lundi 28 juin 2010

OPINION - Une aubaine pour Pékin - Bruno Philip

Le Monde - Samedi, 26 juin 2010, p. 9

La Chine, qui dispose d'un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, entend assurer sa position grandissante au premier plan de la scène mondiale tout en continuant à se présenter comme un pays en développement : elle refuse de se faire accrocher l'embarrassante étiquette de puissance majeure, qui ne présente pas que des avantages diplomatiques...

Pour Pékin, la formation d'un G20 a ainsi été une aubaine : appartenir à ce club élargi de pays réunis pour des raisons purement économique, à l'exclusion de toute autre valeur, lui a permis de sortir de son rôle marginal dans le G8 - auquel la Chine n'a d'ailleurs jamais voulu formellement adhérer. Elle se sent plus à l'aise dans un groupe où les pays émergents sont fortement représentés.

« Pékin veut maintenir d'étroites relations avec des pays comme le Brésil, l'Inde, l'Indonésie ou le Mexique; le G20 permet à la Chine de rehausser son statut international et même d'en faire un acteur central dans les circonstances actuelles où elle apparaît comme le principal créditeur du monde face à des puissances industrialisées qui sont presque toutes débitrices ou endettées », analyse Jean-Pierre Cabestan, spécialiste de la politique étrangère chinoise et professeur à l'université baptiste de Hongkong.

La Chine a recours à des stratégies diverses et complémentaires afin de poursuivre son ascension, qu'elle qualifie d' « émergence pacifique » : elle veut imposer son image d'interlocuteur indispensable. Elle n'hésite pas à jouer des différences entre le Fonds monétaire international (FMI) et l'Organisation mondiale du commerce (OMC), auprès de laquelle elle se plaint, à tort ou à raison, des mesures « protectionnistes » américaines ou européennes tout en défendant son propre marché dont elle limite l'accès aux étrangers.

Elle a aussi recours aux méthodes douces, son fameux « soft power » : en vantant la culture millénaire chinoise, en multipliant les projets d'aide au développement de pays pauvres et en promouvant la langue chinoise dans le monde, elle espère améliorer une image très dégradée par les pratiques autoritaires et brutales de son régime.

« Multilatéralisme »

« Cacher ses talents en attendant son heure », recommandait, dans les années 1980, l'ancien numéro un chinois, Deng Xiaoping. Désormais, s'il joue encore formellement sur le registre de l'humilité, cet empire solidement ancré au milieu du monde donne de la voix dans le concert discordant de la scène mondiale.

Avec le pragmatisme et l'intelligence stratégique qui la caractérisent, la Chine sait faire le dos rond quand les pressions sont trop fortes après avoir résisté autant que possible et le plus longtemps possible : elle martèle son opposition à des sanctions contre l'Iran au nom du principe cardinal de « non-ingérence dans les affaires intérieures d'autrui », mais elle s'est jointe récemment à une résolution de sanctions contre Téhéran votées à l'Organisation des Nations unies (ONU). Elle critique son embarrassant allié nord-coréen quand il dépasse le degré acceptable de provocations, tout en le défendant quand la Corée du Sud accuse son voisin nordiste d'avoir torpillé un de ses navires de guerre... En même temps, à l'exception de la France, la Chine est le membre permanent des Nations unies qui aligne le plus grand nombre de missions de maintien de la paix.

Il existe une « volonté très nette des dirigeants chinois de faciliter l'émergence d'une multipolarité dans laquelle la Chine aurait une place importante. Pékin s'est mué en champion du multilatéralisme, refusant toute forme d'hégémonie d'une puissance sur la scène internationale. Cette stratégie, que nous qualifierons de propre aux puissances moyennes, a le mérite de servir l'image de la Chine sur la scène internationale », observe Barthélémy Courmont dans son Chine, la grande séduction, essai sur le soft power chinois (Choiseul, 2009).

G20 ou G2 ? : Entre les deux pôles de cette alternative, Pékin ne choisit pas vraiment : comme l'avance encore Jean-Pierre Cabestan, « la Chine laisse les Américains propager ce concept de G2 [laissant entendre que les affaires mondiales sont gérées par Pékin et Washington] qui sert ses intérêts en ce sens, qui la place au-dessus des autres grandes puissances. En d'autres termes, la Chine ne se perçoit plus simplement comme une grande puissance, mais comme la seule grande puissance capable de se mesurer avec les Etats-Unis ».

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