Le rapport Cyclope, qui fait l'état des lieux du marché des matières premières, pointe la voracité chinoise.
«LA renaissance du Palais d'été.» Ce titre, en couverture de la 24e édition du rapport Cyclope, en dit long sur le parcours d'un pays, de son histoire récente, et de son influence sur le reste du monde : la Chine. En octobre 1860, les troupes anglo-françaises prennent possession du fabuleux Palais d'été de Pékin. Au terme de cette expédition militaire destinée à ouvrir la Chine au commerce occidental (et surtout à l'opium que les Anglais produisent aux Indes), ce Versailles chinois est pillé, incendié. «La Chine représentait 30% du PIB mondial», rappelle Philippe Chalmin, coordinateur du rapport. Le sac du Palais d'été symbolisera le déclin de l'empire du Milieu. En 1976, à la mort de Mao, la Chine ne compte plus que pour 3% du PIB mondial.
Aujourd'hui ? Le renouveau chinois se traduit par une économie dont la santé et le dynamisme frôlent la démesure. Certes, son poids dans l'économie mondiale n'est pas celui d'avant 1860. Mais l'aiguille de la balance de l'économie mondiale affiche un poids relatif de la Chine de près de 8% du PIB mondial. Encore loin derrière la première puissance mondiale, les Etats-Unis (24,6% en 2009), mais tout près de la seconde puissance, le Japon (8,5%).
«incontournable». Bref, au moment où la plupart des experts s'interrogent sur la fragilité de la croissance mondiale en 2010 (estimée aux alentours de 3%), tout le monde s'accorde au moins sur un point : celle de 2009, comme celle de 2010, devra son salut au moteur économique chinois. «On pourra tergiverser sur le niveau de l'euro ou du dollar... Une chose est sûre, ces monnaies ne feront pas l'éclaircie espérée en 2010», souligne Chalmin. Et d'ajouter : «En 2010, la Chine devrait avoir officiellement une croissance de 10%. Mais elle bidouille les chiffres à la baisse pour ne pas affoler le reste de la planète.»«Avec une croissance de près de 12% au premier trimestre 2010, elle est sans doute passée devant le Japon», précise Alessandro Giraudo, collaborateur du rapport. Les Cassandre ne manquent pas de souligner les déséquilibres que suscitent pareille «monstrueuse» croissance : fragilisation de l'appareil bancaire miné par des créances douteuses, bulle immobilière, montée des inégalités. Et surtout : dépendance aux matières premières.
Mais sur ce point, le rapport Cyclope montre que cette apparente faiblesse chinoise est au contraire devenue une force. «La Chine est en effet le premier importateur mondialDe pratiquement toutes les matières premières», souligne-t-il. Du minerai de fer aux métaux non ferreux, du soja au caoutchouc, du coton au charbon, de la laine au papier... «Il est plus facile d'énumérer celle pour lesquelles elle ne pèse pas», ironise Chalmin, citant le café, le blé, le maïs, le sucre ou encore la fève de cacao.
Résultat : la quasi-absence de la Chine dans la demande mondiale de ces matières premières se lit directement dans leurs cours. «Ce sont les seules dont les prix mondiaux n'ont pas pris le cheminDeLa hausse en 2009», précise un membre de l'équipe Cyclope. De même que Pékin, grâce à son autosuffisance, n'influence pas les cours mondiaux du riz. «La Chine est incontournable y compris sur les marchés de l'art, ajoute Philippe Chalmin. Ou encore des petits métaux, tels le gallium utilisé dans la fabrication des panneaux solaires.» Cette boulimie chinoise effraie-t-elle ? La plupart des cours des matières premières ont beau être de nouveaux orientés à la hausse, ce n'est «pas encore au point de fragiliser la situation des populations des pays en développement», estime Chalmin.
«puissance d'achat». Reste que «la position de la Chine est devenue telle sur l'ensemble des marchés mondiaux qu'elle détient in fine l'arme des matières premières», précise le rapport. Ainsi, l'empire du Milieu serait devenu le premier marché mondial automobile. En 2009, près de 14 millions de voitures neuves y ont été vendues, plus 42% par rapport à 2008. Du jamais-vu. Conséquence : l'un des rares produits à afficher, au printemps 2010, un prix supérieur à celui d'avant la bulle des matières premières de l'été 2008 s'avère être... le caoutchouc. Et pour cause. Le parc automobile est trop jeune pour recycler des pneus de première monte en seconde monte. En clair, impossible de faire du neuf avec du vieux faute de pneus à recycler.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets sur le plomb, qui rentre dans la composition des batteries. «La Chine utilise sa puissance d'achat comme une véritable arme diplomatique», note le rapport. Elle a par exemple accordé 60 milliards de dollars (près de 49 milliards d'euros) de crédits à des pays comme le Kazakhstan ou le Turkménistan. En contrepartie ? La fourniture de pétrole.
Cerise sur le gâteau de l'ogre chinois : New York et Chicago ne sont plus les deux premières places où sont fixés les prix de référence pour plusieurs matières premières. La nouvelle élue se trouve à Shanghai. Là où se fixe désormais le cours de référence du minerai de fer...
Par Vitorrio de Filippis
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