mardi 22 juin 2010

OPINION - Yuan : une réforme bienvenue mais limitée - Claude Meyer

Le Figaro, no. 20493 - Le Figaro, mardi, 22 juin 2010, p. 16

Professeur à Sciences Po *, l'auteur prédit les effets sur l'économie mondiale de l'annonce de l'assouplissement de la politique

de change de la Chine. La banque centrale de Chine vient d'annoncer durant le week-end l'assouplissement tant attendu de sa politique de change. Elle l'a fait en deux temps, le 19 juin en indiquant que la sortie de crise permettait désormais une plus grande flexibilité dans la gestion du yuan, le lendemain en précisant qu'il ne fallait pas en attendre une réévaluation immédiate de la devise chinoise. Stratégie de communication très habile, puisqu'elle permet à la Chine de ne pas se trouver en position d'accusée lors du prochain G20 à Toronto mais aussi de rassurer les exportateurs chinois.

En fait, il s'agit d'un retour à la réforme de juillet 2005 qui remplaçait le lien fixe au dollar par un flottement contrôlé de la devise chinoise par indexation sur un panier de devises. Cette réforme avait entraîné une appréciation du yuan contre dollar de 21 % en trois ans, jusqu'à ce que les autorités décident en juillet 2008 de geler à nouveau la parité yuan-dollar en raison de la crise.

L'assouplissement du régime de change chinois a été immédiatement salué par les États-Unis et la Commission européenne, qui considèrent que la sous-évaluation du yuan renforce abusivement la compétitivité des produits chinois et constitue un avantage déloyal. Cette décision devrait réjouir aussi certains pays émergents qui souffrent de la concurrence chinoise, notamment l'Inde, le Brésil et certains pays de l'Asean.

Pourtant, la nouvelle politique de change répond davantage à des impératifs internes qu'au souci d'apaiser les tensions avec ses partenaires. La crise a mis en évidence une extrême dépendance de la Chine aux exportations qui impose un rééquilibrage de la croissance vers le marché intérieur. La consommation des ménages représente seulement 38 % du PIB, soit dix points de moins qu'en 1978. Une appréciation graduelle du yuan augmenterait le pouvoir d'achat en réduisant le coût des importations mais surtout elle permettrait le rééquilibrage sectoriel et géographique de la croissance, en incitant les exportateurs de produits de masse à monter en gamme et en déplaçant le centre de gravité de l'industrie, des provinces côtières vers celles du Centre et de l'Ouest. Par ailleurs, elle freinerait l'inflation et libérerait la politique monétaire, prisonnière d'un lien fixe au dollar qui limite l'autonomie de la banque centrale en matière de taux d'intérêt.

Les Occidentaux, États-Unis en tête, peuvent en effet saluer la décision chinoise, car elle est de nature à réduire une partie des déséquilibres internationaux. Ils auraient tort cependant d'en attendre des miracles à l'échelle de leurs déficits commerciaux : certes, la pénétration en Chine de produits américains et européens meilleur marché en sera facilitée, mais la progression des exportations chinoises ne sera sans doute que faiblement ralentie. La majeure partie des biens exportés est constituée de produits à bas prix, dont la compétitivité repose sur le différentiel des coûts de production avec les pays partenaires. Au total, selon certains calculs, une forte réévaluation de 25 % ne réduirait que de 20 % le déficit bilatéral des États-Unis avec la Chine et de 5 % seulement leur déficit commercial total. D'ailleurs, l'appréciation de plus de 20 % du yuan contre dollar entre juillet 2005 et juillet 2008 n'a eu qu'un impact limité sur le déficit américain.

Il reste que la nouvelle politique de change chinoise constitue une bonne nouvelle pour le rééquilibrage de l'économie mondiale, sous réserve que l'appréciation du yuan, même progressive, soit très soutenue. Des excédents courants de 6 % du PIB en 2008-2009, voire de 10 % avant la crise, constituaient une anomalie dangereuse pour un pays émergent. Par ailleurs, le massif plan de relance a entraîné une explosion du crédit bancaire alors que le gel de la parité yuan-dollar durant la crise a obligé la banque centrale chinoise à s'aligner sur les très faibles taux d'intérêt américains. Le risque de la poursuite d'une telle politique était donc d'alimenter une bulle monétaire de grande ampleur, comme celle que le Japon a connue durant les années 1986-1989. Désormais, sous le double effet de la réorientation de l'économie chinoise vers le marché intérieur et d'une appréciation du yuan qu'il faut espérer soutenue, les excédents commerciaux chinois devraient progressivement se réduire. À terme, cette double évolution ne sera pas sans influence sur les relations entre les économies chinoise et américaine qui souffrent de contraintes symétriques : le taux d'épargne est excessif en Chine mais insuffisant en Amérique, qui a besoin de l'épargne chinoise comme la Chine a besoin du marché américain. Dans l'attente d'une pleine convertibilité du yuan à moyen terme, l'assouplissement par la Chine de son régime de change contribuera surtout à réduire ses déséquilibres internes. Pour le rééquilibrage de l'économie mondiale, il reste sans doute aux États-Unis à faire leur part du chemin en stimulant leur taux d'épargne pour réduire le recours à l'endettement extérieur.

* Dernier ouvrage paru : « Chine ou Japon quel leader pour l'Asie ? », Presses de Sciences Po, 2010.

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