Vraie concession ou simple manoeuvre ? Aux Etats-Unis comme en Europe, l'enthousiasme le dispute à la méfiance et à l'incrédulité quant aux réelles motivations de Pékin, qui vient d'annoncer un assouplissement des règles de fluctuation du yuan. Avides d'y voir un peu plus clair sur les perspectives d'une réévaluation, investisseurs et analystes scrutent à la loupe les variations de la monnaie chinoise.
La Banque populaire de Chine s'emploie consciencieusement à brouiller les pistes. Mercredi 23 juin, elle a fixé le cours pivot du yuan - ou renminbi (RMB) - en baisse de 0,18 % par rapport à la veille, à 6,8102 yuans pour un dollar. Mardi, au contraire, la banque centrale avait laissé la devise signer sa plus forte appréciation depuis juillet 2005 : en hausse de 0,43 % face au billet vert, à 6,79 yuans pour un dollar. Le RMB est autorisé à fluctuer quotidiennement dans un couloir de plus ou moins 0,5 % autour de ce cours de référence.
Mais à quel jeu joue donc Pékin ? " La Chine parle de remettre de la flexibilité, il faut essayer de comprendre ce que cela signifie ", fait remarquer Antoine Brunet, de la société d'analyse financière AB Marchés. En clair, le pays concède plus de volatilité de sa monnaie, à la hausse... comme à la baisse. La configuration n'est plus celle de 2005, quand la Chine avait engagé un mouvement lent et constant de réévaluation du yuan (21 % en trois ans), stoppé tout net en 2008. " A l'époque, la hausse avait été de 2 % dès le premier jour, rappelle M. Brunet. Aujourd'hui, rien ne permet de parier sur une revalorisation significative. " D'après une enquête Reuters menée auprès d'une trentaine d'économistes et publiée mardi, le yuan devrait se raffermir de 2,4 % d'ici à la fin de l'année.
Certains ne sont d'ailleurs pas loin de prêter aux Chinois un " plan machiavélique ", comme le suggère l'économiste en chef de Natixis, Patrick Artus. Ce dernier souligne que la devise chinoise, indexée sur le billet vert, a fortement monté ces derniers mois contre un euro malmené par la crise grecque. Or l'Union européenne (UE) est devenue le premier partenaire commercial de la Chine devant les Etats-Unis. La dégringolade de la monnaie unique cause bien du tracas à Pékin. Avec leur nouveau système de change qui se réfère à un panier de devises et non plus au seul billet vert, " si l'euro se cassait la figure, les Chinois feraient sûrement en sorte de déprécier le yuan par rapport au dollar ", juge M. Artus.
Autrement dit, la Chine prouve qu'elle souhaite rester maître du jeu malgré les pressions. Plus de " flexibilité ", d'accord, mais selon ses modalités et à son rythme. En annonçant un assouplissement de son système, elle a concédé un geste éminemment tactique à la veille d'un sommet des pays du G20 à Toronto, prévu du 25 au 27 juin, où elle risquait de se trouver isolée face aux critiques de ses partenaires commerciaux qui l'accusent plus ou moins ouvertement de " manipuler " son taux de change pour soutenir ses exportations.
Reste que le geste chinois n'a qu'à moitié convaincu les Etats-Unis, pourfendeurs de longue date d'un yuan sous-valorisé. Le secrétaire au Trésor américain, Timothy Geithner, est resté circonspect : tout en saluant la décision, M. Geithner a exhorté Pékin à la mettre en oeuvre de façon " énergique ". Au Congrès américain, avant-poste de la lutte contre les pratiques commerciales chinoises, la fronde ne faiblit pas. Les sénateurs doutent que les modestes concessions de Pékin puissent contribuer à réduire le colossal déficit commercial vis-à-vis de la Chine. Ils ne comptent pas renoncer à leur projet de loi visant à imposer des sanctions sur les importations chinoises.
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