Au BIT, Pékin vante sa «paix sociale»
Les jeunes ouvriers chinois se révoltent? Hors de ses frontières, Pékin n'en propage pas moins son modèle de sortie de crise et de dialogue social. Il n'y avait pas assez de sièges, jeudi dernier au siège du Bureau international du travail (BIT), pour écouter le panel de discussion organisé par la mission de Chine auprès des Nations unies à Genève sur le thème «Surmonter la crise: une expérience chinoise». «La prochaine fois, prévoyez une salle plus grande. On veut tous apprendre de la Chine», a fait remarquer un délégué syndical ougandais qui s'était déplacé pour cette 99e Conférence internationale du travail.
Auréolée de chiffres de croissance du PIB qui flirtent à nouveau avec les 9%, la méthode chinoise fait figure d'oracle. Wang Yadong, le directeur du Département de la promotion de l'emploi au Ministère des ressources humaines et de la sécurité sociale, a résumé ainsi la situation: la crise mondiale de 2008 a entraîné en Chine la perte de 13 millions d'emplois. Un plan massif d'investissements de l'Etat pour les années 2009 et 2010 doit permettre d'en créer 22 millions. Les grandes entreprises d'Etat - qui n'ont pas licencié - et l'embauche dans le secteur public ont en grande partie amorti le choc de la chute des exportations. A présent, le défi est de stimuler la demande intérieure qui doit prendre le relais comme moteur de la croissance.
Face a un public essentiellement composé de syndicalistes de pays du Sud, la délégation chinoise a toutefois fait passer un autre message: son succès devrait beaucoup à son modèle de paix du travail. Flanqué du directeur du Département de liaison international de l'Acftu (l'unique centrale syndicale chinoise), Jiang Guangping, et du directeur de la Confédération des entreprises de Chine, Li Jianming, Wang Yaodong a mis en exergue l'excellente coopération du gouvernement et des partenaires sociaux - qui sont tous en dernier ressort contrôlés par le Parti communiste, mais cela n'était pas précisé.
Un exemple? Pour répondre à la crise, les trois acteurs ont lancé l'«Initiative pour un engagement commun» afin de trouver le «meilleur accord pour les travailleurs et les entrepreneurs pour maintenir les emplois et les salaires». Fin 2009, 630?000 entreprises ont souscrit à cet «engagement social» et 84 millions de travailleurs en ont bénéficié. «Ces efforts ont évité des licenciements massifs et des coupes salariales», a expliqué Jiang Guangping. Après des applaudissements nourris, plusieurs représentants africains ont exprimé leur voeu de bénéficier d'une telle expérience de «coopération tripartite».
Seul un délégué marocain a brisé le consensus avec cette question: «De plus en plus de travailleurs chinois viennent dans mon pays. Qu'en est-il des libertés syndicales en Chine?» Wang Yadong l'a renvoyé à l'article 35 de la Constitution chinoise, qui garanti la liberté de parole et d'association. Puis il a précisé: «Notre système de syndicat est basé sur l'histoire, la réalité et la volonté du peuple chinois. Chaque pays est différent.» La multiplication des troubles sociaux depuis une décennie montre pourtant les limites d'un système où le syndicat unique est en réalité aux ordres d'un parti qui a jusqu'ici fait le choix des intérêts du capital face à ceux des travailleurs au nom de la «stabilité sociale». «Paix sociale» rime avec ordre autoritaire du capitalisme «made in China».
C'est le problème clé. L'une des revendications des grévistes de Honda - c'est nouveau en Chine - est précisément l'élection démocratique de représentants syndicaux indépendants et l'établissement d'un mécanisme de négociations collectives. Ce combat pourrait bien faire tache d'huile et remettre en question l'«harmonie» imposée par le PCC.
Interrogés sur ces grèves par Le Temps, les trois officiels envoyés par Pékin ont eu cette même réponse: «Il n'y a rien d'anormal, c'est comme en Europe, il y a des grèves partout.» Jiang Guangping, dont le syndicat unique enregistre 220 millions de travailleurs, se fait soudain militant: «Les contradictions entre le capital et le travail sont naturelles. Je suis très content des victoires remportées par les travailleurs dans les usines japonaises (Honda) et taïwanaises (Foxconn)». Et dans les entreprises chinoises? «Peut-être que cela se produira à l'avenir, mais leurs salaires sont plus raisonnables», enchaîne l'officiel, qui situe ainsi parfaitement les limites de l'exercice.
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