Un accord commercial historique a été signé entre les deux pays, suscitant les critiques de l'opposition à Taïpeh.
Plus de soixante ans après la défaite des troupes du maréchal Tchang Kaï-chek par les soldats maoïstes et la fin de la guerre civile, la Chine et Taïwan ont signé, mardi 29 juin à Chongqing, dans le Sud-Ouest chinois, un accord de coopération économique qualifié d' « historique » par les deux parties. Il incarne les premiers pas de la politique de rapprochement avec Pékin du président taïwanais Ma Ying-jeou, élu en 2008.
Il ne s'agit certes pas de réconciliation définitive entre les deux rivaux. La Chine pointe encore un millier de missiles sur Taïwan, et n'a pas renoncé à s'emparer de ce territoire par la force. Mais la signature de cet accord-cadre de coopération économique (ECFA) marque le souci de Pékin d'intégrer au continent l'économie de cette île « rebelle », farouchement attachée à sa souveraineté.
Aubaine pour Taïwan
« La signature de cet accord est un énorme pas en avant pour les deux parties dans le contexte régional de globalisation et d'intégration économique », a déclaré le responsable de la délégation taïwanaise, Chiang Pin-kung. A Taïpeh, le président Ma a souligné que la paix et la prospérité pour la Chine et Taïwan étaient « à portée de main ».
Le choix de la municipalité de Chongqing pour la signature de l'ECFA était lourd de symbole : c'est ici que Tchang Kaï-chek avait établi une capitale provisoire durant la guerre sino-japonaise (1937-1945). A l'époque, le chef des nationalistes avait cessé, devant la menace japonaise, les hostilités avec les communistes de Mao. Mais en 1949, quatre ans après la reprise des combats entre les frères ennemis, Tchang Kaï-chek et ses troupes se réfugièrent à Taïwan.
Si l'accord signé mardi revêt une dimension politique majeure, il manifeste aussi, au plan économique, la volonté taïwanaise de bénéficier de conditions similaires à celles que Pékin offre à certains pays de la région. Début 2010, les barrières douanières ont été levées avec plusieurs membres de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (Asean).
Les prix des produits et services taïwanais qui vont bénéficier de ces réductions de taxes devraient ainsi s'aligner sur ceux des pays de l'Asie du Sud-Est et prendre de court ceux des concurrents coréens et japonais qui ne bénéficient pas d'accord de libre-échange avec la Chine.
Selon le Kuomintang, parti historique de Tchang Kaï-chek revenu au pouvoir à Taïwan lors des élections présidentielles de 2008, cet accord devrait faire augmenter de près de 100 milliards de dollars (82 milliards d'euros) le commerce bilatéral sino-taïwanais, actuellement évalué aux alentours de 120 milliards par an.
Les grandes entreprises de Taïwan se frottent déjà les mains au vu des économies massives qu'elles vont réaliser, notamment sur les exportations de machines et de composants vers leurs propres usines installées de l'autre côté du détroit. La première partie de l'accord, intitulée « moisson précoce », abolit ainsi les droits de douane sur plus de 800 articles, 539 produits taïwanais importés en Chine et 267 produits chinois importés à Taïwan.
Sur le papier, l'accord est à l'avantage de Taïpeh. Les estimations du manque à gagner en droits de douane sont de près de 14 milliards de dollars du côté chinois, contre près de 3 milliards pour Taïwan. Les banques et les compagnies d'assurance taïwanaises s'apprêtent à bénéficier directement de ce traité, entre autres parce qu'elles pourront ouvrir des agences en Chine continentale dans des conditions dont aucune autre banque étrangère ne jouit à ce jour. En revanche, certains secteurs fragiles et non compétitifs comme l'agriculture taïwanaise ont été protégés, la Chine ayant fait preuve d'une grande « écoute », certains disent pour mieux « apprivoiser » l'opposition au parti au pouvoir à Taïpeh dans ces négociations.
La signature de l'ECFA donne ainsi un grand coup d'accélérateur à l'intégration de l'économie taïwanaise, déjà très fortement dépendante de ses exportations vers la Chine (40 %). C'est le principal reproche que lui font ses détracteurs : trop rapide, trop secret dans son élaboration, et sans concertation avec l'opinion publique.
L'opposition voit dans cet événement une nouvelle preuve de la soumission vis-à-vis de Pékin du président Ma qui jouit d'à peine 30 % d'opinions favorables. Tsai Chi-chang, le porte-parole du Parti démocrate progressiste (DPP), au pouvoir avant le Kuomintang, a dénoncé la signature de cet accord qui va placer l'île « sous le joug économique et politique de la Chine, et affectera Taïwan en tant que pays souverain et indépendant ».
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