lundi 24 mai 2010

Pékin entretient le flou sur ses intentions - Arnaud Rodier

Le Figaro, no. 20468 - Le Figaro Économie, lundi, 24 mai 2010, p. 18

« ZHAO SAN MU SI », ce proverbe chinois désigne les gens inconstants ou versatiles. C'est un défaut qui les fait comparer à des singes, presque une insulte. Or, depuis le début, la Chine a dit qu'elle réévaluerait sa monnaie lorsqu'elle le déciderait. « Nous ne céderons pas aux pressions extérieures », a répété la semaine dernière le vice-ministre des Finances Zhu Guangyao. Le « dialogue économique et stratégique » sino-américain n'y changera rien.

Arrimé au billet vert depuis l'été 2008 à 6,8 yuans pour un dollar, alors que son taux de change était auparavant flexible, le renminbi, appellation officielle de la monnaie chinoise, est volontairement sous-évalué, accusent les Américains et les Européens qui reprochent à Pékin d'en profiter pour vendre à bas prix ses produits sur les marchés étrangers. Washington comptait sur la réunion qui s'ouvre aujourd'hui pour faire plier la Chine, mais la conjoncture internationale a donné de nouvelles armes à l'empire du Milieu. « Les bases pour la reprise économique dans le monde ne sont pas encore solides, tous les pays doivent maintenir leurs mesures de relance économique », plaide le président Hu Jintao. Et conserver le yuan à un bas niveau en est une.

Car, désormais, il n'y a pas que le dollar sur la sellette. La récente chute de l'euro pénalise directement les exportateurs chinois en augmentant leurs coûts de production. La Chine s'en sert pour expliquer, comme le fait le premier ministre Wen Jiabao, que « la gravité et la complexité des effets de la crise financière internationale ont été au-delà des prévisions ».

Les derniers chiffres du commerce extérieur plaident pour elle. Le déficit américain avec Pékin, même s'il reste le premier des États-Unis, a baissé de 40 milliards de dollars entre 2008 et 2009. Et depuis le début l'année 2010, l'avantage chinois ne cesse de se réduire.

Ne pas perdre la face

L'excédent commercial de la Chine avec Washington a ainsi chuté de 78,6 %, à 16,1 milliards de dollars, sur les quatre premiers mois de l'année, après un déficit de 7,2 milliards de dollars en mars. « Il va encore baisser d'une manière importante d'ici à la fin 2010 », prédit le porte-parole du ministère du Commerce, Yao Jian.

Mais les Chinois savent aussi qu'ils ne pourront pas maintenir une croissance annuelle supérieure à 8 % en comptant sur leurs seuls exportateurs. Ils ont besoin de relancer la consommation des ménages et d'élever le niveau de vie de la population, notamment dans les villes de province. Le gouvernement est parfaitement conscient qu'une réévaluation du yuan ira dans ce sens. C'est ce que la ministre française de l'Économie, Christine Lagarde, appelle « agir dans son propre intérêt ».

Washington faisait le pari que Pékin profiterait du « dialogue économique et stratégique » pour basculer. Les Américains étaient même venus avec la promesse de lever avant l'été les restrictions sur leurs exportations de produits de haute technologie en Chine. Les Chinois, dans la vieille tradition des pays asiatiques qui ne doivent à aucun prix perdre la face, leur répondent qu'ils choisiront leur propre calendrier.

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