lundi 28 juin 2010

INTERVIEW - « Le gouvernement utilise les religions comme des intruments de contrôle »

La Croix, no. 38699 - Religion et spiritualité/Dossier, samedi, 26 juin 2010, p. 15

Grand historien des religions, Li Tiangang explique le réveil spirituel chinois par la quête d'un bonheur étouffé depuis trente ans par la recherche de l'enrichissement matériel

Le gouvernement chinois a-t-il changé sa vision très négative sur les religions ?

Li Tiangang : - La perception traditionnelle du régime, qui voyait dans les religions uniquement de la superstition et de la manipulation de l'esprit a pratiquement disparu aujourd'hui dans les faits. Même si on peut retrouver dans certains discours quelques séquelles de cette ancienne idéologie. Pour autant, le gouvernement chinois utilise maintenant les religions comme des instruments de contrôle afin d'assurer une stabilité au sein de la société. Nous avons donc encore un problème, il faut faire attention. Pour nous croyants, le Christ et l'État, par exemple, doivent être bien distincts, et nous séparons la vie publique de la vie privée. Le régime communiste n'accepte toujours pas cette distinction. Les cinq religions officielles chinoises (bouddhisme, taoïsme, islam, protestantisme, catholicisme) restent sous contrôle politique et le régime demande directement aux leaders religieux aujourd'hui d'être bien formés, accueillants, attrayants même afin que les croyants les respectent et surtout les écoutent. Pékin voit une dimension très positive dans les religions, au service de la société.

Comment percevez-vous l'explosion du protestantisme en Chine ?

Je suis un peu inquiet car ce ne sont pas des missionnaires étrangers qui sont à l'origine de cette expansion, mais les Chinois eux-mêmes. C'est très particulier. Les Chinois ont une Bible, lisent et étudient ensemble, appellent un pasteur et s'organisent en petites communautés. Des gens pauvres se tournent vers l'Église et rejettent le gouvernement, ce qui va poser des problèmes et des conflits à l'avenir. Nous, intellectuels chrétiens ou pas, essayons de convaincre les autorités que le danger ne vient pas de l'étranger mais de l'intérieur afin qu'elles laissent de côté leur perception ancienne héritée du XIXe siècle sur les missionnaires étrangers. Le gouvernement doit gérer ce problème purement chinois afin d'éviter la naissance de mouvements très radicaux, très sectaires, qui pourraient s'en prendre directement au régime.

Feriez-vous une comparaison similaire avec les catholiques clandestins ?

Non. Eux ne représentent pas un danger pour le régime. Ils existent en nombre important mais Pékin maîtrise bien les catholiques maintenant sur le plan religieux et ne les perçoit pas comme des « comploteurs ». L'Église catholique a une structure bien claire et aux yeux du régime les catholiques chinois sont disciplinés, ils obéissent, même au sein des clandestins. Ce qui n'est pas le cas chez les protestants où les autorités sont très éclatées.

Que dire de l'évolution du bouddhisme en Chine aujourd'hui ?

Les fidèles se multiplient plus vite que les chrétiens. Il s'agit de la culture chinoise la plus importante après le taoïsme. De plus la pratique n'est pas compliquée. Vous allez au temple, vous achetez des offrandes, vous priez et vous serez protégés par Bouddha. Par ailleurs les monastères bouddhistes sont riches, grâce aux fidèles mais aussi aux fonds que le gouvernement donne pour rénover et attirer les touristes, qui à leur tour rapportent beaucoup d'argent.

Comment expliquez-vous ce regain d'intérêt et de pratiques religieuses en Chine ?

Nous sommes tous en quête du bonheur, riches ou pauvres car durant ces 30 dernières années nous avons perdu cette valeur si précieuse. Le père des réformes économiques, Deng Xiaoping a promis aux Chinois qu'ils allaient s'enrichir et ils ont abandonné les valeurs sociales et humaines de la sérénité, du bonheur et de la dignité. On voit le résultat aujourd'hui. « J'ai tellement travaillé dans ma vie, j'ai de l'argent mais je suis de moins en moins heureux » se disent les gens. Alors ils se tournent vers les religions, le spirituel, le réconfort de l'âme. Le mouvement s'amplifie de jour en jour et j'espère que la société va s'humaniser aussi progressivement.

Li Tiangang, professeur au département des religions de l'université Fudan de Shanghaï.

Propos recueillis par Dorian Malovic


« L'État protège les activités religieuses ordinaires »

Derrière l'article 36 de la constitution chinoise de 1981 sur la liberté religieuse s'organise tout de même un contrôle politique systématique.« Les citoyens de la République populaire de Chine bénéficient de la liberté de croyance religieuse. Aucun organe de l'État, aucune organisation publique ou individuelle ne peut forcer un citoyen à croire ou à ne pas croire dans une religion ; pas plus qu'on ne peut faire preuve de discrimination à l'égard de citoyens parce qu'ils croient ou ne croient pas à une religion. L'État protège les activités religieuses ordinaires, personne ne peut utiliser la religion pour mener une activité troublant l'ordre public, mettant en péril la santé des citoyens ou s'ingérant dans le système éducatif de l'État. Les organismes religieux et les affaires religieuses ne peuvent être soumis à un pouvoir étranger. »

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