Michel Barnier présente aujourd'hui à Bruxelles un plan de 50 actions pour relancer la croissance. Il dévoile ce programme en exclusivité dans « La Croix »
Après la crise financière et la relance économique, les États mènent des politiques d'austérité et cherchent de nouvelles règles pour superviser le secteur financier et gouverner la zone euro. Que vient faire, maintenant, la remise en chantier du grand marché européen ?
Michel Barnier : Réduire les déficits budgétaires, mettre en place une gouvernance économique, régulariser le secteur financier contribue à rétablir la confiance. Mais il faut aussi relever la ligne d'horizon. Il y a urgence à retrouver de la croissance et de la compétitivité. Les Européens demandent des emplois, du pouvoir d'achat. Les pays répondent chacun par des réformes structurelles courageuses et difficiles, auxquelles nous n'allons pas nous substituer. Mais nous disposons aussi d'une possibilité de croissance dans le marché unique, ce marché européen de 500 millions de citoyens- consommateurs et de 21 millions d'entreprises. Entre nous, Européens, je pense qu'il y a de trois à quatre points de croissance possibles à réaliser, si nous développons nos échanges et supprimons les obstacles. La seule « directive services » pourrait engendrer de 0,5 à 1 point de croissance si elle était mise en oeuvre correctement.
La « directive Bolkestein » en 2005 avait déjà l'ambition de reprendre l'achèvement du marché européen mais a suscité l'hostilité. En quoi votre approche diffère-t-elle cette fois ?
Jacques Delors a donné auparvant l'impulsion avec l'Acte unique (NDLR : traité européen de 1986). Le marché unique a beaucoup progressé depuis et changé la vie quotidienne des Européens : regardez l'évolution du coût du téléphone portable, des billets d'avion, la liberté d'établissement, la simplification administrative... Mais ce n'est pas fini. Ce que nous proposons aujourd'hui n'est pas un texte unique mais un plan de 50 actions, pour moitié législatives. C'est un travail collectif de dix commissaires européens. Et, autre démarche originale, nous ouvrons un débat public, de trois ou quatre mois. Nous allons écouter les parlements nationaux, les syndicats, avant d'arrêter, au terme de ce débat, la ligne définitive de nos engagements et de les tenir dans les deux ans qui suivent, en 2011 et 2012. Car, nous le savons, comme le conclut l'un de mes prédécesseurs, Mario Monti, dans le rapport qui inspire notre approche : « Le marché est de plus en plus nécessaire et de moins en moins populaire. »
L'Europe de la libre circulation n'a-t-elle pas fait le lit du repli identitaire ?
La crise fait naître le sentiment qu'on se défend mieux ensemble, entre Européens. Mais, en même temps, elle suscite aussi le repli. Le marché unique est la première victime du protectionnisme, et l'emploi la seconde. À la question : « Qu'est-ce que le marché m'apporte », le citoyen comme les PME sont tentés de répondre aujourd'hui : « Rien du tout ». Nous devons faire l'effort de montrer aux gens que le marché européen est fait pour eux et non sans eux ou contre eux.
Comment traduire cela concrètement ?
Toutes les avancées dans le marché unique européen doivent se faire dans le respect des droits collectifs des salariés, de la Charte des droits fondamentaux et de la clause sociale du traité de Lisbonne. Il y a, dans le marché unique européen, une place pour les malvoyants, les malentendants, pour tous ceux qui sont exclus à cause d'un handicap, par exemple par le sous-titrage ou des accords entre éditeurs pour la traduction en braille. Je veux aussi favoriser, dans le marché, une labellisation pour les fonds d'investissements éthiques ou sociaux. Nous allons aussi clarifier en 2011 l'exercice des missions de service d'intérêt général. Ce ne sera pas une directive-cadre sur les services publics, à l'efficacité de laquelle je n'ai jamais cru, mais un bilan des engagements pris pour l'accès aux services universels. Nous voulons aussi créer une carte professionnelle européenne pour que les qualifications d'une profession, de l'ingénieur au guide touristique, soient partout reconnues en Europe. Nous proposons aussi une assiette unique pour l'impôt sur les sociétés, permettant de comparer leurs taux.
Le marché unique du numérique est un autre chantier. Dans tous les domaines, on peut favoriser l'usage d'Internet, tout en respectant les droits d'auteur et la propriété intellectuelle. Le commerce électronique ne représente que de 2 à 4 % du chiffre d'affaires du commerce entre Européens. Enfin, nous voulons moderniser les marchés publics pour que leur attribution soit plus fluide, pour qu'ils soient davantage aussi au service d'autres politiques, comme l'inclusion sociale, la recherche, l'innovation ou l'écologie. Les marchés publics, qui représentent 17 % du PIB européen, peuvent servir de levier pour favoriser d'autres politiques publiques.
Nos marchés publics sont aussi convoités hors d'Europe. Quelles seront les règles d'accès ?
Pour moi, l'ouverture est affaire de réciprocité et je n'emploie pas ici un gros mot. Il figure d'ailleurs dans les délibérations du dernier Conseil européen. C'est une condition reconnue par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Or j'observe des déséquilibres : 75 % des marchés publics européens sont ouverts aux entreprises japonaises, alors que seuls 25 % des marchés japonais sont ouverts aux Européens. Nous avons aussi des difficultés avec la Chine. Je suis partisan d'un libre-échange maîtrisé, mais où l'Europe est traitée équitablement et ne serve pas de variable d'ajustement.
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