L'Institut de génomique de Pékin compense sa jeunesse par des investissements colossaux et d'immenses ambitions. Avec déjà des résultats prometteurs
A Pékin, les chercheurs de l'Institut de génomique (Beijing Genomics Institute, BGI) le reconnaissent eux-mêmes : ils n'ont probablement pas l'expérience de leurs concurrents américains ou européens. Le centre de recherche n'a que 11 ans; ses bio-informaticiens n'en ont que 25 en moyenne. Une jeunesse compensée par beaucoup d'ambition et des moyens techniques inégalés.
Dans les couloirs de son antenne principale, installée, depuis trois ans, dans une zone portuaire de Shenzhen, ville du sud de la Chine plus connue pour sa main-d'oeuvre bon marché que pour ses chercheurs, le BGI exhibe ses réussites : des articles dans les revues scientifiques de référence Nature et Science témoignent de ses gros coups. Parmi ceux-ci, le premier séquençage de l'ADN d'un homme préhistorique, celui du panda géant, emblème de la Chine, ou celui de la poule ou du concombre.
Un palmarès impressionnant pour une structure née en 1999. La Chine voulait alors prendre part au Projet génome humain, le décryptage des informations génétiques des 23 chromosomes de l'homme, qui rassemblait les plus grands centres de recherche américains, européens et japonais. Elle n'allait guère assurer que 1 % des travaux, mais s'est alors découvert un intérêt pour ces recherches, symboliques des compétences scientifiques des pays participants. En quelques années, le BGI a connu une croissance impressionnante en ouvrant des antennes à Wuhan (centre de la Chine), Hangzhou (est du pays), mais aussi à Hongkong, Copenhague et Boston.
Au total, « l'usine à séquencer », comme l'a qualifiée la revue Nature, emploie un peu plus de 3 000 personnes.« Nous sommes dans le «Top trois» mondial », déclare fièrement Yang Bicheng, directrice du marketing du BGI. Les deux autres centres - Broad et Sanger, situés respectivement dans le Massachusetts et au Royaume-Uni - sont l'objet de la curiosité et des discussions des chercheurs de Shenzhen.
Les chercheurs sont habitués aux interrogations que suscitent, dans la communauté scientifique internationale, leur jeunesse et celle de l'Institut. « Le BGI est très jeune, nous sommes jeunes, mais c'est une source de créativité dans ce domaine », se défend Qin Junjie, directeur associé du centre de bio-informatique du BGI. « Ce qu'il faut voir, c'est que chaque projet qui nous a été confié a été mené à bien », relève Hu Bin, directeur associé de la division recherche et coopération.
Aux yeux de certains, ce sont surtout ses investissements techniques qui confèrent au centre son avantage. Le BGI emploie plus de 500 bio-informaticiens et s'est offert 137 séquenceurs de nouvelle génération : des « Hi Seq 2000 » de la firme Illumina, capables de produire la séquence de 25 milliards de paires de base par jour. Ils sont installés en ligne sur un étage du centre de Shenzhen mais aussi dans son nouveau centre d'Hongkong, où le BGI prévoit qu'il sera plus facile d'attirer les collaborations étrangères.
Ces équipements nous rapprochent du jour où l'ADN de chaque être humain pourra être décrypté. « Le prix du séquençage du génome d'un individu devrait tomber autour de 10 000 dollars (7 100 euros) dans peu de temps, puis, lorsqu'il atteindra 1 000 dollars, sera envisageable pour tous », dit Yang Bicheng. Avec à la clé d'importants usages cliniques.
Le BGI n'est pas seul à s'intéresser à ce domaine. A Mountain View (Californie), la firme Complete Genomics propose déjà un service commercial de séquençage. Ses clients, des laboratoires pharmaceutiques, entreprises de biotechnologies ou centres de recherche, fournissent un échantillon d'ADN et Complete Genomics leur envoie les séquences pour un prix de 5 000 dollars.
Les recherches du centre chinois ont déjà donné des résultats concrets. En 2003, le BGI a fortement contribué à l'analyse du virus du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS), qui terrorisait la Chine, ce qui lui valut la reconnaissance du président Hu Jintao. En 2001, l'institut publiait dans Science le génome de l'une des deux grandes variétés de riz consommées sur la planète, l'indica. Une découverte significative « pour les millions d'individus qui vivent du riz et dont l'état nutritif et la santé peuvent de ce fait être améliorés », écrivait, à l'époque, la revue américaine. Après le tsunami qui a frappé, fin 2004, l'Asie du Sud-Est, le BGI a aussi mis ses capacités au service de l'identification des victimes par leur ADN.
Les équipes sont aujourd'hui confrontées à un autre défi : rentabiliser les investissements dans des séquenceurs dont le prix unitaire annoncé est de 495 000 euros. Le BGI a ainsi signé, en septembre, un premier accord avec les laboratoires pharmaceutiques américains Merck, désireux de profiter de ses « puissantes capacités en bio-informatique et en séquençage ».
Les ambitions chinoises en matière de génome ne s'arrêtent pas là. Depuis janvier 2010, le BGI a lancé un projet intitulé « l'arbre de la vie ». A terme, il doit aboutir au séquençage du génome d'un millier d'espèces animales et végétales.
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