L'Express, no. 3082 - En couvertureLivres, mercredi, 28 juillet 2010, p. 50-56,58
Il fut l'écrivain le plus célèbre de son temps. Et le plus scandaleux. La postérité en a fait un mythe national. Sa figure d'intellectuel a gommé les aspérités et la richesse d'une oeuvre, plus que jamais d'actualité.
S'il entrait aujourd'hui dans une librairie, Voltaire aurait un choc. L'écrivain le plus prolifique de notre littérature pensait avoir marqué l'Histoire par ses tragédies et ses épopées. Mais ce sont ses contes, écrits sans prétention pour quelques amis, qui s'étalent sur les étagères. Il les appelait des "coïonneries". Les voilà rangés au rayon des classiques. En mai dernier, le manuscrit de Candide a été exposé à la New York Public Library. Le document, prêté par la bibliothèque parisienne de l'Arsenal, a voyagé dans une mallette blindée et cadenassée, pieusement déposée en business class. Comme une relique.
En tête du manuscrit, on distingue l'écriture soignée du secrétaire de Voltaire, qui rédigeait sous la dictée. "Il y avait en Westphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-Tronckh, un jeune garçon à qui la nature avait donné les moeurs les plus douces." Voltaire narre les mésaventures d'un homme soumis à tous les fanatismes - il est rossé par un régiment bulgare, fessé par les inquisiteurs à Lisbonne. Il trouve finalement son bonheur en fuyant les prêcheurs de tout poil.
Sur l'original, Voltaire a pris la plume pour rajouter, ici ou là, une correction. Ses interventions sont faciles à repérer : les lettres sont penchées ; le trait est nerveux. Comme s'il y avait urgence. "Voltaire est un écorché vif, un blessé, souligne l'universitaire André Magnan, l'un des meilleurs connaisseurs de l'écrivain. Il a le sentiment que la bestialité humaine peut se réveiller à tout moment."
C'est qu'il l'a éprouvée dans sa chair. A deux reprises, l'écrivain est conduit à la Bastille après avoir bravé les grands du royaume, comme le duc d'Orléans ou le chevalier de Rohan. Il a été roué de coups, a dû s'exiler pendant trois ans en Angleterre. Ses livres ont été condamnés au brasier à Paris, Genève ou Amsterdam. Si le bourreau "avait pour ses honoraires un exemplaire de chaque livre qu'il a brûlé, il aurait vraiment une jolie bibliothèque", ironisait Voltaire. Jusqu'à sa mort, il risque sa peau. L'une de ses lettres finit par cette recommandation : "Ayez la bonté, Madame, de brûler ma lettre, sans quoi je courrais le risque d'être brûlé moi-même."
Voltaire dévore les livres d'histoire. L'humanité a des accès de fièvre. Il veut comprendre. Cela l'obsède. Dans Des conspirations contre les peuples, un texte oublié - comme les trois quarts de son oeuvre (1) - Voltaire dresse l'inventaire des génocides. Toutes les religions, à tour de rôle, ont tranché dans le vif. Il y a eu les massacres perpétrés par les juifs dans l'Antiquité, les pogroms lors des croisades, l'extermination des Indiens d'Amérique encadrée par les jésuites, les massacres contre les protestants à la Saint-Barthélemy. "On est fâché d'être né. On est indigné d'être homme, se morfond le philosophe. Comment s'est-il trouvé des barbares pour ordonner ces crimes, et tant d'autres barbares pour les exécuter ?"
Le xxe siècle ne l'a pas démenti. Et le xxie ? Dans le Dictionnaire philosophique, Voltaire pose une question brûlante, à l'heure de l'islamisme radical. "Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ?" Voltaire sèche. A quoi bon, de toute façon, chercher des arguments ? Les fanatiques sont sourds à la raison. "Ce sont des malades en délire qui veulent battre leurs médecins."
En revanche, il a une méthode pour contenir leurs discours - c'est toujours mieux que rien. L'arme de l'ironie. Le pari sur l'intelligence du lecteur, sommé de lire entre les lignes. Si jamais celui-ci sourit, c'est gagné. Un exemple parmi d'autres : dans L'Ingénu, Voltaire tourne en dérision un gentil "ecclésiastique, aimé de ses voisins, après l'avoir été autrefois de ses voisines". En huit mots, il met au tapis le clergé, qui fait voeu d'abstinence sexuelle - là encore, quelle actualité ! "Ce monde est une guerre, celui qui rit aux dépens des autres est le victorieux", martèle-t-il à ses camarades de lutte.
Prudent, il ne signe aucun livre, emploie des pseudonymes
Plume à la main, il pilonne sans relâche jusqu'à ses 84 ans. "Quand il naquit, Louis XIV régnait encore ; quand il mourut, Louis XVI régnait déjà", note Victor Hugo. L'écrivain inonde l'Europe de brûlots et de lettres caustiques - plus de 15 000 ont été retrouvées ! "Voltaire était un graphomane, il se consacrait à l'écriture de 6 heures du matin à 22 heures et épuisait deux secrétaires par jour", raconte André Magnan, coauteur de L'Inventaire Voltaire (Gallimard, 1995). Prudent, il ne signe aucun livre et multiplie les pseudonymes. Candide est l'oeuvre d'un certain "Dr Ralph", aussi imaginaire que sa fable.
Jouant à cache-cache avec le pouvoir, l'écrivain s'installe les vingt dernières années de sa vie à Ferney (Ain), aux limites du royaume. On peut maintenant visiter son château de style néoclassique. Un édifice presque vide, car les meubles et les affaires de Voltaire ont été dispersés après sa mort. Mais l'important est la vue. A l'horizon, se détachent les cimes blanches des Alpes et Genève. Cette proximité valait de l'or. En cas de menaces pour sa sécurité, Voltaire pouvait fuir dare-dare en Suisse.
De son refuge, le philosophe multiplie les provocations contre la toute-puissante Eglise. A ses yeux, c'est une corporation sectaire. Voltaire n'est pas pour autant athée. Il croit en un Dieu tout-puissant, qui n'a besoin ni de prêtres ni de texte saint pour régir l'univers. La Bible, qu'il connaissait par coeur, lui apparaît comme l'équivalent de "l'histoire des chevaliers de la Table ronde".
Ses charges prennent des formes surprenantes. A 68 ans, Voltaire veut faire déplacer la petite église qui se trouve en face de son château. Elle bouche la vue, se plaint le roitelet de Ferney. Il commence par retirer un crucifix, enlève un bout de cimetière et une partie de l'édifice, quand l'évêque du coin s'alarme et lui intente un procès. Voltaire persiste et signe. "J'ai jeté par terre toute l'église pour répondre aux plaintes d'en avoir abattu la moitié, raconte-t-il au comte d'Argental et à son épouse, en 1761. J'ai pris les cloches, l'autel, les confessionnaux, les fonts baptismaux ; j'ai envoyé mes paroissiens entendre la messe à une lieue." Il éructe : "Je ferai mourir de douleur mon évêque s'il ne meurt pas auparavant de gras fondu."
Il fait inscrire son nom en lettres plus grosses que le mot "Dieu"
Finalement, Voltaire fait machine arrière et rebâtit l'édifice. Il inscrit toutefois sur le fronton une phrase que le temps n'a pas effacé : "Deo erexit Voltaire". Autrement dit : "Erigée par Voltaire à Dieu." En toute modestie... "Toutes les autres [églises] sont dédiées à des saints, rappelle-t-il. Pour moi, j'aime mieux bâtir une église au maître qu'aux valets." Mégalomane, il fait inscrire "Voltaire" en lettres plus grosses que le mot "Dieu". Sur un autre mur de l'église, on peut apercevoir au milieu des herbes folles un petit mausolée, en forme de triangle. L'écrivain l'avait fait bâtir pour abriter sa dépouille, car il craignait que l'église ne le privât de funérailles et que son corps ne fût jeté sur la voirie.
A Ferney, Voltaire fut - enfin - maître chez lui. Le village ne comptait qu'une quarantaine d'habitants à son arrivée. Il va bientôt en abriter mille et s'enrichir. Le philosophe bâtit une colonie. "J'ai rassemblé des gueux, raconte-t-il. Il faudra que je finisse par leur fonder un hôpital." Il fait venir des horlogers de Genève, qu'il loge dans des maisons construites sur ses deniers personnels. Une fabrique de montres voit le jour. Des ouvriers s'attellent à produire des bas de soie. Le matin, Voltaire supervise les travaux des champs. Comme Candide, il cultive son jardin.
Toute l'Europe intellectuelle défile pour rendre visite au "patriarche". On fait la queue dans l'antichambre. "Ferney devient le bureau de la liberté de pensée, commente le professeur de littérature à l'université de Rouen François Bessire. Des Parisiens, des Anglais, des Italiens comme Casanova font le déplacement." On y organise des banquets. On y joue des pièces de théâtre. Voltaire et sa nièce, Mme Denis, qui fut aussi sa compagne, interprètent des rôles.
Il aurait fait fureur dans le système médiatique actuel
Dramaturge et acteur, Voltaire agit en homme de théâtre. Lorsqu'il se lance dans le combat de sa vie pour réhabiliter la famille Calas, dont le père fut injustement accusé d'avoir tué le fils pour des raisons religieuses, Voltaire soigne la mise en scène. "Je ne connais point de pièce plus intéressante, confie-t-il. Au nom de Dieu faites réussir la tragédie Calas." Il mobilise ses soutiens à travers l'Europe. Il conteste les actes du jugement. Il cherche à bouleverser ses spectateurs - l'opinion publique éclairée. Son pari est gagné. Le roi doit réagir face à la protestation générale. Voltaire inaugure la figure de l'intellectuel. Il aurait fait fureur dans le système médiatique actuel.
Au combat, Voltaire décoche une langue corrosive. Le style est à l'emporte-pièce. L'orthographe est simplifiée pour toucher le plus grand nombre. Il écrit un "Français" et non plus un "François", afin de coller aux évolutions de la langue. Les mots fusent comme des flèches. On connaît la célèbre épigramme qui crucifia le journaliste Elie Fréron, coupable d'avoir trouvé Voltaire "sublime" dans ses écrits, mais "rampant dans toutes ses actions" :
"L'autre jour au fond d'un vallon,
Un serpent piqua Jean Fréron ;
Que croyez-vous qu'il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva."
Voltaire se déchaîne. "Il n'hésite pas à faire circuler les pires rumeurs contre ses adversaires", commente François Bessire. Pendant plus de vingt ans, il insulte Fréron. Fait croire que celui-ci est pédophile. Calomnie sa famille. Rebaptise L'Année littéraire, la gazette du malheureux, en "Ane littéraire". Toute sa vie, il s'est dispersé en mille et un combats, glorieux ou dérisoires, tel celui contre le pauvre Fréron. "Voltaire est porté, animé et comme enivré par cette quantité, cet essaim d'ennemis de toute espèce, qu'il se crée comme par jeu, il vit littéralement d'adversaires, vivants ou abstraits", s'étonnait Paul Valéry, dans un texte magnifique (2). C'est plus fort que lui.
"Il reste de Voltaire une statue qui ne lui ressemble pas"
La propagande républicaine a gommé ce Voltaire emporté, parfois blasphémateur, souvent contradictoire, pour en faire un mythe national bien sous tout rapport. Signe des temps : la vox populi lui a attribué une belle devise qu'il n'a jamais prononcée. "Je ne partage pas vos idées, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez les exprimer." Cette formule a été forgée en 1906 par l'Américaine Evelyn Beatrice Hall dans son ouvrage The Friends of Voltaire. On ne prête qu'aux riches.
Finalement, aujourd'hui, il reste de Voltaire "une statue qui ne lui ressemble pas", résume l'écrivain Charles Dantzig. Même au sens propre. Ses bustes le montrent en vieillard édenté mais souriant, le regard malicieux. Voltaire y apparaît petit. Pourtant, sa fiche de police - les RG de l'époque le surveillaient attentivement - le décrit comme "grand, sec, l'air d'un satyre". A la Bibliothèque nationale de France, des adorateurs de Voltaire ont déposé dans le socle d'une statue le coeur de l'écrivain, arraché lors de l'autopsie. A la Comédie-Française, c'est son cervelet qui est conservé. "Ce briseur d'idoles meurt idole lui-même", disait Paul Valéry. Aurait-il apprécié cette ironie de l'histoire ? Heureusement pour nous, reste sa voix, ennemie de tout esprit de système et des petites lâchetés face au pouvoir, qui nous appelle à travers les siècles. Et un rire libre et mutin qui n'en finit pas de résonner.
(1) Souvent introuvables en papier, les textes de Voltaire sont accessibles en ligne gratuitement : www.voltaire-integral.com
(2) Ce texte sera republié en septembre par André Magnan, aux éditions du Centre international d'étude du xviiie siècle Ferney-Voltaire et par la Société Voltaire.
BIO - Voltaire
1694 Naissance à Paris de François Marie Arouet, qui prendra plus tard le nom de Voltaire.
1717 Il est emprisonné pendant onze mois à la Bastille pour une satire contre le duc d'Orléans.
1718 Premier grand succès au théâtre avec oedipe.
1726 A nouveau embastillé. Il s'exile ensuite pendant trois ans en Angleterre.
1734 Publie les Lettres philosophiques. Menacé d'arrestation, il se réfugie à Cirey, en Champagne.
1745 Devient historiographe du roi Louis XV.
1746 Est élu à l'Académie française.
1750 Nommé chambellan de Frédéric II, il part pour Berlin.
1755 S'installe près de Genève.
1758 Achète la propriété de Ferney (Ain).
1759 Publie Candide, monumental succès.
1762 Début de l'affaire Calas.
1770 Crée une manufacture de bas et de montres.
1778 Rentre à Paris, où il meurt.
1791 Transfert de sa dépouille au Panthéon.
Comment entrer à l'Académie française, par Voltaire
Marcelo Wesfreid
Voltaire entre à l'Académie française en 1746. Afin que son ami le philosophe Diderot le rejoigne dans l'illustre assemblée, l'immortel a un projet, qu'il livre à l'un de ses amis : "Qu'il n'aille pas s'amuser à griffonner du papier dans un temps où il doit agir. Il n'a qu'une chose à faire, mais il faut qu'il la fasse : c'est de chercher à séduire quelque illustre sot ou sotte, quelque fanatique, sans avoir d'autre but que de lui plaire. Il a trois mois pour adoucir les dévots, c'est plus qu'il ne faut. Qu'on l'introduise chez madame..., ou madame..., ou madame..., lundi ; qu'il prie Dieu avec elle mardi ; qu'il couche avec elle mercredi : et puis il entrera à l'Académie tant qu'il voudra, et quand il voudra. (...) Je recommande surtout le secret. Que Diderot ait seulement une dévote dans sa manche ou ailleurs ; et je réponds du succès. (...) Et je vous donne ma parole d'honneur de venir à l'Académie le jour de l'élection. Je suis vieux. Je veux mourir au lit d'honneur." Diderot a-t-il suivi ces recommandations ? En tout cas, il n'est jamais entré à l'Académie française.
Quand Voltaire charrie
Marcelo Wesfreid
Il appelait son invention un "char de guerre". Les plans n'ont jamais été retrouvés, mais les grandes lignes du "chariot" sont connues. Deux chevaux à l'avant, protégés par des blindages sur le poitrail. Deux hommes à l'arrière, près d'un coffre à grenades. Un engin léger, conçu pour l'attaque en plaine, sans doute muni de lames tranchantes sur les côtés. Voltaire proposa son char en 1757 au secrétaire à la Guerre, le comte d'Argenson. "Si cela réussit, il y aura de quoi étouffer de rire que ce soit moi qui sois l'auteur de cette machine destructive, glisse-t-il à un proche du ministre. Je voudrais que vous tuassiez force Prussiens avec mon petit secret." Le comte demanda à voir les dessins et fit réaliser une maquette par un membre de l'Académie des sciences, avant de renoncer à en doter l'armée.
Voltaire ne se laisse pas abattre. Douze ans plus tard, il présente à nouveau son invention, cette fois à l'impératrice Catherine II de Russie. Plus question de tuer des Prussiens, mais des Ottomans. Voltaire fait alors fi de tous ses discours contre la guerre. "Je voudrais avoir du moins contribué à vous tuer quelques Turcs, confie-t-il à la tsarine, elle aussi peu emballée. On dit que, pour un chrétien, c'est une oeuvre fort agréable à Dieu. Cela ne va pas avec mes maximes de tolérance, mais les hommes sont pétris de contradictions."
Aux grands hommes, la République reconnaissante - Marcelo Wesfreid
Le nom de Voltaire fut rapidement récupéré par la propagande républicaine, en quête de modèles. Au prix d'une réécriture de l'Histoire.
Voltaire était fasciné par la monarchie constitutionnelle anglaise, qu'il avait vu fonctionner de près, à partir de 1726, lors de son exil à Londres. Il la trouvait modérée et équilibrée. Et pourtant, il est passé à la postérité comme l'une de nos principales icônes... républicaines. La Révolution française transfère sa dépouille au Panthéon en 1791. Son char est traîné par douze chevaux blancs. On pouvait lire sur le sarcophage : "Il vengea Calas, La Barre, Sirven et Montbailli." La propagande glorifie le combattant de la liberté. Et gomme ses autres convictions. "Il aurait peut-être aimé le début de la Révolution", estime l'historien Pierre Milza. Mais certainement pas l'exécution du roi - lui qui fut souvent courtisan. Eût-il par ailleurs survécu à la Terreur ? On peut en douter. Il n'aurait guère goûté au suffrage universel et à la démocratie. "Il me paraît essentiel qu'il y ait des gueux ignorants, écrit-il à Etienne Damilaville en 1766. Ce n'est pas le manoeuvre qu'il faut instruire, c'est le bon bourgeois, c'est l'habitant des villes." Il poursuit : "Quand la populace se met à raisonner tout est perdu." On a connu Voltaire plus subversif...
Cela n'empêchera pas Victor Hugo de célébrer le centenaire de la mort de Voltaire en termes élogieux mais ne correspondant pas à la réalité. "Voltaire a vaincu le vieux code et le vieux dogme. Il a vaincu le seigneur féodal, le juge gothique, le prêtre romain", s'exclame-t-il, avant d'ajouter : "Il a élevé la populace à la dignité du peuple." Voltaire doit se retourner dans sa tombe. Le plus étonnant dans cette réécriture de l'Histoire est le rapprochement posthume de Voltaire et Jean-Jacques Rousseau. En quête de figures tutélaires, la Révolution a réuni leurs sarcophages, disposés face-à-face dans la crypte du Panthéon. Voilà les deux écrivains célébrés conjointement et unis pour l'éternité. Or, ceux-ci s'opposaient d'un point de vue philosophique et entretenaient des rapports exécrables. "Tu commences par parler de toi et tu parles toujours de toi", éructait Voltaire en marge de l'Emile de Rousseau, ouvrage qu'il trouvait nombriliste. La gloire n'a pas que des avantages.
Un courtisan peut en cacher un autre - Marcelo Wesfreid
Voltaire a entretenu des relations ambiguës avec les souverains d'Europe. N'hésitant pas à les critiquer ou à user - et abuser - de la flatterie par intérêt. Et soif de gloire.
C'est aujourd'hui dans un musée de Saint-Pétersbourg que se trouvent, précieusement conservés, les 6 000 volumes de la bibliothèque personnelle de Voltaire. Des ouvrages achetés à la mort de l'écrivain par l'impératrice Catherine II de Russie, qui lui vouait une admiration sans bornes. Il la lui rendait bien, la flattant comme un vil courtisan, signant ses lettres "le très obéissant ermite de Ferney, enthousiaste de Sa Majesté Impériale Catherine seconde, la première de toutes les femmes, et qui fait honte à tant d'hommes". N'en jetez plus !
Dans sa guerre contre la toute-puissante église catholique, Voltaire avait besoin de solides soutiens à travers l'Europe, à commencer par celui des despotes (fussent-ils éclairés). "Il me faut une impératrice dans mes intérêts", confie-t-il au comte d'Argental. Il s'est aussi lié à Frédéric II de Prusse, autre fan du Français, qui l'invite à sa cour en 1750. Voltaire a toujours eu avec les autorités royales des relations ambiguës, balançant entre intérêt bien compris et quête de reconnaissance. Il joue même les poètes de cour. "On loue les princes des vertus qu'ils n'ont pas, afin de les engager à les acquérir", se justifie-t-il. Voltaire devient historiographe de Louis XV. Parfois, il va au clash avec les grands aristocrates, lui l'impertinent fils de notaire. A Berlin, il finit par se brouiller avec le roi de Prusse, qui, furieux, le fait séquestrer quelques jours à Francfort. Il n'empêche : jusqu'à sa mort, Voltaire entretiendra une étroite correspondance avec Frédéric II, où se mêleront reproches et flatteries.
L'intellectuel engagé à retardement - Marcelo Wesfreid
Voltaire est resté célèbre pour sa défense des persécutés. Une vocation, en réalité, très tardive.
Voltaire passe pour le premier intellectuel engagé, bien avant Emile Zola. Or, ce titre aurait bien pu lui échapper. "S'il fut mort à 60 ans, il serait à présent à peu près oublié", assurait même Paul Valéry. C'est vers 70 ans seulement que le philosophe se mobilise dans des batailles politico-judiciaires, qui sont passées à la postérité. A commencer par l'affaire Calas. En 1762, le parlement de Toulouse condamne le protestant Jean Calas à être étranglé puis brûlé. Avant de l'exécuter, on le torture, en lui faisant ingurgiter de l'eau de force. On espère lui faire avouer qu'il a tué son fils afin de l'empêcher de se convertir à la religion catholique. Le père Calas meurt sans avoir avoué un crime qu'il n'a jamais commis - son fils s'est, en réalité, suicidé.
Un mois plus tard, Voltaire refait l'enquête. "J'en suis hors de moi, confie-t-il à un proche. Je m'y intéresse comme homme, un peu même comme philosophe. Je veux savoir de quel côté est l'horreur du fanatisme." Il demande des comptes-rendus du procès, recueille des témoignages et conclut à l'innocence du supplicié. "C'est le premier journaliste d'investigation", souligne Alex Décotte, le responsable du journal satirique Ferney-Candide. De son château sur la frontière suisse, le vieux philosophe mobilise son immense réseau de correspondants à travers l'Europe et écrit des centaines de lettres à des monarques, des avocats ou des nobles comme Mme de Pompadour. Un travail de sape qui paie. En 1764, devant l'indignation générale, le Conseil du roi casse l'arrêt du parlement de Toulouse. Calas est réhabilité.
Voltaire ne s'arrête pas en si bon chemin. Il se mobilise ensuite pour défendre d'autres innocents, dont la famille Sirven (accusée d'avoir tué l'un des leurs pour des raisons religieuses) et le chevalier de la Barre (condamné à la décapitation pour ne pas avoir ôté son chapeau au passage d'une procession). "Ce sang innocent crie, s'indigne le philosophe. Et moi je crie aussi ; et je crierai jusqu'à ma mort."
Le deuxième sexe
C'est l'un des combats les moins connus de Voltaire : il fut un authentique féministe. Prenant la défense des femmes dans ses essais. Comme dans sa vie.
Dans ses contes, les femmes ont le mauvais rôle. Elles finissent estropiées, éborgnées, violées par des hordes de soldats. Elles enlaidissent à vue d'oeil. Mais il ne faut pas se fier aux apparences (de la fiction). "Il a été l'un des tout premiers féministes", rappelle Elisabeth Badinter. Dans un texte intitulé "Femmes, soyez soumises à vos maris" (1768), Voltaire ironise sur le devoir de soumission des femmes. "Quoi ! s'exclame une femme en s'adressant à son abbé. Parce qu'un homme a le menton couvert d'un vilain poil rude, qu'il est obligé de tondre de fort près, et que mon menton est né rasé, il faudra que je lui obéisse très humblement ?" Et d'ajouter : "Je sais bien qu'en général les hommes ont les muscles plus forts que les nôtres, et qu'ils peuvent donner un coup-de-poing mieux appliqué : j'ai bien peur que ce ne soit là l'origine de leur supériorité."
Séducteur et libertin, Voltaire fait peu de cas des normes traditionnelles. Il a vécu la dernière partie de sa vie avec sa nièce, Mme Denis, qui fut aussi sa maîtresse. Mais c'est sa relation avec Emilie du Châtelet qui le marque le plus. Une femme de culture, qui lui transmet sa passion de la métaphysique et son goût pour les sciences - elle a traduit les oeuvres de Newton.
Les deux amants s'installent ensemble dans le château du mari à Cirey, en Champagne. "Elle aurait pu être envoyée au couvent pour moins que cela", raconte Elisabeth Badinter, qui a consacré un ouvrage à cette intellectuelle (Emilie, Emilie, ou l'ambition féminine au xviiie siècle, Le livre de poche). Une même passion de savoir les étreint. "Ce couple préfigure celui de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, poursuit Badinter. Quelle modernité ! Ils partagent liberté amoureuse et liberté de pensée." Un jour, ils mènent des expériences scientifiques sur la propagation du feu dans une aile du bâtiment ; un autre, ils épluchent des livres de philosophie ou la Bible pour en relever les absurdités. Leur quotidien est fait d'un débat permanent. Elle est séduite par les théories de Leibniz, lui les abhorre. En 1741, Voltaire dédie à sa compagne un livre, pourtant franchement anti-leibnizien. Il confie alors à un ami : "C'est là un bel exemple qu'on peut être tendrement et respectueusement attaché à ceux que l'on contredit."
La mauvaise réputation - Marcelo Wesfreid
Depuis quelques années, trois procès sont faits à Voltaire. Des accusations à nuancer fortement.
Voltaire, un antisémite ?
Certains passages de Voltaire sont aujourd'hui insoutenables, notamment quand il qualifie les Juifs de "peuple le plus abominable de la terre". Ou quand il raconte que, dans l'Antiquité, c'était un clan de "voleurs vagabonds", qui "égorgeait sans pitié tous les habitants d'un malheureux petit pays sur lequel il n'avait pas plus de droit qu'il n'en a sur Paris et sur Londres". Mais ces accents antijudaïques ne doivent pas être interprétés comme de l'antisémitisme. A travers ces charges outrancières, il vise en fait la religion catholique, dont le judaïsme est la source historique. "Il en veut aux juifs d'être à l'origine de ce tissu de mensonges qu'est selon lui la Bible", explique l'historien Pierre Milza, auteur d'une volumineuse biographie (Voltaire, éditions Perrin). Pour l'écrivain, les miracles de Moïse, comme ceux de Jésus, sont des fables de charlatan.
Mais à aucun moment il ne justifie les persécutions. Bien au contraire. Il ne cesse de dénoncer les pogroms, à commencer par la barbarie des croisades, quand 200 000 fanatiques catholiques traversèrent l'Europe, au Moyen Age, en exterminant des juifs. "Les chrétiens, croyant venger Dieu, firent main basse sur tous ces malheureux, déplore Voltaire. Il n'y eut jamais, depuis Hadrien, un si grand massacre de cette nation : ils furent égorgés à Verdun, à Spire, à Worms, à Cologne, à Mayence. Et plusieurs se tuèrent eux-mêmes, après avoir fendu le ventre à leur femme, pour ne pas tomber entre les mains de ces barbares."
Un islamophobe ?
En 1742, Voltaire présente une pièce intitulée Le Fanatisme ou Mahomet le prophète. C'est un énorme succès. Sur scène, Mahomet ourdit la tentative d'assassinat de son principal rival en manipulant un jeune disciple. Un épisode inventé. Dans une lettre au roi de Prusse, Voltaire parle de Mahomet comme d'un homme "qui égorge les pères" et ravit "les filles". C'est un "Tartuffe les armes à la main". Le Coran ? Un "livre inintelligible, qui fait frémir le sens commun à chaque page". On est loin des discours sur la tolérance...
Reste que, comme dans le cas des piques antijudaïques, Voltaire cible en filigrane les fanatiques catholiques. "L'islam n'intéressait personne à l'époque, c'était juste une façon de critiquer la religion catholique par des voies détournées", rappelle le spécialiste François Bessire. Et d'éviter la tatillonne censure.
Un esclavagiste ?
Voltaire a été accusé d'avoir amassé son immense fortune grâce à la traite négrière, qu'il fut pourtant l'un des premiers à dénoncer ouvertement. En réalité, aucun document ne permet de l'affirmer. "Il a fait des affaires avec des négociants, lesquels, de leur côté, ont pu faire du commerce lié à l'esclavage, explique Pierre Milza. Mais il n'a jamais été impliqué directement dans la traite négrière." L'honneur est sauf.
Le dîner des philosophes - Marcelo Wesfreid
Peint du vivant de Voltaire par Jean Huber, le tableau La Sainte Cène du patriarche représente une scène totalement imaginaire mais très symbolique. "Voltaire, le bras levé, apparaît en chef du clan des philosophes", analyse Andrew Brown, directeur du Centre international d'étude du xviiie siècle. Autour de l'écrivain, se trouvent quelques-uns des penseurs des Lumières, à l'avant- garde, en Europe, de la révolution des esprits. Parmi les convives, les responsables de L'Encyclopédie D'Alembert [A] et Diderot [B], que Voltaire n'a vraisemblablement jamais rencontré, ou Grimm [C], responsable de la Correspondance littéraire, revue clandestine envoyée aux princes éclairés.
Charles Dantzig "Voltaire aurait adoré se moquer de Sarah Palin"
L'auteur du Dictionnaire égoïste de la littérature française (Grasset) a lu les oeuvres de Voltaire, que plus personne ne lit. Ses pièces, sa poésie, jusqu'à ses rarissimes "carnets". Dantzig admire ce Voltaire méconnu. Il plaide pour un retour aux textes.
Que reste-t-il de Voltaire ?
Voltaire est le grand écrivain français le plus mal considéré. Il est jugé sur un tout petit fragment de ses écrits. Ses oeuvres complètes sont introuvables en librairie (1). On ne peut se procurer que le Traité sur la tolérance, Candideou Zadig, un peu de sa correspondance... Et puis c'est à peu près tout. A sa mort, Voltaire a été victime d'une simplification outrancière, qui en a fait une figure politique et morale, réduite au combat pour la liberté de pensée.
C'est une dimension importante de son oeuvre...
Oui, bien sûr. Dans nombre de pays d'Asie, du Proche-Orient ou d'Afrique, qui ne respectent pas ce droit fondamental, l'effigie de Voltaire devrait figurer sur les billets de banque. Mais il ne se résume pas à cela. Que dirait-on si Victor Hugo, sans doute l'auteur le plus prolifique de notre littérature avec Voltaire, n'était passé à la postérité que pour ses discours contre la peine de mort et son pamphlet sur Napoléon III ? Que dirait-on si ses romans, sa poésie et son théâtre n'étaient plus publiés ?
Le théâtre de Voltaire est qualifié d'injouable par nombre de spécialistes. Partagez-vous cette opinion ?
Qui l'a lu, ce théâtre ? Dire que ses tragédies ne valent rien est la meilleure façon d'éviter d'avoir à les lire. Quelle injustice ! C'est un beau théâtre. Irène, sa dernière pièce, est réussie. Il est aussi l'auteur de comédies très drôles. J'ai publié il y a quelques années une anthologie de ses poèmes. Il y en a d'excellents dans un genre didactique sans doute démodé, mais croyez-moi, le style surréaliste s'est déjà beaucoup démodé lui aussi. Voltaire était le premier historien moderne. Son Siècle de Louis XIV est un ouvrage remarquable. Malheureusement, on ne lit plus l'Essai sur les moeurs.
Ce n'est pas le cas de ses contes philosophiques, toujours lus au lycée...
Oui, sauf que ces contes étaient écrits sur un coin de table pour amuser la duchesse du Maine ou d'autres aristocrates. Nous avons sculpté de Voltaire une statue qui ne lui ressemble pas.
Comment expliquez-vous que l'ironie voltairienne ait quasiment disparu ?
Voltaire n'a pas été qu'ironique. Il n'aurait pas eu cette postérité s'il n'avait été que dans l'écriture destructrice, moqueuse, acide. Le Voltaire fouetteur ne doit pas faire oublier l'homme généreux, humain, bon. Il a recueilli sa nièce chez lui. Jean-Jacques Rousseau, lui, a abandonné ses enfants.
Dans ses attaques contre Rousseau, Voltaire a fait preuve d'une violence étonnante...
Rousseau était un méchant petit narcissique et il n'y a pas de raison de laisser les méchants petits narcissiques en paix sauf que rien n'arrête ces raseurs, à qui une lettre d'injures sert encore de miroir.
Manque-t-il aujourd'hui ?
Oui, tous les jours. Pour son esprit, son sens de l'ellipse, sa vitesse, sa drôlerie salutaire dans une période pesante et populiste, qui prend tout au pied de la lettre. Il se serait régalé en se moquant de Benoît XVI ou des sectes protestantes en Amérique. Il aurait adoré se moquer de Sarah Palin. Comment aurait-il traité Silvio Berlusconi ou le président iranien Ahmadinejad ?
A-t-il des héritiers ?
Il a des usurpateurs et peu d'héritiers. Dans la littérature française, je ne vois guère d'écrivains qui l'aiment ou même simplement le citent. Il n'y a que moi, ma parole ! Sa nervosité me touche, il écrit comme un écureuil, sautant d'une branche à une autre, écrivant des poèmes, des essais, du théâtre. J'aime l'incroyable variété de ses talents.
(1) L'édition de ses oeuvres complètes commencée en 1968 n'est toujours pas achevée. Dirigée par la Fondation Voltaire d'Oxford, elle devrait comporter 135 volumes !
Coup de balai sur la langue
Voltaire a modernisé le français et l'a simplifié. Pour toucher le plus large public possible.
Voltaire fut l'un des grands modernisateurs de la langue française. "Il est le créateur de la syntaxe moderne", rappelle Jérôme Vérain, professeur de linguistique à Paris XII. Finies, les longues phrases savamment cadencées du classicisme français. L'auteur de Candide choisit des phrases percutantes. L'orthographe est modernisée. "Les langages, à mon gré, sont comme les gouvernements, les plus parfaits sont ceux où il y a le moins d'arbitraire", argumentait-il. Dans La Guerre civile de Genève (1768), il prévient : "Quand je vois un livre où le mot Français est imprimé avec un o, j'avertis l'auteur que je jette là le livre et que je ne le lis point." La conjugaison des imparfaits est adaptée à la prononciation. Au lieu d'écrire "il aimoit", Voltaire utilise la graphie "il aimait". Grâce à l'écrivain, cette tournure devient la règle.
Dans la foulée, il entre en guerre, non sans gourmandise, contre des tournures triviales comme "cul-de-sac". Le voici par exemple fâché avec M. Lebreton, imprimeur de l'Almanach royal. "Je ne lui paierai point l'almanach qu'il m'a vendu cette année. Il a eu la grossièreté de dire que M. le président..., M. le conseiller... demeurent dans le cul-de-sac de Ménard, dans le cul-de-sac des Blancs-Manteaux, dans le cul-de-sac de l'Orangerie, etc. [...] Comment peut-on dire qu'un grave président demeure dans un cul ? [...] Corrigez-vous, servez-vous du mot impasse."
Florilège
Animaux "Nous ressemblons aux moutons qui bêlent, qui jouent, qui bondissent en attendant qu'on les égorge. Leur grand avantage sur nous est qu'ils ne se doutent pas qu'ils seront égorgés, et que nous le savons."
Blasphème "Quelqu'un répand dans le monde qu'il y a un Géant haut de soixante et dix pieds. Bientôt après, tous les docteurs examinent de quelle couleur doivent être ses cheveux, de quelle grandeur est son pouce, quelles dimensions ont ses ongles : on crie, on cabale, on se bat. Ceux qui soutiennent que le petit doigt du Géant n'a que quinze lignes de diamètre font brûler ceux qui affirment que le petit doigt a un pied d'épaisseur. "Mais, messieurs, votre Géant existe-t-il ?" dit modestement un passant. "Quel doute horrible ! s'écrient ces disputeurs ; quel blasphème ! quelle absurdité !" Alors ils font tous une petite trêve pour lapider le passant ; et après l'avoir assassiné en cérémonie, de la manière la plus édifiante, ils se battent entre eux, comme de coutume, au sujet du petit doigt et des ongles."
Censure "Si ce livre était dangereux, il fallait le réfuter. Brûler un livre de raisonnement, c'est dire : "Nous n'avons pas assez d'esprit pour lui répondre.""
Critique "Le plus grand malheur d'un homme de lettres n'est peut-être pas d'être l'objet de la jalousie de ses confrères, la victime de la cabale, le mépris des puissants du monde : c'est d'être jugé par des sots."
Doute "Le doute n'est pas un état bien agréable, mais l'assurance est un état ridicule."
Femmes "Les femmes ressemblent aux girouettes : elles se fixent quand elles se rouillent."
Français "Premier peuple de l'univers, songez que vous avez, dans votre royaume de Frankreich, environ deux millions de personnes qui marchent en sabots six mois de l'année, et qui sont nu-pieds les autres six mois."
Guerre "Que m'importent l'humanité, la bienfaisance, la modestie, la tempérance, la douceur, la sagesse, la piété, tandis qu'une demi-livre de plomb tirée de six cents pas me fracasse le corps, et que je meurs à vingt ans dans des tourments inexprimables, [...] le tout pour les prétendus intérêts d'un homme que nous ne connaissons pas ?"
Joyau "Vous rapportez une étrange loi dans le Deutéronome, au chapitre XXV : deux hommes ont une dispute. Si la femme du plus faible prend le plus fort par son joyau, coupez la main à cette femme sans rémission. Je vous demande pardon, messieurs ; jamais je n'aurais coupé la main à une dame qui m'aurait pris par là autrefois."
Jugement dernier "Je vis une foule prodigieuse de morts qui disaient : "J'ai cru, j'ai cru", mais sur leur front il était écrit : "J'ai fait" ; et ils étaient condamnés. [...] Je voyais arriver à droite et à gauche des troupes de fakirs, de talapoins, de bonzes, de moines blancs, noirs et gris, qui s'étaient tous imaginé que, pour faire leur cour à l'Être suprême, il fallait ou chanter, ou se fouetter, ou marcher tout nus. J'entendis une voix terrible qui leur demanda : "Quel bien avez-vous fait aux hommes ?" A cette voix succéda un morne silence ; aucun n'osa répondre, et ils furent tous conduits aux petites-maisons [NDLR : asiles] de l'univers : c'est un des plus grands bâtiments qu'on puisse imaginer."
Livres "Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié. Ils étendent les pensées dont on leur présente le germe ; ils corrigent ce qui leur semble défectueux."
Orgueil "Ô homme qui ose te dire l'image de Dieu ! Dis-moi si Dieu mange, s'il a un boyau rectum !"
Rousseau "Ce monstre ose parler d'éducation ! Lui qui n'a voulu élever aucun de ses fils et qui les a mis tous aux Enfants-Trouvés." [...] Je le plaindrais s'il était pendu mais par pure humanité, car je ne le regarde personnellement que comme le chien de Diogène ou plutôt comme un chien descendu d'un bâtard de ce chien."
Torture "Le grave magistrat qui a acheté pour quelque argent le droit de faire ces expériences [de torture] sur son prochain va conter à dîner à sa femme ce qui s'est passé le matin. La première fois, madame en a été révoltée ; à la seconde elle y a pris goût, parce qu'après tout, les femmes sont curieuses. Et ensuite, la première chose qu'elle lui a dit lorsqu'il est rentré en robe chez lui : "Mon petit coeur, n'avez-vous fait aujourd'hui donner la question à personne ?"
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