mardi 27 juillet 2010

INTERVIEW - Jean-Luc François : « L'argent afflue dans l'agriculture »

La Croix, no. 38723 - Economie, lundi, 26 juillet 2010, p. 18

La course aux nouvelles terres agricoles est ouverte

Quatre pays ont acquis au total plus de 7 millions d'hectares de terres arables

La Chine : 2,1 millions d'hectares, dont 1,24 million aux Philippines, 700 000 au Laos, 80 400 en Russie.

La Corée du Sud : 2,3 millions d'hectares dont 1,3 million à Madagascar (transaction contestée), 690 000 au Soudan, 270 000 en Mongolie, 25 000 en Indonésie et 21 000 en Argentine.

L'Arabie saoudite : 1,6 million d'hectares, en Indonésie.

Les Émirats arabes unis : 1,3 million d'hectares dont 900 000 au Pakistan et 378 000 au Soudan.

(source DG Trésor)

Besoins et capacités dans le monde

La production alimentaire mondiale devra augmenter de 70 % pour nourrir l'humanité en 2050 (2,3 milliards d'individus de plus qu'aujourd'hui).

Un milliard de personnes sont actuellement sous-alimentées.

Seules 36 % des terres arables sont effectivement cultivées, soit 1,5 milliard d'hectares sur un total de 4,2 milliards.

(source FAO)

ENTRETIEN. Jean-Luc François, chef de la division développement agricole et rural à l'Agence française de développement (AFD) : « L'argent afflue dans l'agriculture »

Comment expliquer ce nouvel intérêt pour les terres des pays du Sud ?

Jean-Luc François : Les cours mondiaux de certains produits agricoles sont durablement orientés à la hausse, comme ceux de l'huile de palme, du caoutchouc, du cacao ou du café. La consommation mondiale est en forte progression, car les citoyens des pays émergents, de la Chine à l'Afrique, consomment plus : ils boivent du café, mangent du chocolat, roulent en voiture. Les groupes agro-industriels implantés de longue date dans les pays du Sud doivent donc augmenter leurs productions. Ils peuvent le faire en améliorant les rendements sur les terres dont ils disposent. Ils peuvent aussi renouveler leurs plantations vieillissantes. Ils peuvent, enfin, augmenter leurs surfaces, soit en obtenant de nouvelles concessions, soit en signant des contrats avec des petits planteurs. Actuellement, tous ces groupes agro-industriels négocient avec les communautés locales. Ce n'est pas forcément mauvais.

Comment une communauté de fermiers peut-elle travailler avec de grands groupes ?

La réussite du coton de l'Afrique de l'Ouest est basée sur cette organisation : les agriculteurs maliens ou burkinabés qui possèdent des exploitations de 0,5 ha à 15 ha signent des contrats avec un industriel. Celui-ci leur préfinance les semences, l'engrais et les traitements, et transforme ensuite la graine de coton récoltée. Cette réussite économique donne tort à ceux qui voient la petite agriculture comme un problème et ne croient qu'aux grandes exploitations industrielles : les pays exportateurs de riz ou d'hévéas en Asie ont bâti leur succès sur de petites exploitations familiales.

Qui investit aujourd'hui dans l'agriculture en Afrique ?

L'argent vient de quatre canaux. Les plantations existantes investissent pour développer leur production. De nouvelles compagnies étrangères s'intéressent également à ce marché. Cet afflux de capitaux - en provenance des pays du Golfe, de Chine ou de l'Inde - est soudain. Après la crise alimentaire de 2008, ces pays veulent maintenant contrôler leurs ressources agricoles. Ce mouvement frappe les esprits, mais ce n'est pas le plus important. Il existe, en effet, une troisième catégorie d'investisseurs : les cadres urbains des pays africains. Pour arrondir leurs revenus ou garantir leurs retraites, ils peuvent investir dans des hectares d'hévéas ou dans une exploitation agricole. Comme le faisaient les bourgeois parisiens au XIXe siècle. Aujourd'hui, on voit cela en Côte d'Ivoire, au Cameroun ou au Nigeria. Enfin, les États africains investissent aussi dans l'agriculture, via des systèmes d'irrigation.

Des terres sont-elles réellement libres pour les nouveaux investisseurs ?

Il n'y a pas de terres sans ayants droit. Nulle part. Partout, des communautés peuvent revendiquer un territoire et sont souvent prêtes à se dresser contre une appropriation de terres par des étrangers. Mais si on survole Madagascar, on peut avoir l'impression que les terres sont vides à l'infini. De même, 12 % des terres zambiennes sont effectivement cultivées et, au Nigeria, la moitié des terres cultivables ne sont pas mises en valeur.

Comment accompagner ce grand retour de l'agriculture ?

Le choc alimentaire a fait découvrir à des pays africains que leur déficit alimentaire s'était accru, notamment sur le riz et les oléagineux. Souvent conseillés par le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale, ils ont renoncé à soutenir et à protéger leurs agricultures. Au risque de supprimer des emplois. Du côté des bailleurs de fonds, l'agriculture n'était pas une priorité de l'aide au développement. Aujourd'hui, ces pays africains réalisent que leurs agricultures sont une richesse. Ils estiment qu'il faut la protéger, comme nous le faisons en Europe. Ils veulent aussi investir.

Recueilli par COCHEZ Pierre

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