Star. Il a fait entrer le Brésil dans la cour des grands et sa popularité est sans égale : 83 %.
C'est un petit livre qui fait bien rire les Brésiliens ces temps-ci. Son titre, « Jamais auparavant dans l'histoire de ce pays... », parodie la phrase favorite de Lula pour autocélébrer ses succès. L'auteur, Marcelo Tas, animateur d'un show télé satirique, y recense les plus belles perles du président brésilien. Voici Lula découvrant l'Antarctique à bord d'un navire de la marine nationale : « C'est le plus grand frigo que j'ai vu de toute ma vie ! » Une autre fois, voulant célébrer la révolution du wi-fi gratuit dans les favelas, il devient - involontairement ? - scabreux : « L'inclusion digitale est le mot le plus sexy de mon gouvernement. »
Les Brésiliens rigolent de bon coeur. Mais ils savent aussi que lorsque Lula répète pour la énième fois : « C'est la première fois dans l'histoire de ce pays...», il a souvent raison. C'est la première fois qu'un ouvrier métallurgiste, leader syndical de surcroît, est devenu président dans l'un des pays les plus inégalitaires du monde. Et qu'il s'apprête à quitter le pouvoir après deux mandats, en octobre, avec un taux de popularité de 83 %. C'est la première fois qu'on acclame son nom dans les favelas de Rio et à la Bourse de São Paulo, que le taux de pauvreté est passé d'un gros tiers à un petit quart de la population, que 40 millions de Brésiliens ont accédé à la fameuse classe C et intégré les classes moyennes. La première fois, encore, que sur les appuis-tête de la compagnie aérienne intérieure TAM on peut lire « Dans la prochaine décennie, le Brésil deviendra la 5e puissance mondiale ». Et, lorsque au sommet du G20 à Londres, en avril 2009, Barack Obama fonce vers le président brésilien les bras ouverts en s'exclamant « Voilà mon homme ! » c'est pour Lula et son pays la consécration internationale. Le « roi du Brésil », comme il s'est autoproclamé un jour sans complexe, est une star des estrades planétaires. Partout, on lui déroule le tapis rouge. Mais Lula garde son franc-parler. A Brasilia, en pleine crise financière, au côté de Gordon Brown qui encaisse sans broncher, il brocarde « la crise des banquiers blancs, blonds aux yeux bleus ». Il reçoit l'Iranien Mahmoud Ahmadinejad avec les honneurs à Brasilia et s'affiche à La Havane avec le frère Castro pendant que des dissidents politiques en grève de la faim meurent à petit feu.
Lula a peut-être pris un peu la grosse tête, mais devant les siens, chez lui, il reste tel qu'en lui-même. Le voici en visite à la Rocinha, à Rio. En plein coeur de la ville, c'est la plus grande favela d'Amérique du Sud, une cascade de bicoques de bric et de broc qui descend en amphithéâtre des collines de Gavea. Chemise en lin blanc, l'air d'un vieil oncle bienveillant retrouvant sa marmaille, Lula jubile. C'est son public, il est leur idole. Il embrasse les enfants comme du bon pain, fait la bise aux femmes, distribue force abraços aux hommes. Il signe à tour de bras les casquettes et les tee-shirts qu'on lui tend des premiers rangs, salue à la brésilienne les deux pouces levés, lance des clins d'oeil à de vieilles connaissances. Entre lui et eux, pas de chichis, pas besoin de conseillers pour communiquer avec les « vraies gens », car comme eux il a connu la misère.
Quand il se lève pour s'emparer du micro, fonçant comme un taurillon trapu d'un bord à l'autre de l'estrade, c'est la magie Lula qui opère. Sa voix d'abord, basse et rocailleuse, une de ces voix à la Joe Cocker culottée par les meetings, la fête, l'alcool et le tabac, la vie, quoi ! Avant lui, les officiels ont dévidé leurs discours. Mais, quand Lula les regarde et leur parle, il s'adresse à chacun d'entre eux.
A tous il dit que c'est d'abord à eux qu'il pense quand il change le Brésil jour après jour. Il les fait rire, aussi, à propos des « bandits » des favelas lorsqu'il ajoute qu'il y a aussi quelques bandits d'un autre genre dans les immeubles de luxe d'Ipanema, là où ils n'arrivent toujours pas à admettre qu'un ouvrier comme lui se soit installé au Planalto, l'Elysée brésilien.
Ce lien quasi charnel entre Lula et le petit peuple du Brésil, c'est- à-dire l'immense majorité de ce pays de 190 millions d'habitants, est à la fois la clé de son personnage et la source de son ambition.
Bière et match de foot
Il assume, bien sûr, les honneurs de sa charge. Sa barbe bien taillée, ses costumes chics et ses belles cravates ont transformé le Lula hirsute et éructant des débuts. A un copain qui le taquinait là-dessus il a confié : « On met des années à s'habituer à porter un bleu de travail. Mais la cravate et le tapis rouge, ça prend deux jours. » En ajoutant pour sa défense : « Les pauvres n'aiment pas les gens mal habillés. »
La logique de Lula, ses priorités et ses méthodes viennent en droite ligne de sa trajectoire personnelle. Emigré pauvre du Nordeste, élevé par une mère seule, il a grandi dans les favelas de São Paulo, où il a vendu des oranges et ciré des chaussures pour faire vivre sa famille. C'est de là que vient son programme Bolsa Familia, qui garantit à 50 millions de Brésiliens un minimum vital, mais qui est versé seulement aux mères et sous condition que les enfants aillent à l'école et soient vaccinés. De là, le salaire minimum de 460 reais imposé aux chefs d'entreprise. De là, le très généreux crédit aux particuliers pour accéder aux biens de consommation : de la machine à laver au téléviseur en passant par les soins chez le dentiste ou les billets d'avion, tout ou presque peut se payer en six ou dix fois. De là, encore, le programme de construction populaire « Minha casa minha vida » pour accéder à des maisons à 28 000 reais.
Au palais de l'Alvorada, la résidence présidentielle de Brasilia, un havre de tranquillité bâti par Oscar Niemeyer, Lula a imprimé sa marque. Il joue au foot avec ses vieux copains, taquine le goujon pour se détendre. De son passé de syndicaliste Lula a gardé le goût de la vie en bande. Fidèle à ses amis de toujours, il les invite sans compter. Pour regarder un film, par exemple, le soir, dans la salle de projection privée du palais. Ou pour partager son plat favori, la rabada, une solide spécialité de queue de boeuf au cresson qu'il commande à Tia Zelia, la propriétaire bahianaise d'une gargote voisine, toute fière de cuisiner pour « l'Homme ». Dès qu'il peut, quand son week-end est libre, Lula se réfugie avec son épouse de toujours, Marisa, dans leur appartement de São Bernardo, dans la banlieue de São Paulo. Il adore y regarder le foot à la télévision en buvant de la bière.
A l'inverse d'Alvaro Uribe, en Colombie, ou de Hugo Chavez, au Venezuela, Lula ne rêve pas de la présidence à vie. Un de ses vieux copains syndicalistes qui a partagé sa cellule de prison dans les années noires, aujourd'hui député fédéral, s'était mis en tête de lancer une campagne pour qu'il puisse faire un troisième mandat (interdit par la Constitution). Dès qu'il l'a appris, Lula l'a convoqué au palais.« Je ne veux pas. C'est antidémocratique ! Et c'est cruel d'être président. Ça satisfait l'ego, mais c'est inhumain. »
Intuitif, malin, indépendant
Dans son bureau du Planalto, là où il travaille, Lula ne lit pas la presse, qui ne le câline guère. Il est allé à l'unique conférence de presse de son premier mandat en traînant les pieds et en grognant : « Allons au sacrifice démocratique. » Intelligent, même de l'avis de ceux qui ne l'aiment pas, Lula est un intuitif, négociateur dans l'âme et très malin. De culture orale, il ne prend jamais de notes. Mais quand il convoque une réunion sur un sujet, il sait tout. Sur les sujets qu'il connaît mal, il réunit en amont des groupes ciblés où il mélange systématiquement des gens d'avis opposés. La discussion se prolonge jusqu'au moment où il se sent capable d'arbitrer. Lorsque le géant brésilien Petrobras a eu besoin de plates-formes pétrolières et de navires pour ses forages en mer, la plupart des experts recommandaient de les acheter à l'étranger. C'est Lula qui a imposé qu'on les construise au Brésil, où six chantiers navals tournent aujourd'hui vingt-quatre heures sur vingt- quatre pour Petrobras.
Même démarche pour le choix de Lula en faveur des chasseurs français Rafale, qui devrait se confirmer bientôt. En bon Sud-Américain, il se méfie des gringos. Il ne veut pas dépendre des Etats-Unis dans le secteur stratégique des équipements militaires. La fronde initiale de l'armée brésilienne, favorable à l'achat de chasseurs suédois Gripen - moins chers, mais à forte composante américaine -, n'y a rien changé. Lula a tenu bon, et l'état-major vient de se fendre d'une lettre lui reconnaissant toute souveraineté pour le choix final.« Lula est un type carré avec lequel il y a zéro décodage et zéro entourloupe, confie un diplomate qui a suivi le dossier de près.Sur les Rafale, il n'a pas varié d'un iota depuis le début. » Lula garde aussi en travers du gosier un précédent fâcheux avec les Américains. Lorsque le Brésil était sur le point de vendre au Venezuela de Hugo Chavez - la bête noire de Washington - des avions Tucano fabriqués par Embraer, mais comportant des composants d'origine américaine, le Pentagone avait mis son veto. Lula, « roi du Brésil » ? Avec lui, son pays a fait quelques pas de géant et pèse d'un nouveau poids. Pour autant, ce n'est pas la vie rêvée des Bisounours. Le pays reste miné par la violence urbaine et la corruption endémique.
Le taux de résolution des crimes y est l'un des plus faibles au monde, un homme pressé peut y faire assassiner sa femme pour 200 reais pour « divorcer » plus vite. Des réformes essentielles comme celle du système politique - Lula gouverne à la tête d'une coalition de 21 partis ! -, de l'éducation ou de la santé restent à faire. Le « possibilisme » de Lula marque aussi ses limites. Paradoxalement, ce syndicaliste que les possédants brésiliens voyaient comme un diable rouge aura fait accomplir à son pays la révolution bourgeoise qu'il n'avait jamais faite. Celle qui intègre les éternels exclus comme des citoyens et les rend partie prenante d'une société. Ce n'est pas le grand soir, mais, dans un tel pays, c'est une révolution des consciences. Lula est plus un « accoucheur » qu'un visionnaire. Pour le reste, il l'a dit lui-même : « Je suis une métamorphose ambulante. Je change en même temps que les choses changent. »
NOTE : Pétrole ! Pétrole !
Les nouveaux rois du pétrole sont brésiliens ! C'est la plus grande découverte pétrolière des trente dernières années. Un champ immense situé à 300 kilomètres des côtes du Brésil et enfoui à plus de 2 000 mètres de profondeur, dans le bassin de Santos. Réserves estimées ? 33 milliards de barils. La zone dans son ensemble pourrait contenir 50 à 70 milliards de barils. De quoi propulser le Brésil dans le club des cinq plus grands producteurs de pétrole. Seul problème : le défi technique.« Il est considérable, souligne Ivan Filho, de l'Institut brésilien du pétrole,il va falloir percer une couche de sédiments puis de sel, et ça complique la remontée du pétrole.» Si le défi est relevé, le pays sera riche, très riche...
La première BRIC des pays émergents
Le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, réunis au sein d'une organisation baptisée BRIC, ont tenu, le 16 avril à Brasilia, leur grand-messe annuelle. Les quatre puissances émergentes représentent 40 % de la population mondiale et 16 % du PIB de la planète, et veulent désormais peser sur l'ordre mondial. Mais elles s'opposent dans leur politique économique. Principale pomme de discorde : le Brésil et l'Inde demandent instamment à la Chine de réévaluer sa monnaie.
Les prétendants à la succession de Lula
Dilma Rousseff La dauphine
Elle l'appelle « le grand maître », il lui donne en public du « Dilminha »(« ma petite Dilma »). Lula a voulu que Dilma Rousseff, son chef de cabinet, lui succède, aussi est-elle officiellement candidate. Mais elle manque terriblement de charisme. Le président a tout fait pour lui transmettre son savoir-faire et son sens du contact. Mais n'est pas Lula qui veut...
José Serra Le challenger
L'heure de la dernière chance a sonné pour ce politicien de São Paulo : le jour de ses 68 ans, le social-démocrate José Serra a annoncé sa candidature à la présidence. En 2002, il avait échoué face à Lula. Opposant à la dictature militaire des années 60, cet économiste, ancien parlementaire, maire et gouverneur de São Paulo, ex-ministre de Cardoso, incarne l'alternance.
6,8% de croissance
C'est la prévision de Morgan Stanley pour le Brésil en 2010 (la zone euro, elle, devrait se contenter de 1%...). Après une croissance nulle en 2009, tout est reparti. Depuis son plongeon d'octobre 2008, la Bourse de São Paulo est passée de l'enfer à l'euphorie. C'est aujourd'hui l'une des plus rentables du monde. Des secteurs ont souffert, comme les mines ou l'aéronautique, mais les concessionnaires automobiles se frottent les mains : grâce aux baisses de taxes, les ventes ont explosé. « Président des pauvres », Lula s'est fait applaudir au Forum de Davos et siffler par les altermondialistes de Porto Alegre. Tandis que Hugo Chavez au Venezuela se prenait pour le Bolivar du XXIe siècle, le paisible Lula a profité des années de croissance pour payer ses dettes. Résultat, dès 2006, le Brésil avait remboursé sa lourde dette au FMI. Désormais autosuffisant en pétrole, il est aussi devenu en 2008, pour la première fois, créditeur net, avec 200 milliards de dollars de réserves. Seul risque, souligné par les analystes : une éventuelle « surchauffe ». Au moins un risque que l'on ne court pas en Europe...
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