samedi 17 juillet 2010

A Hongkong, le camp des démocrates se fracture sur une réforme constitutionnelle

Le Monde - International, samedi, 17 juillet 2010, p. 6

Plus les années passent et plus la pression de Pékin se fait lourde sur Hongkong. Les derniers soubresauts politiques qu'a connus la Région administrative spéciale (RAS), qui jouit d'un statut d'autonomie par rapport à la Chine, témoignent, de façon parfois paradoxale, de cette évolution.

Le dernier épisode en date est une réforme de la Constitution approuvée le 24 juin par le mini-parlement hongkongais et qui a provoqué l'explosion du camp des prodémocrates : modérés et radicaux s'affrontent désormais sur la question de savoir jusqu'où l'on peut aller trop loin dans la négociation avec Pékin.

Pour comprendre de quoi il retourne, il faut rappeler les faits : aux termes de la rétrocession à la Chine de la colonie britannique, en 1997, Pékin a accordé à Hongkong un statut spécial. Le territoire possède sa Loi fondamentale, son Parlement, sa monnaie, (le dollar hongkong), son propre préfixe téléphonique...

Hongkong, c'est la Chine, mais c'est un peu ailleurs, même si le drapeau rouge aux étoiles jaune flotte sur la plus belle rade de l'univers. Une formule a été trouvée pour baptiser ce montage complexe : " Un pays, deux systèmes ". En clair, une Chine où coexistent le capitalisme autoritaire à la sauce pékinoise et le particularisme hongkongais, place financière et espace de liberté. C'est cette réalité qui serait aujourd'hui en péril, selon certains démocrates.

Le vote de juin sur la réforme constitutionnelle a cristallisé les antagonismes. Pour l'instant, seuls 30 des 60 membres du Parlement local sont élus au suffrage universel. Les autres sont issus de circonscriptions corporatistes (représentant chacune un groupe économique, social ou professionnel) où dominent les partisans de Pékin, c'est-à-dire des gens pour lesquels la question démocratique ne constitue pas une priorité.

Les partisans de la démocratie, eux, ne cessent d'exiger que les membres du Parlement - ainsi que le chief executive - le " président " du territoire - soient élus au suffrage universel plein et entier. La réforme porte sur l'augmentation de dix sièges de députés pour les élections de 2012. Cinq seront désignés au suffrage universel. Cinq autres seront élus sur une base très élargie du corps électoral mais proviendront de ces fameuses circonscriptions corporatistes où les pro-Pékin sont la majorité. Ce qui a été voté représente, pour les uns, une évolution positive; pour les autres, une erreur stratégique qui permettra à Pékin d'empêcher l'établissement d'un système démocratique digne de ce nom.

L'affaire est difficile à trancher : le gouvernement chinois, qui avait refusé de prime abord cet élargissement, a certes fait une concession de dernière minute, permettant au chef du Parti démocratique (DP), Albert Ho, de voter pour la réforme. Mais les adversaires de ce dernier crient aujourd'hui à la trahison : pour eux, ce compromis n'en est pas un et les responsables de ce parti, la plus importante formation de la galaxie des démocrates, ont été abusés.

" Des traîtres qui se sont trahis et ont trahi les gens ", lâche le député Leung Kwok-hung, enfant terrible de la politique locale, trotskiste-guévariste toujours affublé d'un tee-shirt à l'effigie du Che. Membre de la Ligue des socio-démocrates, dont les initiales sont " LSD ", ce farouche opposant du régime de Pékin, célèbre pour son lancer de bananes contre des collègues parlementaires jugés trop tièdes, affirme, assis dans son bureau enfumé, que les gens du DP se sont ridiculisés : " Pékin leur a dit, allez je vous donne un sucre d'orge, bouclez-la ! "

" Ce n'est peut-être qu'une concession mineure, mais c'en est une quand même ", se justifie Emily Lau, députée et vice-présidente du DP. Cette avocate estime en effet que le compromis permettra d'étendre malgré tout la représentation des 5 nouveaux élus dans le cadre d'un système électoral qui tend vers le suffrage universel. Elle ne se fait cependant pas d'illusions sur les échéances futures, même si Pékin a vaguement promis que tous les députés et le " président " seront élus selon un tel système en... 2017 et 2020 !

Ce que craignent les adversaires du compromis entre Parti démocratique et gouvernement chinois, c'est que Pékin en profite pour installer ces circonscriptions corporatistes controversées qui contredisent le principe d'" un homme, une voix ". C'est l'avis d'Audrey Eu, chef du Parti civique, qui a refusé la perche pékinoise : " Nous sommes de plus en plus en train de vivre sous l'égide d'"un pays, un système", contrairement à ce qui avait été promis ", dénonce-t-elle.

Même si les Hongkongais en général restent très attachés au particularisme de leur statut, c'est bien l'avenir de cette " aberration " quasi démocratique en terre chinoise qui est en jeu : le pouvoir pékinois est à la manoeuvre tout en faisant mine de respecter les termes de l'accord initial d'autonomie. Pour combien de temps encore ?

Une journaliste hongkongaise du service anglais de la télévision locale, qui demande à garder l'anonymat, se plaint de pressions quand elle ose aborder des sujets sensibles. Dans l'affaire de la réforme constitutionnelle, le gouvernement local du peu populaire Donald Tsang, perçu par beaucoup comme une marionnette de Pékin, a été contourné par le gouvernement chinois et semble le grand perdant de l'histoire : Pékin a préféré négocier directement avec ses opposants de Hongkong, en violation flagrante du statut de la Région autonome spéciale !

La jeunesse fera peut-être la différence dans un territoire qui recèle une étonnante profusion de Ferrari au mètre carré et qui est aussi celui d'un libéralisme absolu en économie, un lieu où la redistribution des richesses brille par son absence. Un jeune diplômé ne peut guère espérer gagner plus de 10 000 dollars Hongkong à sa sortie de l'université (un peu plus de 1 000 euros). Une somme dérisoire au vu du coût de la vie. C'est à eux que sera transmis le flambeau de la " résistance ".

Bruno Philip

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