Les dirigeants économiques et monétaires de la planète, réunis à Washington, n'ont pu que constater leurs désaccords.
Le turbulent ministre des finances brésilien, Guido Mantega, qui a dénoncé le premier une « guerre des monnaies », et ceux qui espéraient un apaisement de la volatilité des changes de la réunion du gotha économique à Washington du vendredi 8 au dimanche 10 octobre, à l'occasion des assemblées de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), en seront pour leurs frais : aucun accord planétaire n'est à l'étude pour calmer les marchés, sur le modèle de ceux du Plazza (1985) ou du Louvre (1987).
Grands argentiers et gouverneurs de banque centrale se sont séparés en appelant platement le FMI à « approfondir son travail dans ce domaine » d'ici au sommet des chefs d'Etat du G20 à Séoul (Corée du Sud), le 11 et le 12 novembre.
La question des changes est pourtant cruciale. Des flots de devises se déplacent massivement soit pour s'investir dans les pays florissants (Brésil, Chine, Israël), soit pour se mettre à l'abri (Suisse), soit pour des raisons spéculatives (Japon), soit parce que certains pays (d'Asie principalement) exportent à tout va et accumulent des réserves de devises (2 447 milliards de dollars pour la Chine, fin juin, soit 1750 milliards d'euros).
En soi favorables, ces mouvements de capitaux provoquent une hausse de la monnaie des pays bénéficiaires et peuvent déclencher des phénomènes si dangereux (« bulles » spéculatives, inflation, dégradation de la compétitivité des produits exportés) que les pays d'accueil cherchent des parades monétaires souvent dommageables pour les autres.
La Chine maintient de longue date son yuan sous-évalué au grand dam des Occidentaux, qui y voient une concurrence déloyale, mais Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque de Chine, a rappelé, vendredi, que Pékin n'entendait pas pratiquer de « thérapie de choc » : sa monnaie s'est appréciée de seulement 2,4 % en trois mois.
La Corée du Sud est soupçonnée d'acheter du dollar pour maintenir son won au plus bas, stratégie que le Japon vient de pratiquer pour arrêter l'ascension de son yen. Le Brésil, lui, a renchéri sa taxe sur les achats de ses titres par les étrangers.
A Washington, ministres et gouverneurs ont discuté de ces pratiques, n'en jugeant aucune condamnable a priori à condition qu'elles ne se perpétuent pas. Ils sont parvenus à quelques conclusions dont la modestie décevra Nicolas Sarkozy, partisan d'une refondation du système monétaire international, dont il veut faire l'une des priorités de la présidence française du G20 qui débutera le 12 novembre. D'abord, les émetteurs des grandes monnaies (dollar, euro, yen, yuan, livre) ont estimé que ces questions ne doivent plus être étudiées à vingt, autant dire sur la place publique, mais en petit comité en attendant une instance ad hoc.
Ensuite, ils vont débattre de la proposition du FMI de compléter le rapport annuel établi pour chacun de ses 187 Etats membres par un rapport sur les « débordements », c'est-à-dire sur les conséquences internationales des comportements monétaires des grands pays. Ces « débordements » seraient étudiés de façon multilatérale et non plus bilatérale, puisque le FMI n'a pas d'autre moyen d'action que la pédagogie, n'en déplaise à Timothy Geithner, le secrétaire au Trésor américain désireux de modifier les statuts du Fonds pour que celui-ci puisse dénoncer officiellement les pratiques chinoises.
Enfin, il s'agirait d'élaborer la « boîte à outils » monétaire proposée par Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du FMI, chaque gouvernement y trouvant des remèdes à ses déséquilibres économiques et monétaires avec le mode d'emploi pour qu'ils soient aussi peu nuisibles que possible pour les autres pays.
A Washington, il ne s'est donc pas agi d'éviter une « guerre des monnaies », mais d'accompagner le rééquilibrage d'une économie mondiale dont le centre de gravité se déplace inexorablement vers les pays émergents.
Donnant-donnant
Cet enjeu n'était pas moins évident dans le deuxième débat qui a animé les réunions du FMI, celui d'une nouvelle répartition de ses droits de vote et des sièges au sein de son conseil d'administration. Et là, c'est l'Europe qui était sur la défensive. Sommée par les Etats-Unis et les pays en développement de céder des voix et des sièges aux « pays émergents dynamiques », elle a répondu qu'elle en était d'accord, mais que les sacrifices préconisés par le G20 (5 % de quotas et des voix à déplacer) devaient être aussi supportés par les pays surreprésentés par rapport à leur poids économique, tels que l'Arabie saoudite, l'Argentine ou la Russie. Elle a proposé de céder - selon un système de rotation - deux des neuf sièges sur vingt-quatre que ses membres occupent au conseil d'administration.
Preuve que changes et droits de vote sont intimement liés, Américains et Européens se sont retrouvés in fine solidaires pour susurrer aux émergents : « Si vous voulez plus de pouvoir au sein du gouvernement économique mondial, vous ne pouvez plus vous affranchir des règles communes et vous devez vous montrer responsables. » Donnant-donnant.
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