Au diapason lors d'un sommet régional Asie-Etats-Unis à Hanoi, les deux anciens ennemis entendent contenir la montée en puissance de la Chine
La marine américaine est revenue au Vietnam, cette fois-ci, en amie. Il y a quelques semaines, le porte-avions américain USS George Washington a jeté l'ancre au large de Danang, au centre du pays, là où, le 7 mars 1965, débarquaient les premiers GI. Les deux marines ont effectué des manoeuvres communes.
Officiellement, ces exercices célébraient les quinze ans de la normalisation des relations entre les Etats-Unis et le Vietnam. Langage diplomatique à part, ils ont surtout envoyé un message au voisin chinois: Hanoi peut se prévaloir du soutien américain dans le conflit qui l'oppose à Pékin en mer de Chine - ou «mer de l'Est», comme la désigne les Vietnamiens. En juillet, l'administration Obama avait déjà déclaré «d'intérêt national» la liberté de navigation dans la zone.
Les deux régimes communistes s'y disputent les Spratleys et Paracels, des chapelets d'îlots et de récifs inhabités. Convoités, les eaux poissonneuses alentour, mais surtout les gisements de gaz et de pétrole du sous-sol marin. Cette mer, reliée au détroit de Malacca, constitue enfin un enjeu stratégique pour le contrôle du transport maritime. Autant de raisons qui ont conduit les deux pays à des batailles navales dans les années 1970 et 1980 et à l'annexion par Pékin de la majorité des îles.
Ces dernières années, la Chine s'est montrée de nouveau agressive: arraisonnements de navires vietnamiens suivis, comme le mois dernier, de détention de pêcheurs (neuf ont été libérés mardi), construction d'une base de sous-marins sur l'île d'Hainan (à proximité des Paracels). Pour le Vietnam, échaudé par les mille ans d'occupation chinoise, ces événements réveillent le spectre du grand envahisseur voisin.
«Pour augmenter sa marge de manoeuvre face à Pékin, Hanoi a besoin de diversifier ses relations», analyse Hien Do-Benoit, spécialiste du Vietnam au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences Po Paris. En appelant les Américains à la rescousse, les Vietnamiens veulent éviter un tête-à-tête déséquilibré avec la Chine. Et les Etats-Unis de satisfaire leurs attentes: en visite dans la capitale vietnamienne depuis dimanche pour une réunion des ministres de la Défense des Etats-Unis et d'Asie-Pacifique (lire encadré), le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a martelé que son pays souhaitait un règlement «multilatéral» du conflit des archipels. La Chine, pour conserver sa position de force, ne veut entendre parler que de négociations isolées, avec chaque belligérant (d'autres pays de l'Association des pays d'Asie du Sud-Est revendiquent certains îlots).
Dans un jeu d'équilibriste, Hanoi s'applique néanmoins à ménager la Chine, puissante et limitrophe. La critiquer publiquement peut conduire en prison. Samedi dernier, la police a arrêté une militante qui distribuait des tracts contre la «menace chinoise».
Pour les Etats-Unis, le Vietnam entre dans un large dispositif «de retour en Asie». Les questions de liberté religieuse et d'expression pimentent encore le dialogue entre Hanoi et Washington. Mais sur les droits de l'homme, «les Américains jouent la prudence, pour ne pas que leur attitude rapproche le Vietnam de la position chinoise», observe Hien Do-Benoit. A Hanoi, Robert Gates n'a fait qu'une vague allusion à la répression politique.
Hervé Lisandre, Hanoi
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