jeudi 28 octobre 2010

Les Duhamel, spectateurs engagés - Max Gallo

Le Point, no. 1989 - France, jeudi, 28 octobre 2010, p. 56

Fratrie. Ils livrent ensemble un vivant témoignage sur quarante ans de vie politique.

«L es Duhamel à la poubelle », criait-on, place de la Bastille, le 10 mai 1981. Les deux frères Duhamel (Alain était éditorialiste, Patrice, rédacteur en chef) sont classés giscardiens. Dans « Cartes sur table » (1) - un livre d'entretiens avec Renaud Revel -, ils se souviennent de ce climat de chasse aux sorcières qui s'installe aussitôt connue l'élection de François Mitterrand. On hurle aussi « Elkabbach au chômage » et « Mougeotte aux chiottes ».

Patrice, dès le lendemain, est relevé de ses fonctions. Alain est conduit à abandonner son éditorial du matin sur Europe 1. Aujourd'hui, Alain confie à Renaud Revel : « Quant aux quolibets de la place de la Bastille, étant l'oeuvre de militants socialistes exultant après la victoire, ils ne m'ont pas choqué outre mesure : tout cela était prévisible et humain. »

Sagesse de l'homme apaisé qui, durant près de quarante années, a vécu au coeur de l'incessant et inéluctable tourbillon médiatique. Il pense et parle en homme libre, aux analyses vigoureuses et acérées, mais équilibrées parce qu'il garde ses distances. On pourrait le qualifier de « spectateur engagé », comme aimait à se définir Raymond Aron, que, précisément, Alain Duhamel interrogeait en 1968 à propos de cette « Révolution introuvable ».

Patrice Duhamel, s'il a lui aussi cette capacité de recul, est encore tout frémissant de ce qu'il a vécu face à Nicolas Sarkozy comme dirigeant, au côté de Patrick de Carolis, de France Télévisions. Cette proche actualité l'habite encore. Si bien que les regards des deux frères ne se superposent pas mais convergent à partir d'expériences différentes, mais vécues dans le même univers médiatico-politique. Alain n'a jamais exercé le pouvoir dans un média, Patrice a été souvent aux commandes. Ils sont fraternels, solidaires et complémentaires. Patrice ne cache pas son admiration pour Alain : « Tu es à l'éditorial politique ce que Michel Drucker est au divertissement », lui dit-il. Il salue surtout la liberté de ton acquise par Alain, comme si le maître de conférences à Sciences po - qu'a été Alain Duhamel - avait abandonné le cours magistral conventionnel pour le jaillissement de la pensée vive.

Fascination. Cette liberté et cette indépendance d'esprit caractérisent ce livre qui dévoile les coulisses du théâtre qu'est la vie politique. Et, depuis les années 70, Alain et Patrice Duhamel en ont côtoyé tous les acteurs majeurs. Mais leur livre n'est pas seulement une galerie de portraits en situation ou le récit d'anecdotes inédites et d'événements dont on ne connaît que l'écho. Ils ouvrent le rideau et les acteurs surpris révèlent leur caractère. Le livre est aussi une réflexion sur les rapports de fascination mutuelle entre politiques et journalistes, entre la télévision et le président de la République.

Patrice Duhamel dresse ainsi, sans indulgence, la liste des erreurs de Sarkozy en ce qui concerne France Télévisions. Alain Duhamel souligne « le statut politique bancal et le statut culturel navrant de la télévision ». En même temps, il constate que jamais les rédactions n'ont été aussi libres, et la critique d'un président de la République aussi féroce. Alain Duhamel ne l'est pas avec François Mitterrand.« Il m'aimait bien ! Ça oui », dit-il.

Le président l'invitait, en compagnie de Jean-Pierre Elkabbach, à passer un week-end en province, souvent en Bourgogne, à Vézelay.« On partait en général en hélicoptère de l'esplanade des Invalides... C'était l'occasion pour lui de parler politique à bâtons rompus, durant une demi-journée. Quel privilège ! » « Nos divergences, qui étaient nombreuses, n'ont jamais altéré nos relations personnelles », précise Alain Duhamel. Un signe de grande estime - et d'habileté - chez le président.

Mitterrand laissera des consignes pour qu'Alain Duhamel et Elkabbach soient autorisés à se recueillir devant sa dépouille.« Atmosphère de crypte bouleversante... Je fus immédiatement frappé par la sérénité qui se dégageait de son visage », confie Alain Duhamel.« Notr»e profession s'est montrée civilisée et respectueuse à l'égard de François Mitterrand » En effet...


1. « Cartes sur table - Entretiens avec Renaud Revel », par Alain et Patrice Duhamel (Plon, 228 pages, 19 euros).

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