jeudi 28 octobre 2010

André Brahic : « La vie pullule dans l'Univers »


Le Point, no. 1989 - Sciences, jeudi, 28 octobre 2010, p. 114,115

Expert. L'astrophysicien André Brahic croit à l'existence d'une vie extraterrestre.

Le Point : La vie est-elle quelque chose de banal dans l'Univers ?

André Brahic : Honnêtement, l'astrophysicien que je suis n'en sait rien. Mais si vous me demandez mon sentiment personnel, je dis qu'elle doit pulluler. Il devrait y en avoir partout. Sinon, ce serait avoir un nombril de taille démesurée que d'imaginer être les seuls occupants de l'Univers ! Je pense qu'en fait nous sommes tout à fait quelconques dans l'espace immense. Malheureusement, s'il n'existe que deux ou trois formes de vie dans notre galaxie qui compte des milliards d'étoiles, ce sera quasi impossible de les trouver. Comme il existe des milliers de milliards de galaxies, c'est autant d'endroits où la vie pourrait prospérer !

Mais quelle vie ? Des petits bonhommes verts qui nous ressembleraient ?

C'est tout le problème. Faut-il s'attendre à des dauphins ? Des dinosaures ? De gens plus avancés ou moins avancés que nous ? Je n'en sais rien, moi. De toute façon, ces planètes vivantes sont très probablement trop loin de nous pour être contactées facilement. Un message a été lancé depuis l'observatoire d'Arecibo en direction de la constellation d'Hercule. Il mettra 25 000 ans pour y parvenir. Et s'il existe là-bas des gars polis, leur bonjour nous parviendra au bout de 50 000 ans ! Difficile d'entamer une discussion dans ces conditions.

A travers le monde, plusieurs programmes Seti (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) ont commencé à envoyer des messages pour entrer en contact avec d'autres civilisations intergalactiques. N'est-ce pas dangereux de signaler ainsi notre présence ?

Ne passer qu'un simple coup de téléphone prend déjà un temps fou, le danger n'est donc pas immédiat. Cela dit, il faut comprendre que sur terre, chaque fois qu'une civilisation a débarqué chez une civilisation moins avancée, elle l'a détruite. Demandez donc aux Incas, aux Aztèques, aux Mayas, à certaines tribus africaines, aux Aborigènes d'Australie, aux habitants de l'île de Pâques... Pour autant, la curiosité de l'homme est telle qu'il tentera toujours de trouver un interlocuteur extraterrestre, sinon une planète colonisable. N'oubliez pas que la Terre deviendra inhabitable dans un milliard d'années, car notre Soleil continue à se réchauffer. Il faudra alors penser à déménager...

Ce monde accueillant ne pourrait-il pas être une des 500 exoplanètes déjà repérées dans le ciel ?

Non. Il est très peu probable que la vie ait pu s'y développer. Déjà, la grande majorité d'entre elles sont des géantes gazeuses invivables. Parmi elles, les planètes solides sont encore très rares. Par ailleurs, sachez que la vie nécessite trois conditions : de l'énergie durant un long laps de temps, de l'eau liquide, et la présence de molécules organiques. Il faut donc que l'étoile soit suffisamment petite, comme notre Soleil, pour ne pas se consumer trop rapidement. L'eau liquide, tellement nécessaire à la vie, ne peut exister que si la planète n'est ni trop près ni trop loin de son étoile, de telle façon que la température en surface reste comprise entre 0 et 100 °C. Enfin, il faut la création de molécules organiques. Bref, le nombre de conditions requis rend extrêmement improbable qu'on trouve la vie sur l'une de ces 500 premières planètes.

Finalement, notre bonne vieille Terre reste exceptionnelle dans l'Univers ?

Absolument. Et on peut dire que c'est grâce à Jupiter ! Sans elle, la Terre ne serait qu'un petit machin doté d'une gravité trop faible pour retenir l'atmosphère, et donc la vie. En effet, notre planète est née de l'agglomération de très nombreux petits corps dont les collisions ont été provoquées par l'agitation due à la proximité de l'énorme Jupiter. Si cet astre avait été plus éloigné, les collisions auraient été trop faibles; s'il avait été plus proche, les collisions auraient été trop fortes. Parmi les systèmes planétaires repérés, nous n'avons trouvé que des « Jupiter » trop près de leur étoile pour permettre la formation d'une « Terre ». Pour l'instant...

Encadré(s) :

Gliese 581, l'autre système solaire
F. L.

Dans leur désir frénétique de découvrir la première planète ressemblant suffisamment à la Terre pour pouvoir abriter la vie, les astronomes se laissent parfois emporter par leur enthousiasme. C'est visiblement le cas de cette équipe américaine (université de Californie et Carnegie Institution for Science) qui vient d'annoncer triomphalement (à tort ?) l'existence d'une nouvelle planète habitable autour de l'étoile Gliese 581.

Cette naine rouge (étoile de faible intensité), située à 20,3 années-lumière de nous, est une vieille connaissance qui compterait donc maintenant six planètes. Un vrai système solaire en miniature avec des planètes plus proches de leur soleil et tournant bien plus vite que les nôtres. Sans attendre, les Américains ont même pris la peine de baptiser cette exoterre Zermina.

Mais plusieurs astronomes font la fine bouche, remettant en question les calculs de leurs confrères. En effet, une exoplanète étant généralement trop petite pour être vue au télescope, son existence est extrapolée par deux méthodes principales. La première, dite des transits, repose sur l'observation de la luminosité des étoiles : si celle-ci varie régulièrement, on peut supposer qu'une planète passe devant l'étoile. Cette méthode est celle qui a permis à l'équipe franco-suisse de Michel Mayor de détecter les quatre premières planètes de Gliese 581. La seconde méthode, dite des vitesses radiales (utilisée par les Américains), repose sur les fluctuations de trajectoire de l'étoile, dont la cause peut être attribuée à des planètes. Des savants calculs permettent de déterminer le nombre et la masse de ces planètes. Les Américains ont donc estimé que Gliese 581 n'était pas entourée de quatre planètes, mais de six, dont la fameuse Zermina. Elle aurait trois fois la masse de la Terre, tournerait en 36,6 jours autour de sa naine rouge en lui présentant toujours la même face et serait dans la zone « habitable » (c'est-à-dire permettant l'existence d'eau liquide). Le problème, c'est qu'en revoyant les calculs des Américains, plusieurs astronomes pensent qu'ils ont pris de microscopiques signaux relevant d'un bruit de fond pour deux planètes. Bref, Zermina n'a pas encore décroché son acte de baptême !

Quoi qu'il en soit, il faut s'attendre, dans les années à venir, à la découverte de milliers de systèmes solaires. Forcément, ils accueilleront plusieurs planètes ressemblant à la Terre. Quant à savoir s'ils abritent aussi la vie, c'est une autre histoire. L'analyse de leur atmosphère - possible dans quelques années - pourrait cependant nous fournir un indice brûlant


« Lumières d'étoiles. Les couleurs de l'invisible », d'André Brahic (Odile Jacob, 280 p., 35 E). A paraître le 2 décembre : « De feu et de glace. Au pays des géantes » (Odile Jacob).

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