jeudi 22 juillet 2010

Entre les multinationales et la Chine, le rapport de force a basculé

Le Monde - Economie, vendredi, 23 juillet 2010, p. 11

Le point de vue des chroniqueurs de l'agence économique Reuters Breakingviews.

Certaines entreprises installées de longue date en Chine se sont mises à protester ouvertement contre les pratiques de Pékin dans la vie des affaires et sa défiance croissante à l'encontre de sociétés étrangères. Les derniers à s'en être plaint auprès du premier ministre Wen Jiabao sont de grands groupes industriels allemands. Les doléances de ces sociétés sont peut-être justifiées et il est possible qu'elles obtiennent gain de cause sur quelques points, mais les patrons de groupes étrangers doivent d'ores et déjà anticiper un tournant : au fur et à mesure qu'elle va s'enrichir, la Chine va devenir plus exigeante.

Les récriminations formulées par le groupe industriel allemand Siemens et son compatriote chimiste BASF - comme déjà celles du conglomérat américain General Electric auparavant - sont trop graves pour que la Chine les ignore. Ces entreprises emploient au total 62 500 personnes sur le territoire. Elles travaillent avec l'empire du Milieu depuis plus d'un siècle et y investissent depuis plusieurs décennies. Leur cas est très différent de celui de Google, le géant américain de l'Internet qui s'était insurgé contre la censure chinoise en janvier.

Elles jouissent aussi d'un pouvoir d'influence plus étendu. Les entreprises de pointe maîtrisent des technologies que la Chine rêve d'acquérir pour développer son industrie, comme les trains Maglev ou certains moteurs d'avion. Les multinationales, qui sont de gros employeurs dans leur pays d'origine, peuvent y faire pression pour le pousser à exercer des sanctions en représailles.

On dit souvent que le gouvernement chinois déteste qu'on lui dise ce qu'il doit faire, mais même en Chine, il arrive que la force de l'opinion publique impose des changements de cap. Ainsi, en juin, Pékin a fait un geste de conciliation en désindexant le yuan du dollar. Google a même réussi à faire renouveler son autorisation d'exercer, après avoir apporté quelques modifications à son moteur.

Il n'y a donc pas de raison pour que les industriels indignés n'obtiennent pas quelques concessions. L'installation d'une usine BASF dans les environs du barrage des Trois-Gorges a été retardée pour des raisons écologiques. Une intervention venue d'en haut débloquerait la situation. Pékin pourrait aussi songer à assouplir le régime des marchés publics, à propos duquel d'autres membres de l'Organisation mondiale du commerce ont déjà vivement réagi.

Assistance technologique

Mais les multinationales doivent se faire à l'idée que le paysage a bien changé. Quand la Chine était moins riche, les investisseurs étrangers étaient heureux de lui transférer des technologies peu évoluées pour avoir accès en échange à une main-d'oeuvre bon marché, à des avantages fiscaux et à un marché en pleine croissance. Maintenant, la Chine veut s'approprier des savoir-faire à haute valeur ajoutée que les multinationales ne sont pas prêtes à lui céder. De plus, le bénéfice tiré du coût de la main-d'oeuvre et des conditions fiscales s'est beaucoup réduit.

D'un autre côté, aucune des deux parties ne peut encore se permettre de tourner le dos à l'autre. GE, Siemens et BASF ont bâti leur stratégie de croissance sur le pays le plus peuplé du monde. Et, la Chine a encore besoin d'assistance technologique. Mais ce qui change, c'est le rapport de force...

Wei Gu

(Traduction de Christine Lahuec)

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