Le point de vue des chroniqueurs de l'agence économique Reuters Breakingviews
La Chine connaît une période de tensions sociales, mais il est encore trop tôt pour parler d'inflexion historique. Le pays n'est pas près de perdre l'atout d'une main-d'oeuvre bon marché.
On pourrait croire que les grèves chez Honda, Hyundai et Foxconn indiquent que la Chine est arrivée au « point de retournement » de Lewis. C'est ce qui se passe quand la population active d'un pays vient à manquer, qu'elle est devenue plus qualifiée et qu'elle ose réclamer des hausses de salaires. Il se produit alors une élévation structurelle du coût du travail. En réalité, le processus est à peine amorcé en Chine. Les grèves récentes et les augmentations de rémunération qui en ont résulté relèvent davantage d'épiphénomènes locaux que d'un véritable mouvement de fond. La main-d'oeuvre est abondante, mais pas présente là où il le faudrait. La moitié de la population environ habite encore en zone rurale.
Trois facteurs font obstacle à la mobilité des travailleurs : le système du « hukou », le livret d'enregistrement de résidence, le fait que certaines réformes foncières inachevées empêchent les familles de quitter leur terre, et un dispositif très intéressant de subventions à la vie rurale.
Les revendications salariales sont une composante naturelle du cycle économique. La Chine traverse apparemment une phase de surchauffe. Dans ces conditions, les pénuries temporaires de main-d'oeuvre sont inévitables.
Pour que l'élévation des salaires devienne un véritable phénomène structurel, il faudrait que l'agitation sociale se diffuse plus largement... ce qui est très improbable. Jusqu'à présent, les grèves n'ont touché que des entreprises étrangères. Aux yeux des dirigeants du pays, la chose reste tolérable et pourrait même se révéler utile dans la mesure où elle fait sentir aux capitalistes étrangers qu'il n'est plus aussi confortable d'opérer en Chine. En tout cas, elle a au moins le mérite de détourner l'attention des inégalités abyssales qui se creusent entre population urbaine et population rurale.
De toute façon, Pékin ne permettra pas que les troubles s'aggravent. Le contrôle du Parti communiste sur les syndicats est très efficace. Le tournant historique, quand il sera approprié d'employer ce terme, surprendra vraisemblablement par sa vitesse. La population chinoise vieillit avant d'avoir pu s'enrichir, une situation atypique par rapport à d'autres économies ayant eu des trajectoires de développement similaires. Mais aujourd'hui, il est franchement prématuré de voir dans ces grèves le signe que l'ère de la main-d'oeuvre sous-payée touche à sa fin en Chine.
© 2010 SA Le Monde. Tous droits réservés.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire