mercredi 23 juin 2010

Xu Ge Fei, le miracle à la chinoise - Romain Brethes

Le Point - Culture, mercredi, 23 juin 2010

Xu Ge Fei est née dans un camp forestier de Mandchourie il y a trente ans. A Paris, elle invente la BD franco-chinoise.

Surtout, ne pas se fier au titre déconcertant de ce récit autobiographique, digne d'un roman Harlequin. Ne pas succomber non plus au sourire de son joli auteur, Xu Ge Fei, 30 ans. Car ce que propose Petite Fleur de Mandchourie, c'est une sorte de rêve chinois. Quant à Fei, elle est une redoutable femme d'affaires et une éditrice de bandes dessinées en vue de la scène parisienne depuis la parution de son premier album consacré à une figure mythique de la Chine médiévale, le juge Bao.

Originaire d'Antu, née dans un camp forestier communiste, Fei retrace dans Petite Fleur de Mandchourie ses pérégrinations improbables de Shanghai à Paris, en passant par New York et Honolulu. Forte d'une hérédité singulière (son grand-père paternel était un brillant intellectuel, son père bûcheron et sa mère responsable de la cantine du camp), la jeune femme décide d'échapper à un destin tout tracé d'employée anonyme et de parcourir la Chine à la recherche d'elle-même. Le lecteur assiste alors à une étonnante chrysalide, où Fei devient serveuse dans un restaurant à prostituées à Dalian, se fait entretenir par un jeune Californien à Shenzhen avant de filer à Shanghai, où son aplomb et sa passion pour l'anglais lui ouvrent les portes d'une entreprise de pétrochimie. Mais, toujours insatisfaite, elle met le cap sur Paris sur les conseils de Jim, un fantasque écrivain sino-canadien. Le séjour parisien débouche sur une quête incongrue : se lancer dans l'édition, afin de permettre à la France de découvrir les trésors de la culture chinoise, par la bande dessinée ! "La BD sert à apprendre", dit Fei, rappelant le rôle des "livres de petites gens", ces BD à bas prix, avec une case ou deux par page, dans l'éducation du peuple chinois.

Conquête chinoise

Le premier volume des aventures du juge Bao, sorte d'Eliot Ness du XIe siècle qui se bat contre les spéculateurs, a ainsi fait l'événement au dernier Festival d'Angoulême. Atout précieux : il s'agit de la première BD franco-chinoise, avec au scénario un Français et au dessin un Chinois, maître du dessin traditionnel sur gravure. Malgré le succès, Fei reste prudente sur le futur de sa maison d'édition.

Une nouvelle rencontre, avec Christian Gallimard, le frère d'Antoine, a été, dit-elle, déterminante : "Il a lu mon business plan . Quelque temps après, alors que j'étais en Italie pour négocier les droits du "Juge Bao", il m'a appelée pour que je l'accompagne en Chine pendant quinze jours pour un voyage d'affaires. Là, il m'a expliqué toutes les subtilités du monde de l'édition, tout en me répétant que, pour réussir, il fallait également raconter ma vie et l'envoyer sous forme de synopsis à Bernard Fixot en septembre. En octobre, ce dernier m'a répondu favorablement. Et cela s'est passé exactement comme M. Gallimard l'avait prévu." Avec la sortie conjointe du deuxième volume, somptueux, des aventures du juge Bao, et de ce récit de vie écrit en collaboration avec Patrick Marty, c'est une nouvelle page de la conquête chinoise qui s'écrit ici. Pacifique, culturelle et diablement séduisante.

© 2010 Le Point. Tous droits réservés.

Bookmark and Share

0 commentaires: