mercredi 23 juin 2010

DOSSIER - DSK est-il de droite ?




L'Express, no. 3077 - france COUVERTURE, mercredi, 23 juin 2010, p. 40-53

Il est le champion des sondages, mais les socialistes s'en méfient dès qu'il agit comme patron du FMI ou qu'il s'exprime sur les retraites. Un jour peut-être Dominique Strauss-Kahn voudra rassembler les Français. Aujourd'hui, il divise la gauche. Enquête sur son parcours, ses théories et sa pratique.

Des notes, Michel Pébereau, haut fonctionnaire au Trésor au début des années 1980, en a reçu des fournées. Trente ans plus tard, le président de BNP Paribas n'a pas oublié celle-ci, datée de fin 1981. Son contenu - les menaces que la démographie fait peser sur les régimes de retraite - témoigne d'une insolite lucidité, mais ce sont ses auteurs qui ont marqué le banquier : Denis Kessler et Dominique Strauss-Kahn. L'un fut son stagiaire au Trésor, l'autre, son élève à Sciences po.

S'il était resté ce qu'il devenait alors, Strauss-Kahn serait aujourd'hui un spécialiste mondial de l'épargne et du patrimoine, consacré, peut-être, par un prix Nobel - le rêve perlé de sa vie - comme le fut ce Franco Modigliani, dont il a longuement étudié les travaux. Mais qui connaît M. Modigliani, l'économiste, pas le peintre ?

D'autres sirènes ont attiré l'universitaire, qui en font désormais un candidat possible à l'élection présidentielle, un sigle - DSK - et une cible. La petite phrase prononcée le 20 mai sur France 2 par le directeur général du Fonds monétaire international (FMI) - sur la retraite à 60 ans, "je ne pense pas qu'il faille avoir de dogme" - a nourri son procès en droitisme. Face à Pierre Moscovici, Jean-Luc Mélenchon (voir page 52)n'ose pas s'attaquer à celui qui fut, comme lui, ministre du gouvernement Jospin, mais disqualifie le patron du Fonds et sa politique de droite.

Chauve-souris du bestiaire français, DSK occupe une place difficile à assumer en France. Social-libéral pour ceux qui le détestent, social-démocrate pour ceux qui le soutiennent. Gilles Finchelstein, directeur général de la fondation Jean-Jaurès, fait partie de la seconde catégorie. "Dominique Strauss-Kahn est le tenant d'une social-démocratie rénovée. Il remonte aux socialistes du xixe siècle pour dire qu'il faut d'abord combattre les inégalités au moment où elles se forment et non pas seulement après qu'elles se sont formées", nous dit-il. L'économiste Daniel Cohen, proche de DSK, le classe "clairement à gauche parce qu'il croit au rôle de l'Etat. Une attitude qui reste un marqueur, même si la droite est capable de pragmatisme." Autre ami économiste, Jean Pisani-Ferry, directeur du think tank Bruegel, nuance : "Dans le contexte international, le keynésianisme de DSK et son rejet des dogmes libéraux le classent à gauche. Dans le contexte français, c'est plus compliqué puisque la droite est également keynésienne et interventionniste. Toutefois, ses références, ses prises de position en matière sociale, ses choix parfois hétérodoxes, comme les emplois-jeunes ou la CSG, sont clairement de gauche." C'est le problème et la chance de DSK : il ne se démarque pas vraiment d'une droite française plutôt dirigiste et régulatrice. Mais il séduit aussi une partie de ses électeurs.

A HEC, il sèche le cours de marketing pour "incompatibilité idéologique"

Ses convictions, DSK les a forgées le long d'un parcours intellectuel qui en fait un composite plus qu'un monolithe. Son intelligence est de celles que les concepts et les maths font jubiler. Jean-Marie Le Guen, député PS et strauss-kahnien fidèle, souligne sa manière "d'aller chercher les savoirs authentiques sans se contenter de la note de l'énarque". François Villeroy de Galhau, directeur de cabinet de Strauss-Kahn à Bercy (1997-1999), confirme : "Il veut toujours savoir comment ça marche. Il démonte le réveil, pour inventer ensuite la meilleure des manières de le remonter." Ce curieux fut un client précoce des nouvelles technologies. Villeroy se rappelle cette réunion, au rez-de-chaussée de Matignon, où de son BlackBerry - ce smartphone faisait son apparition - DSK avait envoyé une note à la secrétaire de Lionel Jospin, au premier étage. Celle-ci l'avait imprimée et remise au chef du gouvernement, durant cette même réunion. Une performance !

De son père, Gilbert, membre du Grand Orient - lui-même refusa d'y entrer - DSK a épousé la passion pour la raison et l'humanisme de gauche. Un penchant renforcé par l'influence de son mentor en politique, Jean Pronteau, lui aussi franc-maçon. Docteur en économie, agrégé en sciences économiques, diplômé d'HEC, en droit, en sciences politiques, en administration publique, en statistiques, Strauss-Kahn, boulimique d'études, est d'abord un mandarin. "En matière d'élitisme, ils sont pires que les énarques-polytechniciens", ironise l'un de ses amis. DSK entre en politique par la porte de gauche, puisqu'il adhère à l'Union des étudiants communistes. "Mais ses actes militants [il est alors élève d'HEC] se cantonnent au strict registre de la symbolique. Une petite grève contre les frais d'études. Et une décision personnelle, dont la bravoure ne saute pas aux yeux : il sèche ostensiblement les cours de marketing, pour cause d'incompatibilité idéologique", racontent Vincent Giret et Véronique Le Billon dans leur excellente biographie, LesVies cachées de DSK (Seuil, 2000).

En 1972, DSK est embauché par André Babeau, qui dirige alors le Centre de recherche économique sur l'épargne (Crep), un laboratoire du CNRS. "Après vingt minutes d'entretien, je me suis dit : "Quelle flèche !"" raconte Babeau. Avec Denis Kessler, ami et complice de DSK, ils forment une équipe qui voyage, fréquente les économistes américains les plus brillants, innove. Strauss-Kahn entre au PS en 1975. Babeau découvre que les parois sont parfois poreuses. "Il m'est arrivé de retrouver dans les travaux du PS le résultat d'études du Crep, encore non publiées", raconte-t-il. En 1979, un article sur les inégalités amène à DSK la notoriété au sein du parti : il commence à tirer les dividendes politiques de son investissement intellectuel.

Des convictions souvent amollies par les contingences politiques

Devenu l'économiste des années Jospin (premier secrétaire de 1981 à 1988), "il est l'adepte d'un réformisme soutenable, c'est-à-dire faire tout ce qu'il est possible dans une économie où la rupture n'est pas possible. Il n'est ni partisan d'un nationalisme antieuropéen à la Chevènement ni de l'école dérégulatrice à la Rocard", analyse un député strauss-kahnien. En 1988, il est chargé par Lionel Jospin de travailler à la "Lettre à tous les Français", le programme du candidat Mitterrand à la présidentielle. Le nouveau Premier ministre, Michel Rocard, reprendra deux de ses idées pour les appliquer : le RMI et la CSG. De celle-ci, il est davantage le promoteur - rôle dans lequel il excelle - que l'inventeur.

Incarnant alors le courant majoritaire, DSK va se droitiser. Très précisément le 19 juin 1994, quand il tente, en vain, de s'opposer à la prise du parti par Henri Emmanuelli. Avec, au coeur de la discorde, la question des 35 heures. L'économiste qu'il est doute que le partage du travail permette de créer des emplois. Mais l'Histoire est malicieuse, et c'est lui qui devra mettre en scène cette pièce maîtresse du programme du PS. "Sachant qu'il a un déficit de gauche, il se montre allant sur le sujet", affirme Pierre Moscovici.

C'est une constante du personnage : ses convictions sont fortes, fondées et originales ; sa pratique est souvent amollie par la prudence et les contingences politiques. Devenu ministre de l'Economie du gouvernement Jospin, il espère que la négociation, la souplesse et le sur-mesure l'emporteront. En vain. "Les 35 heures vont nous coûter un point de PIB", confiera-t-il alors.

A Bercy, il peut appliquer ses idées keynésiennes, car la période s'y prête. Les emplois-jeunes (350 000 jobs financés par le public), idée totalement hétérodoxe et coûteuse qu'il a défendue pendant la campagne ? Un moyen de retrouver la confiance, indispensable à la croissance. La hausse de la fiscalité nécessaire pour entrer dans l'euro ? La conjoncture, bien meilleure que prévu, le dispense de frapper les ménages. Il se contentera d'augmenter l'impôt sur le bénéfice des sociétés après une discrète négociation avec son ami Denis Kessler, devenu l'un des dirigeants du CNPF, ancêtre du Medef : moyennant cette surtaxe temporaire, Kessler obtient l'oubli d'une promesse électorale de Jospin, l'intégration de l'outil de travail dans l'impôt sur la fortune.

Ministre, il veut créer les richesses avant de les redistribuer

Ce "schumpéterien" (voir l'encadré page 42)veut libérer les énergies créatrices. Le ministre défend une économie de la production contre la rente, affirme qu'il faut créer des richesses avant de les redistribuer. Il promeut la nouvelle économie, baisse la taxe professionnelle, privatise à tour de bras, en profite pour restructurer et crée le géant franco-allemand EADS.

Mais la gauche plurielle renâcle devant les stock-options et les fonds de pension. Il y renonce. S'est-il suffisamment battu ? "Il n'est pas du genre à se faire marcher dessus pour que ses idées passent, note un haut fonctionnaire de Bercy. Je n'ai jamais ressenti qu'un sujet pouvait être vital pour lui. Ce relativisme est aussi sa force. Il écoute, voit la nouveauté des arguments et peut être convaincu."

Les idées, d'ailleurs, il ne cesse de les chercher. Il réunit régulièrement son équipe en séminaires de cabinet, conçus comme un festival d'intelligence. Le ministre redevient alors "prof de fac", chacun arrive avec sa contribution, l'émulation est forte, la réflexion, large : on parle lutte contre la pauvreté, ou rôle de l'Etat face à l'instabilité professionnelle, géographique et familiale.

Strauss-Kahn est européen, mais il sait épouser les réserves de son parti. Au moment du débat sur le référendum de Maastricht (1992), il se met dans la roue de Jospin, qui dit "non au non". Il n'a jamais été un défenseur acharné de l'orthodoxie monétaire et budgétaire. Président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale (1988-1991), il désapprouve la politique de Pierre Bérégovoy, des taux d'intérêt élevés pour défendre la parité franc-mark... C'est à la fois une conviction et une posture qui lui permet d'exister. Nommé ministre délégué de l'Industrie et du Commerce extérieur en 1991, il persiste. "Il s'agissait moins à ses yeux d'une question de souveraineté que de garder les moyens du bon dosage entre politique monétaire, budgétaire et fiscale", souligne Paul Hermelin, son ancien directeur de cabinet (1991-1993), resté très lié à lui. S'inspirant de la politique qui réussit alors aux Etats-Unis, il veut des taux d'intérêt bas et une réduction raisonnable des déficits publics. Il n'aime pas que la gauche soit associée au laxisme budgétaire, au tax and spend (taxer et dépenser).

Quand il arrive au FMI, il peut de nouveau appliquer ses idées keynésiennes. Décidément, la chance le poursuit. Il fait tout de suite un choix révélateur, celui d'Olivier Blanchard comme chef économiste. Un professionnel très respecté, considéré comme "à gauche", mais qui, en 2007, a soutenu... Nicolas Sarkozy. Et un keynésien, alors que "le FMI recrutait par tradition chez les monétaristes", souligne Jean Pisani-Ferry. Blanchard secoue la planète financière en lançant un débat hétérodoxe : et si les banques centrales acceptaient un niveau d'inflation un peu plus élevé, 4 % par exemple ?

Au FMI, le sympathique pompier devient le méchant flic

La crise transforme d'abord DSK en généreux sauveur. Dès janvier 2008, il annonce, à Davos, que les Etats qui le peuvent doivent faire de la relance budgétaire. Il a raison, cette prescience lui vaut des compliments américains et un courroux européen. Pourtant, le sympathique pompier va devenir un méchant flic. Très vite, il lui faut intervenir dans des pays en difficulté. Et poser ses conditions. Entre RMI et FMI, il n'y a qu'une lettre de différence, et tout un monde.

Les amis de DSK sentent le danger et s'empressent d'écrire la légende de leur héros, qui a su tempérer les exigences brutales de cette maison. C'est vrai, mais il n'a fait que mettre ses pas dans ceux de ses prédé-cesseurs, Horst Köhler et Rodrigo Rato. En novembre 2008, DSK réunit le personnel du FMI dans un de ces townhall meeting - une tradition américaine - pour préciser ce qu'il attend de lui. Moi, je suis comme vous, dit-il en substance, j'ai envie de changer le monde, mais quand vous allez dans un pays, mieux vaut vous concentrer sur deux ou trois grandes actions afin que les habitants se les approprient, plutôt que sur une longue liste. Et, il demande à ses troupes de mettre en place des mesures qui épargnent les plus vulnérables.

Un étrange mélange d'hédonisme et d'ambition

Ces améliorations, réelles, restent marginales : DSK, plus politique que ses prédécesseurs, sait ajouter le faire savoir au savoir-faire. Il continue pourtant d'imposer les mêmes remèdes, car il n'y en a pas d'autres. A vrai dire, il ne les "impose" pas : formellement, le pays en difficulté et le FMI se mettent d'accord sur les grands paramètres et c'est le gouvernement qui choisit le détail des mesures. Mais le Fonds peut refuser une décision ou en suggérer une autre : dans cette zone grise, le rapport de forces est essentiel.

En France, le passage par la case FMI droitise donc DSK. Pour une question de politique. Et d'argent ? Son salaire annuel - 495 000 dollars net d'impôt - son train de vie, la fortune familiale de son épouse, l'appartement place des Vosges, à Paris, ou le riad de Marrakech ? "C'est un sujet qu'il faudra traiter en amont", reconnaît un proche. Une manière de dire que DSK ne laisserait pas la polémique envenimer la campagne. Certaines réponses sont déjà prêtes : il sera dit que le riad a été acheté par Anne Sinclair avec ses indemnités de départ de TF 1.

DSK, étrange précipité d'hédonisme et d'ambition... En juin 1984, Pierre Moscovici, sorti sixième de l'ENA, téléphone à celui qui fut son professeur pour lui demander ce qu'il pense de l'Inspection des finances : "C'est la meilleure business school française. Vous y restez quatre ans et vous gagnez plein de fric." Et le Trésor ? "C'est un peu moins bien, mais, là aussi, vous faites quatre ans et vous gagnez du fric." Moscovici confie alors qu'il songe plutôt à un poste qui lui permette de réfléchir, car il s'intéresse à la politique. "Vous êtes un peu à gauche ?" Oui, répond l'élève. "Le PS, ça vous tente ?" Encore oui. "Passe me voir demain à mon bureau." En quelques secondes, le temps de passer du vousau tu,le jouisseur a laissé la place à l'ambitieux. Lequel des deux DSK laissera-t-il triompher ?

Corinne Lhaïk




Du chercheur au patron du FMI

1972 Entre au Centre de recherche économique sur l'épargne (Crep), dirigé par André Babeau.

1975 Docteur en économie.Entre au Centre d'études, de recherches et d'éducation socialiste (Ceres), courant du PS dirigé par Jean-Pierre Chevènement.

1978 Agrégé de sciences économiques.

1981 Responsable de la commission économique du PS.

1982 Chef du service du financement du Plan.

1986 Elu député de Haute-Savoie.

1988-1991 Président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale.

1991-1993 Ministre délégué (puis ministre) à l'Industrie et au Commerce extérieur.

1995 Elu maire de Sarcelles.

4 juin 1997 Ministre de l'Economie et des Finances.

2 novembre 1999 Démissionne de ce poste.

2002 Publie La Flamme et la Cendre (Grasset).

2004 Publie Pour l'égalité réelle. Eléments pour un réformisme radical (Fondation Jean-Jaurès).

1er novembre 2007 Devient directeur général du Fonds monétaire international (FMI).



Son image face à Sarkozy - Eric Mandonnet

Nicolas Sarkozy n'a aucun doute. Depuis 2007, il affirme que DSK ne se présentera pas en 2012. Faut-il alors le croire quand il confie à des journalistes, il y a quelques jours : "J'espère qu'il sera candidat, car c'est un garçon (sic) remarquable, qui a de grandes qualités, sinon je ne l'aurais pas poussé pour le FMI" ?

Dans la perspective de la présidentielle, les deux hommes surveillent deux catégories de la population. D'abord les retraités, parce qu'ils constituent une part importante du corps électoral et qu'ils se mobilisent en masse - or, ils sont plutôt acquis à la droite. En raison d'une image de compétence économique précieuse en période de crise financière, DSK effectue une percée dans les sondages auprès des plus de 65 ans. "En termes d'opinion, il est très bien perçu, en termes d'intentions de vote, ses gains sont réels, nettement supérieurs à ceux de Martine Aubry, au point qu'il talonne le chef de l'Etat", note Gaël Sliman, directeur de BVA Opinion.

Seconde catégorie : les ouvriers et les employés, ainsi que cette "France qui se lève tôt", laquelle avait prêté une oreille attentive au candidat Sarkozy. Si les milieux popu- laires se montrent plus dubitatifs vis-à-vis du directeur général du FMI, les classes moyennes sont sensibles à son réalisme et à sa méfiance envers l'assistanat auquel peut être associé le PS - en même temps qu'elles sont déçues par le chef de l'Etat. Ces données sont toutefois à prendre avec précaution. Loin du débat français, DSK est actuellement "hors sol", souligne Gaël Sliman. Ce qui n'est pas vraiment le cas de Sarkozy.


2012 : ira, ira pas ? - Corinne Lhaïk


A Paris, ceux qui le soutiennent invoquent l'histoire ou la psychologie. Pierre Moscovici fait le parallèle avec Jacques Delors, qui, fin 1994, renonça à se présenter à la présidentielle : "L'une des raisons de son refus fut qu'il estimait impossible de gouverner avec un PS trop loin de ses positions. La question se pose aussi pour DSK : pourrait-il mener une politique qui ne serait pas celle du PS ? Si le parti s'est trop éloigné de lui, ou si le parti est trop éloigné de lui, Dominique ne reviendra pas". Il est contredit par Gilles Finchelstein : "Les divergences de 1994 sont sans commune mesure avec celles qui peuvent exister aujourd'hui. A ce moment-là, le parti ne voulait pas gagner l'élection, il estimait qu'il avait pris une trempe méritée aux législatives de 1993. Là, c'est différent, il y a un esprit de responsabilité, car la victoire semble à portée."Paul Hermelin, l'ancien directeur de cabinet (1991-1993) de Strauss-Kahn, sait, lui, que son ami est aussi un joueur de go. "Tel que je connais Dominique, il doit se dire : dans les cinq ans qui viennent, qu'est ce que je peux faire le mieux, participer à la création d'un nouveau modèle mondial d'échanges ou apporter ma pierre à la résolution des problèmes de la France ? Il renoncera à son job au FMI s'il sent qu'il peut faire à Paris quelque chose de décisif et mieux que tout autre."


Moscovici-Mélenchon Pour ou contre DSK - Marcelo Wesfreid

Ils se tapent sur l'épaule en se retrouvant un après-midi de juin dans un café de l'Est parisien. Pendant vingt-cinq ans, ils ont milité ensemble au PS. Forcément, cela laisse des souvenirs. Mais, dès qu'ils abordent le cas "DSK", Pierre Moscovici et le transfuge socialiste Jean-Luc Mélenchon oublient leur complicité. Et croisent le fer. Le premier soutiendra le patron du Fonds monétaire international (FMI) à la primaire, si celui-ci présente sa candidature - sinon "Mosco" pourrait y aller lui-même. Le second a rejoint le Front de gauche, avec les communistes, et n'imagine pas un instant que DSK puisse représenter la gauche. Face-à-face.

Jean-Luc Mélenchon, iriez-vous jusqu'à dire que Dominique Strauss-Kahn est de droite ?

Jean-Luc Mélenchon : Il est membre du PS et a été ministre du gouvernement de Lionel Jospin. Au nom de quoi pourrais-je lui contester son appartenance à la gauche ? Mais, à côté de ce qu'il est, il y a ce qu'il fait au FMI. Et là, son bilan n'est pas de gauche. Il aggrave la traditionnelle politique de brutalité sociale et d'aide à la prédation financière de ses prédécesseurs au FMI. Un homme de droite ne s'y prendrait pas autrement.

Pierre Moscovici : Je suis en total désaccord. Je ne suis pas le porte-parole de Dominique Strauss-Kahn, mais je peux vous dire qu'il n'a pas changé depuis l'époque où je l'ai eu comme professeur d'économie : c'est un keynésien. En clair, il est pour l'économie de marché, mais il pense qu'il ne faut pas attendre du marché qu'il parvienne spontanément au plein-emploi. D'où la nécessité d'injecter des liquidités pour alimenter la croissance. Il a transformé le FMI en augmentant les ressources "prêtables" jusqu'à 860 milliards de dollars, dont 17 sont consacrés au développement de l'Afrique. Il a proposé la création d'un "fonds vert" doté de 100 milliards de dollars d'ici à 2020. La Grèce va recevoir du FMI 30 milliards d'euros et des prêts à 3,5 % d'intérêt, alors que les marchés les proposent à 18 % et que la France et l'Allemagne prêtent à 5 %. En plus, le FMI participe au fonds de stabilisation pour sauver l'euro à hauteur de 250 milliards d'euros.

J.-L. M. : Dans tous les pays où le FMI est passé, de la Lettonie à la Roumanie, en passant par la Hongrie ou la Grèce, l'intervention de cette institution s'est traduite par une diminution du nombre de fonctionnaires, des coupes dans les salaires, l'allongement de l'âge de départ à la retraite et l'augmentation des impôts indirects. Comme redistribution keynésienne, pardon, mais il y a mieux !

Dominique Strauss-Kahn est-il un social-démocrate ou un social-libéral ?

J.-L. M. : Il aimerait être un social-démocrate, mais c'est un social-libéral.

P. M. : On a actuellement besoin de régulation, de relance intelligente et d'une réforme du système international. Trois principes sociaux-démocrates, que partage Dominique Strauss-Kahn.

Quel regard portez-vous sur son bilan à la tête du ministère de l'Industrie (1991-1993) et du ministère de l'Economie et des Finances (1997-1999) ?

J.-L. M. : Son bilan, c'est d'abord celui de Lionel Jospin. Je retiens de son passage à Bercy l'impôt extraordinaire sur les grandes sociétés, qui a permis de récolter 70 milliards de francs, réinjectés dans la consommation. Au final, les comptes sociaux étaient passés au vert. Et l'activité avait repris. En 2001, j'étais ministre de l'Enseignement professionnel. Je me souviens que les patrons se battaient pour trouver de la main-d'oeuvre qualifiée et pourvoir des emplois. Cela a bien changé !

Pourquoi n'évoquez-vous pas les 35 heures ?

J.-L. M. : Parce que ce n'est pas son oeuvre. Il était favorable en 1995 à la semaine de 37,5 heures. Je peux en témoigner : j'ai lutté pendant dix ans avec l'aile gauche du PS pour que soit adoptée la semaine de 35 heures sans perte de salaire.

P. M. : Jean-Luc Mélenchon a raison. Les 35 heures ne sont pas une idée de Dominique Strauss-Kahn. C'est une coproduction, dans laquelle des militants longtemps minoritaires ont joué un rôle déterminant. Je le reconnais : Michel Rocard, DSK, Laurent Fabius et moi-même étions pour une forme de compensation salariale partielle. Mais Dominique Strauss-Kahn a su faire preuve d'intelligence politique. Il n'est jamais interdit d'emprunter les idées des autres quand elles sont justes. Ajoutons aussi qu'il a sorti 350 000 jeunes du chômage, grâce aux emplois jeunes. Il a mené une politique macroéconomique très habile de relance de la consommation et de réduction de la dette publique. Les Français n'ont pas oublié cette époque où une gauche réaliste menait de grandes réformes sociales. C'est ce qui explique la cote élevée de Strauss-Kahn dans les sondages.

Peut-on sauver le capitalisme à Washington et le socialisme à Paris ?

P. M. : Le FMI n'est pas là pour sauver le capitalisme, mais pour aider les pays en crise à sortir de l'ornière. Et un président de la République de gauche n'est pas là pour diriger une France socialiste, mais pour changer le cours des choses, avec ses partenaires. En 2012, il faudra faire une politique de gauche très réaliste, poursuivant une ambition crédible. Si la gauche se pose en donneuse de leçons, comme elle l'a souvent fait dans son histoire, elle risque de se fracasser contre la réalité.

J.-L. M. : Je plaide, moi, pour une vraie rupture, qui consisterait à reprendre le pouvoir à la finance. De gré, si possible. De force, si cela n'est pas possible, par le biais de la loi. Il faudra, entre autres, constituer un pôle financier public. Dans cette période de nécessaire confrontation avec la finance mondiale, la question est de savoir qui aura suffisamment de cran pour entrer dans un rapport de forces. Un responsable qui aura été, pendant cinq ans, l'organisateur en chef des politiques d'austérité dans tous les pays ne me semble pas le mieux placé pour faire exactement l'inverse, au nom de la France.

P. M. : Au contraire, quelqu'un qui connaît bien le système est peut-être mieux à même de se faire entendre et de proposer des options différentes et crédibles.

Pierre Moscovici, comment réagissez-vous quand des leaders de gauche critiquent DSK ?

P. M. : Jean-Luc Mélenchon a dit un jour que les socialistes seraient "barjots" de choisir DSK. Ne disons rien qui puisse insulter l'avenir et compromettre le nécessaire rassemblement de 2012 autour d'une candidature probablement socialiste. S'il est le candidat du PS à la présidentielle, ce sera avec lui que vous devrez traiter. Et c'est avec vous, dans votre diversité, qu'il devrait discuter des conditions du rassemblement.

J.-L. M. : Je déteste ce terrorisme ntellectuel qui veut interdire le moindre débat parce que le PS aurait une collection de vaches sacrées que nous devrions faire semblant d'admirer le moment venu. Strauss-Kahn est un candidat potentiel du PS. Or, le PS est le premier parti de l'opposition. Tout le monde à gauche doit pouvoir dire ce qu'il en pense. Nous préparons une élection, pas un sacre.

Des détracteurs de Dominique Strauss-Kahn raillent son train de vie et son salaire au FMI. Pensez-vous que cette question puisse poser problème pour une éventuelle candidature ?

J.-L. M. : Ce genre d'arguments me met mal à l'aise. On a connu de grands bourgeois de gauche et des prolétaires d'extrême droite. Bien sûr, la condition sociale joue un grand rôle dans la perception de l'existence, mais on ne peut pas réduire un homme à cela.

P. M. : Je rejoins Jean-Luc Mélenchon dans le refus de la disqualification des personnes. Léon Blum était d'une famille aisée et a beaucoup fait pour la gauche. Ce qui compte, c'est la compétence et le parcours.



Bookmark and Share

0 commentaires: