jeudi 17 juin 2010

Affaire Bettencourt : Les enregistrements secrets du maître d'hôtel - Hervé Gattegno

Le Point, no. 1970 - Société, jeudi, 17 juin 2010, p. 70,71

Affaire Bettencourt. Les conversations de la milliardaire avec ses proches, captées à leur insu, révèlent une femme sous influence.

Un cliquetis de porcelaine et d'argenterie, le bruit d'une porte qui s'ouvre, des sièges que l'on déplace, les aboiements d'un chien, des voix qui se rapprochent. En tendant l'oreille et en fermant les yeux, vous êtes à Neuilly, dans l'hôtel particulier de Liliane Bettencourt. Au premier étage, dans un bureau voisin de sa chambre, la milliardaire reçoit ses conseillers, ses confidents. Défilent autour d'elle les hommes qui gèrent sa fortune : son chargé d'affaires, son notaire, ses avocats. Ils lui parlent fort, car elle entend mal, et en détachant chaque syllabe. Elle leur répond faiblement - parfois, ses mots s'évanouissent dans un murmure confus. Aucun d'entre eux ne sait que leurs conversations sont enregistrées.

De mai 2009 à mai 2010, l'un des maîtres d'hôtel de la femme la plus riche de France a disposé dans la pièce un petit enregistreur caché dans une pochette de feutrine noire. Ainsi a-t-il surpris les secrets de l'incroyable thriller mondain dont elle est devenue l'héroïne involontaire - c'est-à-dire la victime. Ces enregistrements, consignés sur 28 CD-ROM, ils les a remis à la fille de la vieille dame, Françoise Bettencourt-Meyers. Et celle-ci les a confiés à la brigade financière. Avec ces échanges volés, c'est un an de manigances et de chuchotements qui soudain se dévoile : l'envers du décor de l'affaire Bettencourt.

« Je ne pouvais plus supporter ce que je voyais », a expliqué au Point l'auteur des enregistrements. Après vingt années passées au service de la famille Bettencourt, l'employé a démissionné, ulcéré de « voir Madame se faire abuser par des gens sans scrupules », dit-il. Le photographe François-Marie Banier, ami et confident de la milliardaire - poursuivi en justice par la fille de Mme Bettencourt, qui lui reproche d'abuser de la faiblesse de sa mère -, y apparaît en bonne place. D'autres aussi, qui lui apportent leur soutien ou lui font concurrence, dans un ballet théâtral qui suscite le malaise.

L'idée du magnétophone ? Le maître d'hôtel jure qu'elle lui est venue « pour[se]défendre ». En 2008, plusieurs domestiques avaient témoigné de l'emprise exercée par Banier sur leur maîtresse; leurs dépositions étayaient les poursuites contre le photographe. Tous ont été limogés.« M. Banier m'a accusé d'être moi aussi allé à la police - ce qui était faux, explique-t-il.A partir de là, j'ai senti qu'on ne me faisait plus confiance. Je me suis senti menacé. J'ai voulu me protéger. » Le contenu des bandes l'a médusé.« Je ne savais de l'affaire que ce qu'en disaient les journaux. Quand j'ai écouté, j'ai compris jusqu'où ça allait. J'ai fait mon devoir envers la famille. »

Au fil des dialogues, de fait, les révélations s'accumulent. La plupart des rendez-vous ont lieu avant le déjeuner. Le plus souvent, ils réunissent l'héritière de L'Oréal et son homme de confiance, Patrice de Maistre, expert-comptable promu directeur général de son holding, Tethys, et de la fondation qu'elle a créée. De suggestions insistantes en sollicitations personnelles, celui-ci reconstitue sans le savoir le puzzle d'une fortune à moitié cachée - et partiellement dilapidée.

On découvre ainsi que l'île d'Arros, aux Seychelles, sur laquelle Liliane Bettencourt séjourne plusieurs fois par an avec sa suite - officiellement en location -, lui a appartenu grâce à un montage financier, invisible, au Liechtenstein. Achetée en 1999 à la famille du chah d'Iran, elle serait devenue la propriété de François-Marie Banier à la faveur d'un tour de passe-passe juridique dont tout indique que Mme Bettencourt fut tenue à l'écart. Le 11 mai 2010, la vieille dame semble découvrir avec étonnement (lire les extraits) que son île n'est plus qu'un paradis perdu - mais pas pour tout le monde...

Le 12 mars précédent, un entretien avec son notaire, Jean-Michel Normand, lui enseigne qu'un testament signé par elle en 2007 a fait du photographe son « légataire universel ». Or les poursuites engagées contre le photographe font craindre à l'entourage la découverte de ce fait stupéfiant. Les enregistrements attestent que Banier lui-même réclame que son nom soit retiré : « Il ne veut plus apparaître », souffle le notaire.« Vous lui avez donné assez d'argent comme ça », répètent à l'unisson conseillers et avocats - même s'ils proclament l'inverse devant les tribunaux...

Par instants, Liliane Bettencourt semble mesurer ce qu'elle fait - ou ce qu'on lui fait faire. Il lui arrive même de temporiser.« C'est très agréable d'avoir de l'argent, dit-elle enjouée à l'un de ses visiteurs;mais il ne faut pas se laisser trop faire, sinon on devient maboule. » Elle connaît les excès de Banier : « Il va venir me demander quelque chose », prévient-elle.« Pas encore de l'argent !» répond de Maistre. Mais la lucidité de la vieille dame est à éclipses - or ce point est au coeur de l'enquête sur les dons consentis à Banier. Autrement dit : elle finit toujours par céder à ses solliciteurs.

Cernée. Aussi apparaît-elle cernée par les profiteurs. Un chauffeur s'est vu offrir un appartement, un garde du corps est couché sur son testament, un médecin qui l'a accompagnée en vacances reçoit 55 000 euros en espèces - tous ont témoigné pour Banier dans l'enquête qui le vise. Le gérant de l'île d'Arros, informé de détails compromettants, a obtenu 2 millions d'euros.

A écouter ces dialogues, la préoccupation de Patrice de Maistre semble être la maîtrise du secret. Au fil des mois, il informe Liliane Bettencourt du transfert de ses comptes suisses vers Singapour -« C'est plus fermé », explique-t-il. Alors qu'une loi récente incite à déclarer les avoirs cachés à l'étranger (contre un impôt forfaitaire), lui préconise l'inverse : « Si on ramène cet argent en France, ça va être compliqué[...]J'ai aussi regardé pour que vous déclariez votre île, mais je pense que c'est trop compliqué et j'ai peur que le fisc tire un fil... » Comment l'aurait-elle déclarée si elle n'en est plus propriétaire ?

Autre découverte : alors que tous affirment la solidité de sa santé, les proches de l'octogénaire lui ont fait signer un « mandat de protection future » qui désigne de Maistre pour administrer ses biens et un professeur de médecine ami de Banier pour veiller à ses intérêts « personnels ». De sorte qu'une mise sous tutelle de Mme Bettencourt aboutirait à leur donner les pleins pouvoirs...« Je fais ça par affection pour vous, lui dit son principal conseiller;je n'ai pas envie que vous tombiez dans les pattes de votre fille... »

La préparation du procès de Banier, fixé au début de juillet, les mobilise également. Au cours d'une réunion, l'intéressé s'enquiert de ce qu'il pourrait dire à la justice - et au Point- pour éluder certaines questions gênantes.« Il faudrait que vous me trouviez quelque chose à dire », demande-t-il à de Maistre, en quête d'une « solution d'homme d'affaires ». Tous deux avancent ensuite à voix haute plusieurs hypothèses.

« Ce procès, on va le gagner ?» interroge la milliardaire - preuve qu'elle se situe encore au côté du photographe contre sa propre fille. Son entourage lui répond avec optimisme : « En première instance, on ne peut rien faire de plus, mais en cour d'appel, si vous perdez, on connaît très bien le procureur. L'Elysée suit cette affaire de très près... » Après la révélation de ces enregistrements, cela suffira-t-il encore ?

Extraits

« Banier a été violent avec vous, c'est inacceptable... »

L'homme de confiance de la milliardaire attire son attention sur les excès de comportement de son favori.

Patrice de Maistre, directeur général de Thethys (holding de la famille Bettencourt), Liliane Bettencourt. 29 octobre 2009.

- Patrice de Maistre : Banier est très gourmand.

- Liliane Bettencourt : Il est brillant... mais il ne sait pas se tenir.

- Avec moi, il n'a jamais franchi la barrière. S'il essayait, je peux vous dire que ça ne se passerait pas bien entre lui et moi. Et vis-à-vis de vous, je crois qu'il vous a apporté beaucoup, c'est vrai - c'est un homme intelligent et créatif - mais par ailleurs, je vous ai vue une ou deux fois où il a été violent avec vous et ça c'est inacceptable.

- Il n'est pas élevé et...

- ... et il a un grain ! Vous savez, cette histoire avec votre fille, il ne veut jamais s'arrêter !

- Françoise ?

- Non, lui, François-Marie. Je lui ai dit : si on gagne le procès, il faut tourner la page; mais lui ne veut pas.

- Il a besoin de mordre...

- Oui, comme un chien de chasse. Il a besoin d'attraper quelque chose.

- Et quand on s'y attend le moins...

- Et il mord pas mal ! Il y a très peu de gens qu'il aime bien. Quand je suis venu chez lui la première fois, au début, il n'en revenait pas. Il m'a dit : « Je suis très heureux que vous veniez. » Je lui ai dit : « Moi, quelqu'un dont on dit tant de mal, j'ai toujours envie de le connaître. »

« Il ne faut pas qu'il me tue. »

La milliardaire prise dans ses contradictions : elle admire Banier mais il ne lui fait pas que du bien...

Patrice de Maistre, Liliane Bettencourt. 7 avril 2010.

- Patrice de Maistre : Comment ça se passe avec Banier ?

- Liliane Bettencourt : Il m'écrit... C'est quelqu'un que j'aime beaucoup, il est très intelligent, très... Mais il me tue. Ce n'est pas du tout quelqu'un de banal.

- Non.

- C'est toujours comme ça, il devient trop exigeant. Me donner ça, me donner ça...

- Il ne sait pas s'arrêter.

- Il a un tempérament extraordinaire ! Il boufferait tout, il a une santé incroyable... Mais il ne faut pas qu'il me tue.

- Il ne faut pas qu'il vous tue.

- Alors je vous dis, d'abord, je ne le vois plus en dehors de la maison. Je l'ai vu deux fois... C'est énervant parce qu'il est très intéressant !

- Comme vous dites : s'il ne vous fait pas de mal, c'est très bien, mais il ne faut pas qu'il vous...

- On frise, avec lui on frise le... Mon garde du corps - comment s'appelle-t-il ?

- Alain.

- Alain me dit : « Faites attention, il vous fatigue quand vous le voyez. » (...) alors je le vois à des moments où je peux souffler. Et vous ?

- Moi ? Je ne l'ai pas vu depuis un bout de temps...

« Personne ne le sait. C'est complètement secret. »

La milliardaire comprend qu'elle a légué toute sa fortune à Banier. Le notaire lui confie que, dans la perspective du procès, celui-ci ne veut plus apparaître.

Jean-Michel Normand (notaire), Liliane Bettencourt. 12 mars 2010.

- Jean-Michel Normand : Je voulais vous demander : est-ce que François-Marie Banier vous a dit qu'il fallait changer des dispositions ?

- Liliane Bettencourt : Qu'il prenait d'autres dispositions ?

- Non. Qu'il souhaitait, si vous voulez - on en a parlé avec François-Marie Banier - que vous preniez d'autres dispositions que celles que vous avez prises à son profit. Il préfère...

- Il préfère quoi ?

- Ne plus apparaître.

- Comme quoi ?

- Comme légataire.

- Obligataire ?

- Non, légataire. Vous savez, l'acte qu'on a signé...

- On peut peut-être l'annuler alors ?

- Ce qui serait bien...

- Ah oui, il ne veut pas être dans la succession.

- Voilà.

- Mais est-ce qu'il est dans la succession ?

- Oui, vous l'avez mis.

- Oui, mais il y a longtemps !

- Oui, mais il y est. C'est ça le... Ce qu'il faudrait, c'est prendre une disposition pour désigner un autre légataire universel. Comme la Fondation [Schueller-Bettencourt] ou l'Institut Pasteur, etc. Ce serait très bien, ça. (...)

- Moi je crois qu'il a envie de sortir de ça de manière à ce qu'on ne puisse jamais prétendre...

- Exactement.

- Je vais faire le point avec lui. Alors on l'enlève de la succession ? complètement ?

- Complètement.

- Bon, très bien.

- Mais il faut mettre quelqu'un à sa place.

- Oui. Et vous avez quelqu'un ?

- Je pensais à la Fondation et à l'Institut Pasteur - parce que c'est un organisme d'Etat, donc ça donne une force...

- Vous avez le testament ?

- Oui. Je ne l'ai pas là, mais je...

- J'avais laissé à François-Marie combien ? Quelle proportion ?

- Légataire universel.

- C'est-à-dire ?

-(Il baisse la voix) Tout.

- Ah, non...

- Eh si...(Il sourit) C'est vous qui me l'avez dit.

- C'est qui, c'est moi ?

- C'est vous qui me l'avez dit.

- Non, allons, il ne faut pas... Il faut régler ça tout de suite. Vous disiez ça... qu'il sorte...

- Oui mais il faut désigner un légataire universel. (...)

-Bon. D'abord, vous avez enlevé François-Marie Banier... Parce que ça pèse beaucoup sur lui. Il était ravi, sur le moment...

- Oui...

- Vous croyez qu'on le lui reproche souvent ?

- Personne ne le sait. C'est secret, pour le moment. Complètement secret. Mais le jour...

- Evidemment.

« Je ne veux pas que votre fille ou quiconque soit au courant. »

Le gestionnaire des comptes de la vieille dame use de son influence auprès d'elle pour se faire accorder assez d'argent pour s'offrir un voilier. Mais il lui faut la somme en espèces...

Patrice de Maistre, Liliane Bettencourt. 23 octobre 2009.

- Patrice de Maistre : Je vais être simple et c'est un peu délicat. Vous m'avez dit il y a deux, trois jours, que vous... Est-ce que vous avez toujours envie de me faire un cadeau ? Si voulez faire quelque chose, il faudrait que ça soit en Suisse, pas ici. Et ça me permettrait d'acheter le bateau de mes rêves, voilà.

- Liliane Bettencourt : Le bateau ?

- Oui. Que je voudrais acheter. Mais vous voyez, c'est du superflu. Je peux très bien vivre sans.

- Très bien. Alors, comment fait-on ?

- Il faut que je voie comment faire revenir de l'argent ici.

- De Suisse ?

- Voilà. Qu'on vous le donne et qu'après, vous puissiez me le donner.

- Vous savez combien j'ai là-bas ?

- Pour ne rien vous cacher, G. m'a dit que vous aviez un gros compte, mais il m'a dit qu'il voulait vous en parler. Je crois que vous avez 60 ou 80 millions d'euros. Mais moi, vous ne m'en avez jamais parlé...

- Il faut que ce soit vite ?

- Pour moi, c'est un immense plaisir mais je vivrais sans...(Rires) Mais oui, il faudrait que ce soit assez vite. Donc si vous êtes d'accord, je vais voir comment on peut faire, mais je ne veux pas que quelqu'un soit au courant, parce que vous savez que j'ai signé quelque chose comme quoi je suis votre protecteur, donc je ne peux pas faire cela. Donc il faut que ce soit de la main à la main. Je ne veux pas que votre fille ou quiconque soit au courant. Je vais voir comment c'est faisable. Comme vous n'avez pas oublié, je voulais vous en parler. Quand je vais aller en Suisse, je vais voir s'ils peuvent ramener de l'argent car c'est très difficile maintenant. Déjà, si vous êtes d'accord, c'est formidable. Parce que j'adore le bateau. Je peux peut-être arriver à le faire en Suisse.

- Les Français sont vicelards, hein ?

- Oui, je suis méfiant.

- (...)

- On peut faire venir le banquier et vous pouvez lui dire que vous voulez qu'il remette ça à quelqu'un qui sera pour moi, mais qui ne sera pas moi. Si vous lui demandez de remettre cette somme à quelqu'un dont vous lui donnerez le nom, il sera d'accord.

- A vous ? Vous irez le chercher en Suisse ?

- Non, pas moi ! Je vais trouver quelqu'un pour ça. Je ne veux pas que le banquier sache que c'est pour moi. Je ne veux pas qu'on puisse me... en tout cas, si vous le faites, je serai très heureux.

« Le notaire lui a dit que c'était de la folie ! »

La milliardaire est prête à modifier son testament mais elle redoute la réaction de Banier. Elle aimerait autant que le notaire ne lui en dise rien...

Patrice de Maistre, Liliane Bettencourt. 4 mars 2010.

- Patrice de Maistre : Point très important : j'ai déjeuné avec Normand [Me Jean-Michel Normand, notaire de Mme Bettencourt et de M. Banier] hier. Pour le moment, le testament est chez lui et c'est François-Marie Banier qui aura tout ce que vous avez; or vous lui avez déjà donné beaucoup d'argent.

- Liliane Bettencourt : Attendez, il sait tout ce que j'ai ? François-Marie sait quoi ?

- Non, il sait que vous avez fait un testament et Normand lui a dit que c'était de la folie... Parce que vous avez déjà donné beaucoup d'argent à Banier et que si...

- Ah, il a dit ça...

- Si en plus vous lui léguez tout ce que vous avez, ça va faire une guerre.

- Moi, je ne serai pas là !(Ils sourient.)

- ... Banier a dit à Normand qu'il était d'accord, que c'était de la folie.

- Banier a dit ça ?

- Oui. Votre notaire m'a dit que vous aviez fait des testaments à un certain nombre de gens à qui vous voulez donner de l'argent. Pour le reste, vous avez indiqué que Banier était légataire universel, c'est-à-dire qu'il avait tout le reste.

- Légataire universel ? Mais enfin, il peut commencer par faire sauter ça !

- Il faut que vous réfléchissiez à qui vous voulez donner : votre fondation, vos petits-enfants... Je pense que vous avez assez donné à Banier.

- Oui mais attention à une toute petite chose : c'est que lui, quand il veut quelque chose... et d'autant plus quand vous êtes dans la mouise - et je l'ai été quand même plusieurs fois.

- Mmmh. Oui.

- Non, non, je me sens tout à fait libre... Mais le notaire... Est-ce que vous pensez que si j'annule, il ira le dire à Banier ?

- Non, il n'a rien à dire, il est tenu au secret.

- Il vous en a parlé, à vous !

- (Embarrassé) Il m'en a parlé mais seulement pour dire : « En tant que notaire, je sais que ce testament sera gravement contesté » et il m'a dit que Banier était d'accord.

- Est-ce qu'il pourrait, lui, entamer cette conversation avec Banier ?

« J'ai voulu offrir une île à Banier ? »

Son homme de confiance explique à la vieille dame comment elle a été dépossédée de son île aux Seychelles (l'île d'Arros)... au profit de Banier; 20 millions d'euros ont été versés en Suisse pour l'entretien du domaine, mais aucune facture n'est honorée depuis des mois. Qui va payer ?

Patrice de Maistre, Liliane Bettencourt, 11 mai 2010.

- Patrice de Maistre : On voit François-Marie.

- Liliane Bettencourt : Qu'est-ce qu'il veut, d'abord ?

- C'est moi qui veux. Il y a trois ou quatre ans, vous avez mis d'Arros dans une fondation pour lui.

- Maintenant, il veut la rendre ?

- Non. Vous l'avez transportée...

- D'Arros, c'est l'île ?

- Oui mais d'Arros était dans une fondation qui vous appartient. Me G. est venu me voir il y a quatre ans et ils ont fait tout un truc.

- Avec qui ça a été fait ?

- Avec G. C'est lui qui a monté ça avec un avocat qui s'appelle T. Un avocat suisse qui me dit qu'il vous a vue. Moi, je ne m'en suis pas occupé. (...) En même temps, ils ont pris 20 millions d'euros...

- Pour ?

- ... Et ils les ont mis dans la nouvelle fondation. Celle de François-Marie.

- C'est beaucoup d'argent. (...)

- Donc maintenant, l'île appartient à cette fondation...

- Mais quelle île ?

- D'Arros. Ça, a priori, ça va aller chez François-Marie Banier un jour. Bon, ça c'est votre décision, mais je voudrais au moins que cette fondation paie l'entretien de l'île; elle a 20 millions d'euros à vous !

- Attendez, comment puis-je faire pour que l'île, puisqu'elle a été payée...

- Ça, c'est encore un autre sujet. Pour le moment, je pense qu'elle ira chez François-Marie. Bon, après tout, pourquoi pas ? Mais je veux au moins que la nouvelle fondation, à qui vous avez donné 20 millions, paie l'entretien de l'île. Vingt millions, c'est plus de dix ans d'entretien pour l'île. Vous voyez, il faut donner à peu près 1,7 million par an. Donc, je voudrais dire ça à François-Marie et que vous lui disiez qu'il faut qu'il le fasse.

- Mais il ne se sent pas gêné de se trouver avec cette île ? A quelle heure il arrive ici ?

- A 6 heures.

- Quand même, est-ce qu'on ne peut pas trouver curieux que cette île qui m'appartenait se trouve entre les mains de cet avocat ?

- Oui mais ça, c'est vous qui l'avez bien voulu. C'est vous qui avez signé les papiers.

- Pour François-Marie ?

- Oui. Dans cette fondation. Donc ça, ça ne me dérange pas, mais...

- Alors attendez, la fondation a l'île ?

- La fondation est propriétaire.

- Et cette fondation appartient à qui ?

- Officiellement à personne.

- Et officieusement ?

- A François-Marie.

- Ah.

- Mais oui...(Sourire gêné.) Mais c'est une décision que vous avez prise il y a quatre ans, ça !

- J'ai voulu lui offrir une île ?

- Ben, vous avez dû décider de lui donner ça. Mais le problème n'est pas là; c'est qu'il faut au moins qu'il entretienne l'île. (...) Il faudrait qu'il appelle l'avocat et qu'il lui dise de payer. Il peut quand même pas jouer à l'imbécile comme ça !

« Ça vous regarde puisque vous êtes le bénéficiaire ! »

Peu après, l'homme de confiance de la milliardaire tente de persuader Banier d'assurer l'entretien de l'île. Mais celui-ci esquive, élude, fait comme s'il ignorait tout de l'affaire et finit par proposer... que Mme Bettencourt rachète l'île qu'elle lui a cédée !

Patrice de Maistre, Liliane Bettencourt (silencieuse ), François-Marie Banier. 11 mai 2010.

- Patrice de Maistre : J'ai expliqué à Liliane Bettencourt, il s'agit d'Arros. G. a créé avec Me T., comme vous le savez, une fondation, il y a quatre ans (...) ça a été fait sous votre contrôle. Moi, je n'ai pas été dans le coup. Je lui ai dit qu'on faisait une connerie mais enfin, bon.

- François-Marie Banier : Non, pas du tout sous mon contrôle parce que moi j'avais dit à Liliane qu'il fallait qu'elle achète l'île (...)

- En tout cas, ce n'est pas moi qui ai introduit G.

- Non.

- Aujourd'hui, il y a donc une fondation, gouvernée par Me T., que vous connaissez. Cette fondation a reçu 20 millions d'euros, comme vous le savez...

- Ça a été fait totalement en dehors de moi. (...)

- Je vous demande, puisque vous êtes le propriétaire de l'île et que vous avez de l'argent là-bas, de bien vouloir payer ça. Ça coûte 1,6 ou 1,7 million par an. J'ai même dit que je ferais payer un petit peu plus par Liliane Bettencourt; je peux augmenter un peu le loyer, pas trop - c'est quand même l'argent qui part de ses chèques et je fais tout pour pas qu'il y ait de scandale, euh, voilà. Mais Me T., je n'ai pas la main sur lui et donc je vous demande d'agir...

(Pendant ce temps, Mme Bettencourt s'est endormie. Elle respire bruyamment.)

- Mais moi, il ne m'écoutera pas plus !

- Pardon ?

- Il ne m'écoutera pas plus.

- Ecoutez, vous savez quand même que c'est vous le destinataire ultime de l'île.

- Oui, mais ils s'en foutent. Il ne le fera jamais parce que ce sont des gens très, très malhonnêtes. (...)

- Il faut quand même que vous agissiez. François-Marie, Me T. m'a regardé droit dans les yeux et il m'a dit : « Mme Bettencourt n'est plus propriétaire de cette île. » Je lui ai dit : un, ça ne me regarde pas et deux, je n'ai rien à redire. Vous voyez, je ne suis pas intervenu. Mais maintenant, il faut que vous le voyiez. C'est quand même pas moi qui l'ai trouvé, T. !

- Attendez...

- Ecoutez, je fais beaucoup de boulot (pour préparer le procès). Je me tape plein de trucs. Maintenant, cette histoire-là, avec François-Marie Banier, ce que vous savez, Mme Bettencourt, ce que vous savez, la petite île dans une fondation au Liechtenstein, c'est vraiment ce dont on n'a pas besoin ! Donc je voudrais que vous fassiez ce qu'il faut. (...)

- Alors attendez. Est-ce que vous êtes contre... que Liliane achète ?

- Ah non, moi je ne veux pas qu'on y touche ! J'ai monté tout ça, on a tout démonté. C'est vous qui avez envoyé G., c'est pas le pape ! Moi j'ai monté tout ça avec une assurance-vie au Luxembourg qui rachetait le truc, et elle pouvait...

- Vous me faites rire. On ne peut pas savoir que quelqu'un gère malhonnêtement et que quand je dirai quelque chose à Mme Bettencourt, elle fera le contraire ! Et qu'est-ce que j'ai comme force vis-à-vis de G. s'il me dit : ça ne vous regarde pas ?

- Mais ça vous regarde puisque c'est vous le bénéficiaire !

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