jeudi 22 juillet 2010

Quand la machine à exporter chinoise se calmera - Brice Pedroletti

Le Monde - Economie, jeudi, 22 juillet 2010, p. 11

Après un excédent commercial record au premier semestre, Pékin est pessimiste sur le reste de l'année.

La machine à exporter chinoise s'est-elle remise à tourner à plein régime ? Les exportations ont bondi de près de 44 % en juin par rapport au même mois de l'année précédent. En mai, le rebond avait été de 49 %. Les surplus commerciaux (la différence entre les importations et les exportations) sont eux aussi en hausse : la Chine a enregistré en juin un excédent de 20 milliards de dollars (15,5 milliards d'euros), le plus élevé en neuf mois. En mars, la Chine avait connu un déficit. Sur le premier semestre, les excédents commerciaux devraient toutefois être inférieurs la même période en 2009.

Ce rebond spectaculaire est paradoxal : il intervient alors que l'économie chinoise, en surchauffe suite aux mesures de relance de 2009, refroidit. Le PIB chinois a progressé de 10,3 % au second trimestre 2010 (par rapport à la même période de 2009, la Chine ne donnant pas de statistiques de progression en glissement trimestriel), contre 11,9 % pour les premiers mois de l'année. Surtout, la crise de confiance des économies européennes, et la dépréciation de l'euro par rapport à la devise chinoise (la monnaie européenne a perdu 10 % entre juillet 2009 et juillet 2010) n'ont pas eu d'effet majeur sur les achats européens auprès de l'atelier du monde (la progression des exportations est la même en juin pour l'Europe et les Etats-Unis). Du moins pour l'instant : « Les prévisions pour le commerce international ne portent guère à l'optimisme », a déclaré mardi le porte-parole du ministère du commerce chinois, Yao Jian, qui prévoit une baisse de la croissance des exportations, notamment vers l'Union européenne, premier partenaire commercial de la Chine, au deuxième semestre. Tout en soulignant que « dans l'ensemble, il n'y aura pas une forte chute en raison de la demande pour les produits de première nécessité qui exigent une forte main-d'oeuvre ».

Réévaluation du yuan

La reprise de la demande extérieure expose Pékin à de nouvelles critiques américaines : en acceptant d'assouplir la marge de fluctuation du yuan par rapport au dollar juste avant le dernier G20, à Toronto, fin juin, la Chine avait désamorcé la colère des Américains. Mais le dollar n'a perdu depuis que 0,7 % par rapport à la devise chinoise. Fair-play, les Etats-Unis, qui avaient repoussé jusqu'après le sommet de Toronto le fameux rapport semi-annuel du Trésor américain au Congrès, ont donc évité de désigner la Chine comme un pays « manipulateur de devises ». Mais les débats, à Washington, ont repris de plus belle sur la nécessité d'obtenir une réévaluation plus conséquente du yuan.

Soucieux de prévenir un emballement trop brutal de son commerce extérieur, Pékin avait annoncé ces dernières semaines la suppression de toute une série d'aides fiscales aux exportations à partir du 15 juillet, pour certains aciers et métaux non ferreux, ainsi que dans la chimie. C'est la première fois que la Chine supprime les aides mises en place au moment de la crise financière globale pour prévenir les effets d'une chute brutale des commandes de la part des pays occidentaux. « L'économie globale est en train de se rétablir, mais à un rythme lent. Il y a beaucoup d'incertitudes. Nous devons favoriser la demande interne, tout en stabilisant la demande externe », a déclaré dimanche le premier ministre, Wen Jiabao, lors d'une visite récente la province du Shaanxi, rappelant la nécessité pour la Chine d'une « croissance saine et relativement rapide afin de garantir l'emploi et de restructurer notre mode de développement ».

Il s'agit d'éviter tout mouvement brusque susceptible de déséquilibrer l'économie chinoise : les officiels chinois font souvent référence aux tensions sur les salaires dans les usines exportatrices pour signaler combien est étroite la marge de manoeuvre du premier pays exportateur mondial. Moins explicite, le danger d'une crise bancaire pousse aussi les Chinois à la prudence : les autorités de régulations financières chinoises cherchent à endiguer ce que l'agence Fitch a dénoncé comme la « titrisation informelle » de créances par les banques chinoises. Le recours massif au crédit bancaire pour financer le plan de relance chinoise a conduit à un endettement exponentiel dans les provinces. Sommées de réduire leur encours de crédit, les banques « repackagent » des créances en produits d'investissements. Des pratiques courantes qu'on croyait disqualifiées depuis la crise des subprimes aux Etats-Unis.

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