mercredi 13 octobre 2010

Personne ne sortira gagnant de la guerre des changes


Le Monde - Economie, mercredi, 13 octobre 2010, p. 17

Tous ceux qui en sont encore à redouter une guerre des changes ont un train de retard : la bataille a déjà commencé. Pour l'instant, la Chine et les Etats-Unis ont pris les devants pour faire baisser le cours de leurs devises respectives. Et si la surenchère continue, tout le monde sortira perdant du conflit.

Les vives attaques que les responsables politiques des deux pays se sont lancées tout le week-end à l'occasion des assemblées de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) laissent augurer d'un G20 des plus tendus en novembre. Le gouverneur de la Banque de Chine, Zhou Xiaochuan, a déclaré qu'une réévaluation massive du yuan était exclue et qu'il valait mieux opter pour l'approche plus progressive d'une " méthode douce ". Le secrétaire au Trésor américain, Tim Geithner, lui, s'en est pris aux pays dont la monnaie était " significativement sous-évaluée ", un cas dont la Chine relève manifestement.

Les Etats-Unis prétendent qu'ils sont victimes de la guerre des changes. En réalité, elle leur est très profitable. Le dollar a cédé beaucoup de terrain en peu de temps face aux devises de ses partenaires commerciaux. Si l'on en juge par les indices tenus par la Réserve fédérale américaine (Fed), le dollar n'a jamais été aussi faible cette année en taux de change effectif.

De son côté, la Chine affirme qu'elle n'y gagne rien, faisant ainsi, elle aussi, preuve d'une certaine mauvaise foi. S'il est vrai que le yuan n'a jamais autant dominé le dollar depuis que son indexation sur ledit dollar a été officiellement abandonnée en 2005, il a beaucoup reculé face à la plupart des autres devises. L'euro, la monnaie du premier partenaire commercial de la Chine, s'est apprécié de 14 %. Le yen japonais a connu pratiquement le même sort, et plusieurs pays émergents comme le Brésil ont aussi vu leur devise bondir de façon spectaculaire.

Le fossé entre les perdants et les gagnants continue de se creuser. La politique de taux minimalistes pratiquée en Occident a eu pour effet d'orienter massivement les capitaux vers l'Orient et le Sud. De nombreuses Bourses asiatiques battent des records. Les marchés obligataires émergents sont aussi en pleine euphorie, car les investisseurs cherchent le rendement. Tout ceci pousse les monnaies déjà mal calibrées à grimper encore.

Déséquilibres graves

La solution au problème n'est pas simple, mais comment peut-il en être autrement, puisque cela fait déjà plusieurs années que l'on a laissé persister des déséquilibres aussi graves ? Un relèvement des taux aux Etats-Unis pourrait tuer la croissance et précipiter l'économie mondiale dans une nouvelle récession. Une brusque réévaluation du yuan pourrait être fatale à la compétitivité des exportateurs chinois et créer une situation de chômage généralisé en Chine.

La moins mauvaise des solutions consisterait à programmer une appréciation progressive mais régulière du yuan face au dollar, tout en empêchant celui-ci de continuer à perdre de la valeur. Mais au vu des positions de plus en plus intransigeantes, aboutir à un accord en ce sens relève de la gageure. Si Chine et Etats-Unis refusent d'y mettre du leur, la guerre des changes pourrait tourner à la guerre commerciale, et là, tout le monde se retrouverait perdant.

John Foley

(Traduction de Christine Lahuec)

PHOTO - International Monetary Fund (IMF) Managing Director Dominique Strauss-Kahn (L) talks to Governor of People's Bank of China Zhou Xiaochuan at the beginning of the International Monetary and Financial Committee (IMFC) meeting at the IMF headquarters building in Washington October 9, 2010.

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