mercredi 7 juillet 2010

OPINION - Ce que la Chine nous apprend - André Chieng

Les Echos, no. 20711 - Idées, vendredi, 2 juillet 2010, p. 15

La crise actuelle a mis en lumière le poids des pays émergents. Mais, par paresse ou ignorance, on fait comme s'il s'agissait d'un passage de relais dans une course dont les règles, décidées il y a longtemps, resteront immuables.

Les théoriciens ont une excuse : les grands débats idéologiques semblent dépassés. La chute du mur de Berlin n'a-t-il pas sonné le glas de l'idéologie communiste ? Fukuyama n'a-t-il pas trouvé la formule indépassable d'organisation des sociétés : démocratie + économie de marché ? Pour les pays en voie de développement (PVD), cela se traduit par le consensus de Washington. Or le PVD qui s'est le plus développé a précisément été celui qui en symbolise l'opposition : la Chine. Au point qu'on a forgé un nouveau concept, le consensus de Pékin, pour l'opposer à celui de Washington. Mais quand on essaie d'en faire une théorie (ce que les Chinois se gardent bien de faire), on ne trouve pas grand-chose à y mettre, si bien qu'on a pu dire que c'était du vide.

Approfondissons cette notion de vide.

La civilisation occidentale a été bâtie sur l'action. Son histoire a été forgée par des héros et des conquérants. Aujourd'hui, les hommes politiques doivent présenter des programmes d'actions si vastes qu'il est impossible de les accomplir. La conséquence est que l'Occident ne sait pas utiliser le vide. La Chine en fait un usage approfondi. Rappelons-nous le Daodejing : « Trente rayons convergent au moyeu, c'est le vide médian qui fait marcher le char. »

Sans modèle, sans programme, sans but, Deng Xiaoping a lancé la plus formidable réforme économique et sociale du XXe siècle sur une simple réflexion : tâtons les pierres pour traverser la rivière. Deng Xiaoping n'a pas respecté la règle essentielle qu'on enseigne dans toutes les « business schools » de la planète : il n'avait même pas de « business model ».

Ce n'est pas la seule notion occidentale importante que la Chine conteste. Prenons une autre idée fondamentale de la culture occidentale : la recherche de la vérité. François Jullien nous rappelle que Socrate et Platon en ont fait tout simplement le but de la philosophie et de la connaissance. La vérité est une valeur intouchable en Occident. A-t-on compris que ce tabou n'était pas universel ? Donnons-en une illustration économique.

Les relations sino-américaines sont marquées depuis des mois par la lancinante question de la valeur du yuan. Est-il ou non sous-évalué ? Sur le plan théorique, la position américaine paraît la plus solide : en économie la vraie valeur est déterminée par le marché. Comme celle du yuan est arrimée au dollar, ce n'est pas la vraie valeur. L'objection chinoise la plus intéressante est celle d'un universitaire passée à mon avis trop inaperçue. Il reconnaît d'emblée que le yuan est sous-évalué. Mais que faut-il faire ? Rien pour le moment. En effet, l'ancrage du yuan et du dollar favorise les exportateurs chinois, ce qui soutient l'activité en Chine et en Asie, permettant la croissance la plus forte au monde, ce n'est déjà pas négligeable. Mais, plus étonnamment, cet ancrage est aussi favorable aux Américains, parce qu'il n'y a pas de substitut possible actuellement aux importations en provenance de Chine. Toute augmentation du yuan provoquerait in fine une augmentation des prix aux Etats-Unis. Or ce qui permet d'y maintenir encore une certaine croissance est l'absence d'inflation. Une réévaluation immédiate du yuan se traduirait par une montée d'inflation que la Fed devrait combattre par une hausse des taux qui plongerait l'Amérique dans un « double dip » que tous redoutent. Autrement dit, la « vérité » occidentale est moins importante que le « moment chinois ». Le monde binaire, où on était ami ou ennemi, a fait son temps.

ANDRÉ CHIENG EST VICE-PRÉSIDENT DU COMITÉ FRANCE-CHINE DU MEDEF.

© 2010 Les Echos. Tous droits réservés.

Bookmark and Share

0 commentaires: