraient certains. Ce qui est troublant en revanche c'est le comportement général d'un pays qui combine cynisme, brutalité et un mépris parfois total de toutes formes de règles du jeu international. Le cyberterrorisme en est une des illustrations les plus préoccupantes.
La compétition industrielle ne peut devenir un nouveau Far West où la loi du plus fort, du plus rusé et de celui qui est soumis au moins de contrôles s'impose nécessairement. Il doit y avoir des limites à l'espionnage industriel. A long terme, la créativité chinoise, clef de la réussite de la Chine, suppose l'existence d'un Etat de droit dans la relation de la Chine avec le monde tout autant que dans la relation de la Chine avec elle-même.
Il existe en Chine deux formes de nationalisme : l'un est positif, responsable, sait faire preuve d'autolimitation et s'inscrit dans une tradition historique chinoise ; l'autre est agressif, négatif, impulsif et traduit le pire d'une tradition « communiste » récente. Lequel de ces deux nationalismes l'emportera. C'est désormais une question essentielle non seulement pour l'équilibre de l'Asie, mais pour celui du monde.
DOMINIQUE MOÏSI EST CONSEILLER SPÉCIAL DE L'IFRI.
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