Alors que le cru 2009 est considéré comme exceptionnel, l'arrivée d'acheteurs chinois fait flamber les prix, avec 35% d'augmentation en moyenne.
L'affaire était entendue dès les dernières vendanges : la vigne avait bénéficié de conditions climatiques parfaites, le 2009 s'annonçait comme un millésime de rêve dans le Bordelais, peut-être même «le meilleur vin depuis 1949», Estimaient les fins palais, et malheur à qui affirmerait le contraire. Car l'aubaine est à la mesure des difficultés de la filière, toujours à la peine pour écouler ses stocks de 2006 et 2007. Une grande année signifie une hausse proportionnelle des prix. Tous les ingrédients sont là : la qualité, certes, accompagnée de notes stratosphériques des dégustateurs, un taux de change largement avantageux pour l'euro, une reprise des marchés traditionnels, Etats-Unis et Grande-Bretagne en tête, et surtout l'arrivée de la Chine et de son milliard de consommateurs qui font brutalement flamber la demande.
Élevage. Pour la toute première fois, les Chinois ont notamment participé cette année à la semaine des primeurs, fin avril. Un mode d'achat spécifique au Bordelais qui permet de déguster le vin avant la fin de l'élevage, et de l'acquérir à l'avance, alors qu'il n'est pas encore mis en bouteille.
Il s'agit, pour les participants, de s'assurer l'accès à des crus très demandés, hautement spéculatifs. «Il y a beaucoup de liquidités, d'argent disponible en Chine, confirme Thomas Jullien, correspondant du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB) à Hongkong. Ils recherchent les secteurs spéculatifs, ils ont remonté la filière et ont compris comment elle fonctionne.» En quelques années, le goût aussi s'est forgé et développé. Le représentant en Asie se souvient de ces importateurs qui achetaient sans même déguster. «Il y a peu, ils ne se fondaient que sur la notoriété et le prix. Désormais, ils goûtent, ils ont une clientèle en tête et ils cherchent quelque chose d'adapté.»
Les ambassadeurs du Bordelais n'y sont d'ailleurs pas pour rien. Une dizaine de «séminaires» sont organisés chaque année à travers toute la Chine, auxquels sont invités grossistes, cavistes, restaurateurs, afin de les «former», Et qu'à leur tour, ils puissent ensuite «guider leurs clients». Mais le vrai mouvement de fond, ce sont les autorités locales elles-mêmes, qui l'ont initié. «Pékin a fait la promotion du vin avec de grandes campagnes d'affichage, des films dans les aéroports pour développer son propre vignoble», Explique Sylvie Cazes, présidente de l'Union des grands crus de Bordeaux. Petit à petit, le raisin est donc en train de détrôner les alcools traditionnels de riz ou de sorgho sur les tables chinoises. Et, bien que 90% de la consommation totale se concentre sur des marques locales, les vins de Bordeaux ont su se positionner dans le haut de gamme grâce à leur image de prestige. Du coup, les ventes doublent chaque année depuis cinq ans, et le pays est en train de devenir le premier marché à l'export pour la filière bordelaise. «C'est assez vertigineux», reconnaît Thomas Jullien.
Cet engouement, combiné aux multiples superlatifs qui accompagnent l'arrivée du millésime 2009, contribue à propager une certaine excitation dans le vignoble. Les grands crus ont beaucoup tardé à annoncer leurs tarifs, signe que face à une forte demande, chacun cherche à optimiser son produit.
Inflation. Les mythes de la place ne se sont dévoilés que ces derniers jours. Ils confirment la tendance à une très nette hausse : 35% d'augmentation, en moyenne, sur les étiquettes prestigieuses par rapport à 2005, la dernière année folle. Et beaucoup plus pour les très grandes marques. Latour ou Haut-Brion dépassent ainsi les 200% d'augmentation sans frémir. Une inflation qui inquiète : «Il faut être prudent. On n'est pas seuls au monde avec nos grands millésimes», avertit Francois Levêque, président du syndicat des courtiers. Sylvie Cazes tâche aussi de rester prudente : «Il y a tellement de nouveaux acteurs en Chine que l'on ne sait pas qui va tenir sur la longueur.» Mais à défaut de garanties, l'espoir, lui, est bien au rendez-vous.
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