lundi 25 octobre 2010

ENQUÊTE - Pékin joue de l'arme des « terres rares » - Arnaud de la Grange

Le Figaro, no. 20599 - Le Figaro Économie, samedi, 23 octobre 2010, p. 20

Les terres rares sont des matériaux entrant dans la composition de la plupart des produits - civils ou militaires - issus de l'industrie high-tech. La Chine, qui en détient 95 % de la production, a décidé de réduire ses exportations.

Le père de la puissance économique chinoise avait un jour affirmé que si le Moyen-Orient était riche en pétrole, la Chine, elle, avait les « terres rares ». Deng Xiaoping faisait référence à un groupe de 17 minéraux stratégiques. Des matériaux aux noms imprononçables - yttrium ou praséodyme - que l'on retrouve dans les industries civiles de pointe comme militaires, des iPod aux missiles en passant par les voitures. Pékin fournit aujourd'hui plus de 95 % des besoins de la planète. De même que le pétrole, ces terres rares peuvent devenir une arme, comme le montre la joute verbale, ces derniers jours, entre la Chine et le Japon. Et aujourd'hui, ce sont les États-Unis, voire même l'Europe, qui pourraient être visés.

Au plus fort de la crise diplomatique née de l'arraisonnement d'un chalutier chinois par les Japonais dans des eaux contestées, le 7 septembre dernier, Tokyo a dénoncé un arrêt des exportations vers l'Archipel. Une trentaine de sociétés nippones seraient privées d'approvisionnement depuis le 21 septembre. Pékin a répliqué mardi en assurant que ces exportations n'ont « jamais cessé ». Mais, le même jour, le Japon a réclamé l'ouverture de discussions officielles pour exiger la reprise des livraisons. Surtout, la « bataille des terres rares » a franchi le Pacifique.

Montée des « nationalistes économiques »

Depuis lundi, les exportations vers les États-Unis seraient à leur tour bloquées, en riposte à une enquête américaine sur des subventions illégales accordées au secteur de l'industrie verte chinoise, selon le New York Times. Washington étudie la compatibilité de ces restrictions avec les règles de l'OMC. Quant à l'Allemagne, elle a annoncé en milieu de semaine avoir adopté « une stratégie pour son approvisionnement en terre rare ». Au même moment, le Japon et le Vietnam déclaraient vouloir parvenir à un accord, d'ici à la fin du mois, pour produire ensemble ces matières premières.

La main ferme chinoise sur la vanne des terres rares ne date pas d'hier. Pékin a mis en place des quotas sévères depuis 2005, et réduit ses exportations de 5 à 10 % par an. Mais en juillet dernier, les Chinois ont fait monter la pression en décidant de réduire les quotas d'exportation de 72 % pour le second semestre 2010, ce qui a immédiatement provoqué une flambée des cours. Et lundi, le très officiel China Daily, a affirmé que la Chine envisageait encore de réduire ces quotas l'an prochain, de l'ordre de 30 %. Une information démentie par une source anonyme du ministère du Commerce, sans que cette rectification ne rassure vraiment.

Ce serrage de vis alimente les spéculations sur une montée en puissance des « nationalistes économiques » au sein des cercles dirigeants chinois. Mais il répond aussi à des impératifs économiques chinois : le développement accroît considérablement la demande intérieure pour ces métaux rares. À l'appui, le ministère chinois du Commerce a récemment affirmé que les réserves de terres rares du pays avaient chuté de 37 % entre 1996 et 2003. Et qu'elles pourraient être épuisées d'ici quinze à vingt ans, si le rythme de production actuel se maintient. « Mais il y a sans doute aussi la volonté de forcer les multinationales à produire de plus en plus de biens nécessitant ces minéraux en Chine, confie un homme d'affaires occidental, ce qui crée des emplois et de la croissance dans le pays. » Lors du sommet Europe- Chine, il y a dix jours, le premier ministre Wen Jiabao - géologue de formation - a voulu rassurer les Européens en leur disant qu'il n'y aurait « aucun embargo », aucun chantage. Tout en réaffirmant la nécessité de contrôler étroitement cette ressource, « tant dans l'intérêt de la Chine que dans celui de la planète ».

L'affaire japonaise a été un électrochoc. Et le monde entier réfléchit maintenant à des ripostes. Tokyo a lancé un plan national pour sécuriser ses approvisionnements, en les diversifiant mais aussi en soutenant la recherche sur des matériaux alternatifs. Washington s'est attaqué à la reprise de la production sur son sol, tandis que le Pentagone lançait une étude sur la dépendance militaire américaine aux terres rares. L'attitude chinoise accélère tous les projets d'exploitation de réserves à travers le monde. Malgré leur nom, ces terres ne sont en effet pas particulièrement rares, mais la production s'est concentrée en Chine, tant pour des raisons de faibles coûts d'extraction que pour la faiblesse des contraintes environnementales. Du coup, d'importants gisements sont en cours de développement en Australie, au Canada et aux États-Unis. D'autres suivent aussi le mouvement, comme la Russie - qui dispose de grosses réserves - l'Inde, le Brésil ou la Mongolie. Les Japonais - qui consomment avec la Corée un cinquième de la production mondiale - explorent aussi des projets au Kazakhstan ou au Vietnam.

Tous ces gisements ne devraient pas être réellement opérationnels avant 2014. D'ici là, les industriels occidentaux pourraient avoir quelques sueurs froides, la demande mondiale devant doubler dans les cinq ans qui viennent.

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