Comment peut-on soutenir l'équipe du pire régime politique du monde ? Les sélections sont les emblèmes de l'identité nationale d'un pays. La Corée du Nord, dernier régime totalitaire, suscite un rejet global tant des gouvernements que des opinions du monde entier. Même la Chine, ancienne alliée, ne veut plus voir son image associée à Kim Jong-il au moment où elle veut se donner une image de puissance responsable. D'ailleurs, Pékin réalise cent fois plus d'échanges commerciaux avec Séoul qu'avec Pyongyang.
Pourtant, même face à l'hyper-populaire Brésil, l'équipe nord-coréenne recueillait encore compréhension et même soutien des amateurs de foot. Ce paradoxe s'explique aisément. Le public, notamment le plus populaire, qui regarde le football, a un éternel réflexe de prendre partie en faveur du faible contre le fort. Entre l'équipe considérée comme la meilleure du monde, classée n° 1 par la FIFA, et celle qui, avec sa 115e place, est la moins bien placée à participer à la Coupe du monde, le public prend naturellement le parti de David contre Goliath. C'est un syndrome, bien connu en Coupe de France, où la tendresse se porte sur le " Petit Poucet ". Un autre élément joue plus encore. Même si le régime nord-coréen va essayer de récupérer à son profit d'éventuels bons résultats de l'équipe, les spectateurs savent faire la différence entre les joueurs et le gouvernement, entre la nation et le régime, et personne ne pense que la population soutient le régime, mais plutôt qu'elle le subit. Les joueurs nord-coréens ne sont pas considérés comme les ambassadeurs du dictateur Kim Jong-il mais, à l'instar du peuple nord-coréen, comme les victimes d'un système d'un autre âge.
Un sondage a été réalisé en Corée du Sud, pays le plus menacé par le régime de Pyongyang. La question était : " Quelle est la nation pour laquelle vous avez le plus grand sentiment d'hostilité ? " La Corée du Nord arrivait en troisième position derrière la Chine et le Japon, dont le système politique et économique est pourtant plus proche de celui de Séoul mais avec qui l'histoire a laissé de vives plaies. Pour les Sud-Coréens, leurs miséreux cousins du Nord (le PIB de la Corée du Nord représente 2 % de celui de la Corée du Sud) sont plus à plaindre qu'à blâmer.
Les matches sont retransmis en Corée du Nord avec 24 heures de décalage. Toujours est-il qu'à Pyongyang, ceux qui ont regardé le match ont vibré pour l'équipe de Corée du Sud après sa victoire contre la Grèce (2-0). Un journal japonais citait un résident de Pyongyang affirmant que s'il n'aimait pas le régime sud-coréen, il aimait son peuple. On a l'effet miroir en Corée du Sud. La nature ultra-dictatoriale du régime nord-coréen exonère la population, et donc son équipe de foot, de ses turpitudes.
L'équipementier italien Legea a conclu un accord de sponsoring pour 5 millions d'euros avec les Nord-Coréens. Il sait que son image sera associée à la Chollimas, pas à Kim Jong-il.
Pascal Boniface
Pascal Boniface est directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
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