Les mots, pour le Parti communiste chinois, ont leur importance. Depuis que le mouvement de revendications salariales secoue de sombres recoins de « l'atelier du monde », la presse chinoise a reçu pour consigne de ne pas employer le mot « grève ». On lit donc qu'ici ou là, des ouvriers ont « arrêté activement le travail ». Une formule qui ne manque pas de sel. Et le département de la Propagande du Parti, et non le gouvernement, a fini par donner pour consigne aux rédactions de cesser la couverture de ces soubresauts sociaux. Preuve de l'embarras croissant devant la fronde des travailleurs.
Le premier ministre chinois a lui aussi soigneusement évité le vocable subversif. Il a été hier le premier haut dirigeant chinois à s'exprimer sur le sujet depuis le début du mouvement, le mois dernier. Mais Wen Jiabao a tenu un discours d'empathie pour ces ouvriers migrants, à qui la Chine doit « sa prospérité et ses grands buildings » et que toute la société doit « traiter comme ses propres enfants ». Il s'est cependant gardé de se prononcer sur le fond des exigences actuelles, une hausse des salaires.
Nombre d'observateurs s'accordent à penser qu'au moins au début le gouvernement chinois n'a pas vu d'un mauvais oeil l'émergence de ces revendications salariales pressantes. Certains estiment même que Pékin a savamment orchestré le mouvement, qui va dans le sens du soutien à la consommation intérieure, sa grande priorité. On a vu pour preuve que le gouvernement poussait à la roue, que dans le Guangdong, par exemple, la très officielle Fédération nationale des syndicats a préconisé une forte hausse du salaire minimum. En 2007, une nouvelle loi sur le contrat de travail avait été instaurée. Mais la crise de 2008 a largement permis aux entrepreneurs, notamment ceux de la rivière des Perles, de gommer toutes les avancées en revenant en arrière sur les salaires ou les conditions de travail. Et aujourd'hui, le gouvernement ne serait pas fâché que ces patrons subissent un petit rappel à l'ordre.
Soit. Mais il ne faut pas que l'histoire s'emballe. Et la capacité des travailleurs migrants à communiquer par Internet ou par Texto avec leurs téléphones portables est un nouveau facteur de risques. Pour l'heure, les dirigeants chinois ont noté avec satisfaction que les revendications étaient purement économiques. Un problème « salariés-patrons », sans contestation du pouvoir. Les experts des think-tanks gouvernementaux ont d'ailleurs recommandé au gouvernement de se tenir le plus possible en retrait, limitant l'intervention visible des autorités locales ou des forces de police, même s'il y a eu des exceptions. Le discours réservé de Wen Jiabao, le visage social du régime, va dans ce sens.
Le phénomène devient plus inquiétant quand les ouvriers commencent à demander à désigner eux-mêmes leurs représentants au sein du syndicat officiel autorisé. Voire à pouvoir créer leurs propres syndicats indépendants. On déborde alors sur le terrain politique, en heurtant de front le sacro-saint principe du contrôle de tout le champ social par le Parti. Tout l'embarras des dirigeants chinois se situe là. Comment lâcher éventuellement du lest sur ce terrain, sans rien sacrifier sur l'essence du système? Le compromis devrait consister à rendre plus efficaces les canaux de communication entre salariés et patrons.
Si ces demandes de syndicats indépendants devaient prendre de l'ampleur, il faut s'attendre en revanche à un changement d'attitude de Pékin, avec notamment l'embastillement des meneurs. Les dirigeants chinois ont forcément à l'esprit l'exemple polonais, où un diable de syndicat avait ébranlé un pays, puis un empire.
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