Lou Ye, fils de comédiens, est né en 1965 à Shanghai. En 1994, son premier film, Week-End Lover, portrait d'une jeunesse sans repères, est privé de distribution pendant deux ans. Suzhou River, histoire d'amour tournée clandestinement en 2000, lui vaut un prix au Festival de Rotterdam et une interdiction de travailler pendant deux ans en Chine. En 2006, il présente Une jeunesse chinoise, sur la répression des manifestations étudiantes Place Tian Anmen, à Cannes, et est à nouveau interdit de tourner en Chine pendant cinq ans.
Nuits d'ivresse printanière, coproduit par Hong Kong et la France, Prix du scénario à Cannes en 2009, est aussi interdit en Chine. Mais Lou Ye continue. Il vient de tourner à Paris l'adaptation de Bitch, livre autobiographique de Jie Liu-Falin, interdit en Chine. Une histoire d'amour entre une jeune professeur chinoise et un ouvrier français, rôle tenu par Tahar Rahim, le héros d'Un prophète. De quoi tester une nouvelle fois les limites de la censure chinoise.
Être homosexuel en Chine et le montrer, est-ce facile ?
Bien sûr que non mais la perception de l'homosexualité en Chine a fort évolué. Les homosexuels ne sont plus considérés comme des « anormaux », des malades, même par les autorités. Mais comme le montre le film, ils ne sont libres que dans l'ombre. Comme le titre chinois le suggère, dans la société actuelle, ils peuvent humer et profiter du vent, mais pas dans la lumière... En fait, ma situation personnelle fait écho à cela : j'ai pu tourner mon film, mais on m'a censuré. C'est typique.
Pourquoi avoir transposé un roman d'amour de 1933 dans le milieu homosexuel ?
Parce que l'amour n'a pas de frontières. Il touche tout le monde, pas seulement les milieux dits « normaux ». Si on s'en tient à l'individualisme pur, de nos jours, il peut nettement plus servir la société chinoise que des actions de groupe. En ce sens, un amour individualiste est plus dangereux pour les autorités qui ne voient jamais d'un bon oeil l'émergence d'individualités.
Que ces mêmes autorités bannissent de la société chinoise ?
Vous savez, être banni ou réprimandé a toujours fait partie de l'histoire chinoise. Des concerts sont annulés et, en télé, il n'est pas rare que des scènes déprimantes, où l'on voit notamment des gens pleurer, soient éliminées juste avant la diffusion d'un film. En Chine, le sourire est de rigueur. Officiellement, tout va bien, et on est prié de le montrer. C'est d'un ridicule !
Malgré l'émergence d'internet ?
Qui permet, c'est vrai, de véhiculer une information et des images alternatives. D'ailleurs, chaque nouvelle censure est dorénavant raillée sur le Net ! Cela n'empêche qu'encore maintenant, le Bureau de la Censure - une poignée de responsables, en fait - décide encore ce qu'un milliard de gens peut regarder, connaître ou non. Là, je suis mis sur la touche pour cinq ans. Cinq ans pendant lesquels on me condamne à ne même plus « penser » cinéma. Vous imaginez ? J'espère vraiment être le dernier réalisateur chinois censuré dans son propre pays !
En quoi la Nouvelle Vague vous a-t-elle influencée ?
J'ai vu beaucoup de films de la Nouvelle Vague quand j'étais à l'Académie du film de Pékin. J'adore cette manière qu'elle a de poser les vraies questions, de revenir à l'essence même de la cinématographie. D'inciter à se demander la raison profonde qui mène un réalisateur à tourner. Je trouve ça sain et motivant, et sans doute davantage maintenant à l'heure où les productions deviennent plus imposantes et plus onéreuses. Je crois que, comme les réalisateurs de l'époque, mes films naissent avant tout d'un vrai désir.
FABIENNE BRADFER
© 2010 © Rossel & Cie S.A. - LE SOIR Bruxelles, 2010
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