vendredi 21 mai 2010

Pyongyang mise sur Pékin pour éviter des sanctions après le naufrage du " Cheonan "

Le Monde - International, samedi, 22 mai 2010, p. 6

La responsabilité de la Corée du Nord dans le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan, établie le 20 mai par une commission d'enquête internationale, a provoqué une condamnation quasi unanime. Qualifiée d'" acte d'agression délibéré envers la Corée du Sud " par Washington, " impardonnable " pour Tokyo, " odieux et irresponsable " pour l'Union européenne (UE), la " provocation " de Pyongyang appelle " des mesures énergiques afin que la Corée du Nord admette son méfait sous la pression internationale ", a déclaré le président sud-coréen, Lee Myung-bak.

Dans ce concert, la Chine est demeurée réservée. Qualifiant l'affaire de " malheureuse ", le vice-ministre des affaires étrangères, Cui Tiankai, a souligné, jeudi, la nécessité de maintenir la stabilité de la péninsule coréenne. Le naufrage en mer Jaune, le 26 mars, avait entraîné la mort de 46 marins.

Le régime de Pyongyang, qui a rejeté toute implication, demande une contre-expertise dans le cadre de la commission d'armistice. La Commission de défense nationale, organe suprême du régime, a menacé d'aller jusqu'à une " guerre généralisée " en cas de nouvelles sanctions. Les deux Corées sont en situation d'armistice depuis 1953, mais elles n'ont toujours pas conclu de traité de paix.

Afin de donner plus de poids politique aux conclusions de l'enquête sur les causes du naufrage du Cheonan, le gouvernement sud-coréen avait fait appel à des experts américains, australiens, britanniques et suédois. Ceux-ci ont conclu qu'" une torpille tirée par un sous-marin nord-coréen " est la " seule explication possible " de ce naufrage.

Leur conviction est fondée sur la découverte récente par des pêcheurs de fragments (hélice et partie du système de propulsion) d'une torpille dont les caractéristiques correspondent à celles exportées par la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Sur l'un eux, figure une inscription en alphabet coréen qui signifie " N. 1 ", identique à celle d'une torpille nord-coréenne découverte il y a sept ans, a déclaré Yoon Duk-yong, chef de l'équipe d'experts sud-coréens. Le Cheonan croisait en eaux peu profondes au moment de l'explosion, la torpille aurait été tirée par un mini-sous-marin.

Si la condamnation est unanime chez les alliés de la Corée du Sud, les réponses à ce que l'OTAN a qualifié d'" agression " sont limitées. Séoul a écarté une riposte militaire qui pourrait dégénérer en conflit majeur. Tout en affichant la fermeté, Washington veut éviter d'accroître la tension : les 28 000 soldats américains stationnés en Corée du Sud n'ont pas été placés en état d'alerte.

La suite à donner à l'affaire du Cheonan sera au centre des entretiens que doit avoir ce week-end la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, à Tokyo, Pékin puis Séoul. Tous les yeux se tournent vers la Chine, seule alliée de la RPDC, qui a reçu son dirigeant Kim Jong-il début mai et réaffirmé à l'occasion " l'indéfectible amitié " entre les deux pays.

La Chine a voté les sanctions à l'égard de la RPDC décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU à la suite de ses tirs d'essai de missiles et de son second essai nucléaire au printemps 2009, mais elle a toujours appelé à adopter une attitude mesurée à l'égard du régime Pyongyang. Et il sera cette fois sans doute difficile de persuader la Chine d'adhérer à un renforcement des sanctions, estime Masao Okonogi, spécialiste de la Corée du Nord à l'université Keio à Tokyo.

La prudence de la Chine dans cette affaire semble confirmer que Pékin entend toujours dissocier ses relations avec la RPDC de ses intérêts stratégiques mondiaux. Des analystes à Séoul font valoir que les Etats-Unis ont obtenu le soutien de Pékin en vue de nouvelles sanctions à l'encontre de l'Iran mais que Hillary Clinton pourrait se heurter à une plus forte résistance en ce qui concerne la Corée du Nord, pays aux marches de la Chine, dont la stabilité est pour Pékin une priorité.

Dans un discours à la nation, le 24 mai, le président Lee Myung-bak doit annoncer les mesures décidées par la Corée du Sud en réponse à l'affaire du Cheonan. La suspension de tout contact avec la RPDC - les échanges sont déjà pratiquement gelés - et la fermeture de la zone industrielle conjointe de Kaesong (au nord de la zone démilitarisée), conjuguées à un renforcement du dispositif militaire en coopération avec l'armée américaine, sont envisagées.

Philippe Pons

PHOTO - South Korean marines patrol on Baengnyeong Island near the disputed maritime border between South and North Korea, northwest of Seoul May 20, 2010. North Korea said on Thursday it would take strong measures, including war, if the South imposes sanctions after accusing it of sinking a navy ship, Yonhap news agency said. The North's National Defence Commission said in a statement carried on its state radio, and monitored by Yonhap, that the South's findings blaming it for the sinking of the navy corvette were a fabrication.

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