Le Point, no. 1964 - France, jeudi, 6 mai 2010, p. 42,43,44,46
Enquête. Première biographie sur l'écolo préféré des Français.
On connaît l'animateur d'« Ushuaia », on croit connaître le conseiller officieux de Nicolas Sarkozy. Mais, au fond, qui est vraiment M. Hulot ? Bérengère Bonte, journaliste à Europe 1, a tenté de percer le mystère. Dans «Sain Nicolas» (Editions du Moment), première biographie sur l'écolo préféré des Français, on découvre un homme complexe, marqué par un drame familial. Tantôt casse-cou, tantôt angoissé, il est toujours « dans un contrôle quasi paranoïaque de son image ». D'abord méfiant, Hulot a fini par ouvrir quelques portes de sa forteresse à la journaliste, qui l'a confronté à des sujets tabous comme l'argent ou les femmes. Elle révèle un businessman honteux mais talentueux et un incorrigible séducteur. Ce que ne dément pas sa femme, Florence, qui pour la première fois se livre.
Parmi les révélations de « Sain Nicolas », outre les rapports électriques qu'entretiennent le président et son conseiller environnement, l'auteure nous apprend que, fin 2006, le ministre de l'Emploi, Jean-Louis Borloo, aurait accordé son soutien à Hulot, l'éphémère candidat à la présidentielle... avant de rallier Sarkozy.
Une enquête fouillée et sans complaisance.
Extraits
« - Pourquoi personne n'a jamais écrit de biographie de vous ?
- Parce que j'ai toujours réussi à dissuader les candidats...» répond-il aussi sec.
Le frère
« La vie ne vaut pas la peine d'être vécue. »
Nicolas s'arrête dans le hall de l'immeuble et relit, à la lumière, les derniers mots de son frère [atteint d'une maladie neurologique, ndlr]. « Pas la peine. » Gonzague a fini par lâcher prise. (...) Ne pas être autonome, c'est la prison à perpétuité. « Pas la peine. » Nicolas ravale ses larmes. Le corps de son frère est en bas, à la cave, un flacon de barbituriques et une bouteille d'eau minérale à ses côtés. Mais chez les Hulot la fête doit commencer. C'est ainsi. C'est le soir de Noël. L'oncle, la tante, les cousins, la grand-mère et quelques amis doivent arriver dans quelques heures. La mort de Gonzague n'y change rien. On verra demain.
Dans la cave, Nicolas avance à tâtons et entre dans le réduit du fond. Son pied heurte quelque chose au sol. Un tapis. Non... Une longue forme enroulée dans un tapis.
Six étages plus haut, sous les guirlandes de la chambre de Gonzague, Monique (sa mère) dresse la table pour le réveillon. (...) Gonzague n'est pas là pour aider, il est en voyage depuis trois mois.(...) A cet instant, elle ignore qu'au rez-de-chaussée la police remonte un corps. Nicolas reconnaît officiellement son frère. Pas une larme devant les flics. Pas un mot devant sa mère. Avec sa soeur, ils sont tombés d'accord pour ne rien dire. Ils s'y tiennent toute la soirée. Pour eux, c'est une évidence dans cette famille où le silence est roi.
« Quelques heures plus tard, plus épuisé que si je n'avais pas dormi, j'étais dans la cave. Je m'étais fait violence : si je ne réagissais pas, j'étais fichu, dominé à jamais par cette situation. C'est la première fois que je pris conscience de ce réflexe qui me sauvera souvent psychologiquement : soigner le mal par le mal. »
Le voilà donc à la cave, reconstituant l'abominable cérémonie secrète, les derniers gestes de Gonzague. Dans le faisceau de sa lampe de poche, il déplace les meubles pour se faire un espace et s'enroule dans le tapis.
Soigner le mal par le mal, la peur par la peur. Ce jour-là, Nicolas Hulot érige le risque en principe de vie, au point, régulièrement, de mettre celle-ci en jeu. Balisant ses risques, mais les prenant quand même.
Nicolas a 19 ans et une furieuse envie de vivre, désormais. Ce qui ne tue pas renforce. Il n'a plus qu'une idée en tête : sortir des sentiers battus par d'autres. La mort de Gonzague, trois ans et demi après celle de son père, le pousse vers ces fameux « chemins de traverse ».
« Sans faire de psychologie de bas étage, tous ces événements ont nourri en moi une soif de vivre et, en même temps, angoisse et inquiétude. Solidité et vulnérabilité. J'ai, depuis, la soif de ne jamais ajourner d'être heureux. Ne pas remettre. L'impatience me caractérise. C'est ce qui crée des zones de fragilité chez moi. (...) j'ai une immense énergie et une immense vulnérabilité. »
Un jour, il a même dit à un très proche, en plaisantant à moitié : « Je crois qu'à moi tout seul je suis un sujet de thèse pour un psy. »
Le séducteur
Quand on la sollicite, elle accepte presque avec bonheur d'évoquer son héros de mari. Non pas qu'elle ait envie d'étaler leur vie privée. Ce n'est pas ça. Mais Florence Hulot est une femme libre. Elle a envie de parler. Elle rêve aussi qu'on lui dise « comment il est perçu à Paris » ! Etrangement, elle n'a jamais été sollicitée pour se livrer vraiment. « Sans doute parce que Nicolas ne doit pas y inciter », imagine-t-elle.
13 janvier 1996. Hulot, 40 ans, star de TF1, passe une semaine au ski, à Chamonix, terre de Florence Lasserre, joli brin de femme, cheveux mi-longs châtains, la trentaine souriante et timide. (...) Florence la montagnarde, vice-championne de France de slalom géant à l'adolescence, compétitrice de monoski, bosses, équitation. Une amie commune les réunit pour dîner. (...) Huit jours plus tard, coup de fil de l'assistant d'Hulot sur « Okavango », l'émission qui vient de naître des cendres d'« Ushuaia, magazine de l'extrême ».
« - Nicolas Hulot voudrait que vous partiez en tournage avec lui le mois prochain au large de Madagascar. En fait, je vous appelle pour les formalités et le billet d'avion... Florence n'hésite pas une seconde.
- C'est hors de question. (...) »
Pour qui se prend-il, celui-là ? (...) Finalement, de week-ends chamoniards en escapades bretonnes, ils emménagent un an et demi plus tard en Corse, où sa maison vient d'être construite.
Hulot [père de deux enfants, ndlr] reste pourtant un incorrigible « séducteur ». Le mot lui hérisse le poil, mais quiconque parle de lui finit par le prononcer. Séducteur au sens large. Même sa femme en parle librement : « Il adore voir les gens se mettre à adhérer à ses idées et se mettre à genoux devant lui, il adore ça. (...) Je reconnais que ce n'est pas la partie la plus facile à vivre avec Nicolas. Au début, je l'ai mal vécu. Maintenant, je relativise. Ou je fais l'autruche. (...) Il y a des endroits où je ne l'accompagne plus, où je ne me sens pas à ma place. »
Cette partie de l'entretien, quand il en a l'écho, met en colère Nicolas Hulot. Et il le fait savoir. « C'est parce que je suis très secret que tout le monde fantasme sur mon prétendu côté séducteur. Mais qu'en savent-ils, tous ces gens ? »
Hulot, pourtant, n'a pas toujours caché ses multiples conquêtes. Dans « Les chemins de traverse », publiés en 1989 (JC Lattès), il donne même des noms. Retour d'expédition dans les années 80 : il narre les retrouvailles avec sa Nathalie de l'époque, « avec laquelle tout baigne encore malgré des coups de foudre pour des ombres de passage pour lesquelles [il s'est] déballé aussi vite [qu'il s'était] emballé ». Son complice de l'époque, Pascal Anciaux, abondamment cité dans ces « aventures grivoises », a ce commentaire plein de malice : « Et encore, il n'a rien dit ! » Au début des années 80, la presse se fait l'écho de sa liaison avec Catherine Ceylac, la journaliste télé. Ou encore de cette longue relation avec Dominique Cantien qui débute en 1986. Elle deviendra sa productrice pour « Ushuaia » et son principal soutien dans les conflits avec la hiérarchie de TF1.
Leur relation s'achève de façon volcanique, au point de déclencher l'intervention d'un ancien commandant du GIGN, copain de Hulot. Epoque sombre. (...) D'autant que cette rupture est suivie de l'échec d'un premier mariage avec la championne du monde d'escalade, Isabelle Patissier.
« Vous ne pouvez pas faire une biographie de Nicolas sans évoquer cet aspect du personnage », finit toujours par lâcher l'immense majorité des interlocuteurs quand s'éteint le dictaphone. Ils ou elles parlent de jeunes anonymes, assistantes d'émission, stagiaires ou de jeunes femmes issues de la sphère publique : une petite-fille de Mitterrand, apprentie photographe, qui passe une semaine chez lui sans ramener un seul cliché, une fille de ministre courtisée à la limite du harcèlement et d'autres, impossibles à citer ici. Au besoin, il lui est arrivé de mettre à profit son expérience de la varappe et d'escalader un immeuble en plein Paris afin de régler son compte à un rival. (...)
Le businessman
Dénouer les fils du business « Ushuaia » est une enquête digne de Sherlock Holmes. Le tabou est coriace. (...) De tout cela Nicolas Hulot refuse catégoriquement de parler aujourd'hui. Dans un premier temps en tout cas. Il est mal à l'aise avec ce business.
Vu le succès, Brigitte Legendre, qui dirige à l'époque TF1 Entreprises, part à l'assaut de la salle de bains. L'Oréal, numéro un mondial de la cosmétique, est absent du marché « gels douche ». L'occasion est trop belle d'y remédier. Finalement, une première licence d'un an est signée début 1993. (...) Le gel douche Ushuaia est né. (...) un contrat de licence élargi à toute la Communauté européenne est signé le 5 mai 1993. Le nom de Nicolas Hulot n'y apparaît jamais.
Hulot affirme qu'il découvre tout après coup. « Je pars en tournage un jour en Nouvelle-Zélande, j'apprends là-bas que des spots passent à la télé pour annoncer le lancement des gels douche. » (...) Hulot rentre dare-dare de Nouvelle-Zélande et file dans le bureau du patron. Pluie d'insultes et claquements de portes.
L'animateur prend quelques jours pour réfléchir et finit par se présenter directement chez L'Oréal (...) Vous cannibalisez mon espace télé, leur dit-il en substance, en échange aidez-moi à financer ma fondation. L'Oréal se retrouve ainsi « mécène fondateur » de la FNH [fondation Nicolas-Hulot, ndlr]. Contrat signé pour trois ans, toujours renouvelé depuis. Le coup est magistral.
D'après Hulot, la négociation s'arrête là. Mensonge ! Hulot, qui rumine alors au fin fond du Luberon, se fait remonter les bretelles par son copain (Jean-Noël) Thorel.
« T'es vraiment un con, ce business va abîmer ton image. Ils le savent très bien. Débrouille-toi au moins pour prendre de l'argent. » (...) Le lendemain matin, quand Thorel sort de son lit, Hulot est déjà dans l'avion, parti négocier avec ses patrons. Depuis ce jour, sur chaque gel douche vendu, Nicolas Hulot touche des royalties.
« L'argent le gêne, confirme Florence Hulot. Il est mal à l'aise de gagner tout ça... » Et puis soudain, comme un énième paradoxe, l'animateur propose finalement de révéler lui-même son salaire fixe, celui pour lequel il anime trois ou quatre fois par an le magazine « Ushuaia nature ». En 2010, le salarié de TF1 Nicolas Hulot touche 33 000 euros par mois, 33 000 euros pour deux ou trois semaines de tournage chaque fois, quelques réunions et le suivi à distance du montage final. Au total, lui-même estime travailler un mois par émission, ce qui fait, au maximum, quatre mois par an. Le salaire tombe bien sûr toute l'année, du 1er janvier au 31 décembre, en plus des royalties et droits d'auteur réceptionnés par Eole [SARL montée par Hulot en 1990, ndlr] - environ 60 000 euros brut par mois en 2006.
Le conseiller politique
« Au fait, j'ai parlé à ton patron. Tu n'as plus à t'inquiéter pour ton émission. »
Jacques Chirac est sans doute le meilleur agent dont aurait pu rêver Nicolas Hulot. Dès le premier jour, le président est fan d'« Ushuaia ». Il n'en manque jamais un. Il tremble pour Nicolas, s'inquiète au premier danger, se fâche même quand il juge les risques inconsidérés (...) La relation est volontiers protectrice, voire paternaliste. Depuis leur rencontre à la fin de l'année 1989, Jacques Chirac est presque devenu un père pour celui que rien ne prédestinait pourtant à ce parachutage dans l'arrière-cour du pouvoir.
« Bonjour, c'est Claude Chirac à l'appareil. J'ai été bouleversée par votre livre "Les chemins de traverse". Je voudrais vous rencontrer. » Hulot se pince.
« De vous à moi, je crois qu'elle avait un petit béguin pour moi », raconte Hulot, un brin vantard. (...) Une semaine plus tard, Hulot se gare dans la cour de l'Hôtel de Ville. (...) L'accueil est on ne peut plus chaleureux. On discute de tout et de rien. Puis Chirac ouvre le frigo, attrape une bière et passe à table. Tant de simplicité sidère Hulot. Ensemble, ils refont le monde.
Ce soir-là, une fois la mousse au chocolat blanc avalée - autre passion commune -, Chirac propose son aide pour la fondation naissante. Et Hulot, avec ses petits airs naïfs d'adolescent, le prend au mot, persuadé toutefois que l'offre restera sans suite. Redevenant méfiant, distant, comme il sait l'être. Il craint surtout d'être récupéré, que Chirac lui demande des contreparties, de s'afficher avec lui. Erreur ! Le maire de Paris tient promesse, lui ouvre les services de la mairie, décroche lui-même son téléphone pour lui trouver des partenaires financiers, sans jamais rien réclamer en retour.
Hulot aime le pouvoir, surtout parce qu'il ne l'exerce pas. Y être sans en être. Il y aurait trop de coups à prendre. Pas question donc d'entrer au gouvernement. Le soir du 5 mai 2002, en rempilant à l'Elysée, Chirac le lui propose pourtant très officiellement. (...) Pour le principe, Chirac lui dit : « Réfléchis, je te rappelle. » Mais pour Hulot, c'est tout vu.(...) « Tu vas perdre un bon conseiller et gagner un mauvais ministre », prétexte-t-il, à court d'arguments. Chirac n'en croit pas ses oreilles.
De même qu'il n'assumait pas sa proximité avec Jacques Chirac, Sain Nicolas a mis du temps à dire le mal qu'il pense de Nicolas Sarkozy. Pourtant, Dieu sait qu'ils ne s'aiment pas ! (...) « Il y a une relation très particulière entre Sarko et moi parce qu'il n'arrive pas à me classer. Je le sais par ses proches. Pour lui, je suis insaisissable. Et ce qui le met en colère, c'est que je ne dise pas suffisamment de bien de lui. Il me le dit tout le temps : si Ségolène faisait le quart de ce que j'ai fait, tu dirais du bien d'elle.
« Mon rôle n'est pas de distribuer des bons points, répond Hulot. Mon rôle est de créer de la convergence. Et je n'ai pas à te remercier, pas plus que tu n'as à me remercier. On travaille pour l'intérêt général. On n'a pas à se distribuer des bisous. »
« Oui, mais chaque fois que tu viens à l'Elysée, tu ne veux pas de caméras ! »
Parfois, les échanges sont vifs. Les deux hommes ne prennent pas de gants. Nicolas Hulot prétend même lui avoir raccroché au nez un jour de 2008.
La relation Sarko-Hulot est ainsi : un subtil équilibre entre fâcheries et flatteries. Blâmes présidentiels et coups de gueule hulotiens dans la presse. (...) « Ils s'agacent mutuellement parce qu'ils sont très semblables, analyse Florence Hulot. Je ne connais pas personnellement Nicolas Sarkozy, mais, de ce que je vois, ils ont en commun le côté impulsif, le côté séducteur, " rien ne doit me résister ". Sarkozy est bluffant. Nicolas aussi. Aucun des deux ne veut céder à l'autre. Et, même physiquement, ce sont tous les deux des petits hommes ! » .
Florence Hulot, à propos des relations Hulot-Sarkozy
« ils s'agacent mutuellement parce qu'ils sont très semblables. Ils ont en c ommun le côté impulsif, le côté séducteur. aucun des deux ne veut céder à l'autre. ce sont tous les deux des petits hommes. »
À LIRE :
«Sain Nicolas», de Bérangère Bonte (Editions du Moment, 326 pages, 17,95 E).
© 2010 Le Point. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire