Cent cinquante ans après le sac du Palais d'été par les troupes franco-britanniques, l'administration de tutelle du Yuanmingyuan - ou jardin de la clarté parfaite - converti aujourd'hui en parc, cherche tant bien que mal à promouvoir la restitution des objets pillés, et aujourd'hui disséminés à l'étranger, dans des musées ou des collections privées. " C'est un très long processus, qui ne fait que commencer ", dit au Monde Wu Yinghong, porte-parole du Yuanmingyuan à Pékin.
Malgré les réactions patriotiques que suscite encore dans l'opinion publique l'humiliation de la Chine au temps des guerres de l'opium, le gouvernement chinois reste visiblement en retrait. En raison de la complexité des considérations légales et historiques liées à l'événement, et aussi parce qu'il ne souhaite pas voir sa politique étrangère du moment parasitée par une question qui n'est pas jugée prioritaire.
Dans une lettre ouverte présentée lors d'une cérémonie, lundi 18 octobre, date anniversaire de l'incendie de ce qui était alors un vaste ensemble de résidences impériales sous la dynastie des Qing - la plus grande partie du pillage avait eu lieu les 7 et 8 octobre 1860 -, l'administration du Yuanmingyuan " propose aux institutions et aux individus détenteurs de reliques en provenance de l'ancien Palais d'été de les restituer ".
Elle enjoint aussi " tous les gens qui aiment la paix dans le monde à s'opposer à la vente aux enchères et au commerce de reliques du Yuanmingyuan ". Et enfin, appelle à davantage de " collaboration et de communication " autour de la protection de l'héritage du Yuanmingyuan. Désigné porte-parole pour la restitution des reliques, Jackie Chan, la vedette du cinéma hong-kongais, a été le premier signataire de la lettre, que tout visiteur de l'ancien Palais d'été pourra signer, pendant une durée d'an.
Cet appel, retransmis à la télévision de Pékin, reflète les difficultés rencontrées par les chasseurs de reliques chinois : " Chacun des palais du Yuanmingyuan contenait un inventaire détaillé des objets qu'il recelait. Mais ils ont probablement été brûlés ", signale Wang Daocheng, spécialiste de l'histoire des Qing à l'université du Peuple de Pékin, et membre de la Yuanmingyuan Society, un comité d'experts de l'ancien Palais d'été. " On connaît mal ce qui reste et où se trouvent les objets à l'étranger ", ajoute M. Wang, qui relate les difficultés rencontrées par une mission d'universitaires chinois partis aux Etats-Unis en novembre 2009 : " Les musées pensaient qu'ils étaient là pour récupérer des objets. Or l'idée était juste de les répertorier. Les visites qui étaient prévues en Europe et au Japon ont été repoussées, car il faut qu'elles se fassent dans un climat plus amical ", explique-t-il.
Principale résidence des empereurs mandchous, qui ne demeuraient qu'occasionnellement dans la Cité interdite, les quelque deux cents palais et pavillons du Yuanmingyuan regorgeaient de calligraphies, de soie, de bijoux, de jade, de porcelaines, comme en rend compte, dans Le Sac du Palais d'été (éditions du Rocher, 2003), l'un des ouvrages les plus complets consacrés à l'événement, l'historien français Bernard Brizay, qui a compilé les témoignages de nombreux participants de l'expédition - officiers, soldats ou diplomates anglais et français.
Ces trésors forment une partie des quelque 1,64 million d'objets chinois que l'Unesco estime, selon l'agence Xinhua, dispersés à travers le monde. Leur apparition dans des ventes aux enchères est susceptible de déclencher l'alarme en Chine, comme en février 2009, lors de la vente par Christie's de deux têtes de bronze provenant d'une fontaine du Palais d'été, appartenant à la collection Pierre Bergé-Yves Saint Laurent : le marchand d'art chinois qui s'en porta acquéreur ne put payer et sa tentative de récupération des têtes - dont rien n'atteste toutefois qu'elles furent emportées par les troupes franco-britanniques - se solda en fiasco pour la Chine.
" Racheter des objets, comme les têtes du zodiaque - quatre autres têtes provenant de la fameuse fontaine, qui en comportait douze, sont au Poly Art Museum, à Pékin - , fait s'envoler les prix. Le Bureau national du patrimoine culturel a donc demandé l'an dernier aux musées de ne plus acheter ! ", explique M. Wang.
Quant aux négociations intergouvernementales, elles buttent sur le délai maximum de cinquante ans prévu par les traités internationaux pour la réclamation d'objets antiques volés ou exportés illégalement. " La seule voie est celle du don de la part des détenteurs ", affirme l'expert, citant le cas d'une compagnie d'assurances américaine qui avait acquis la fenêtre d'un pavillon en cuivre et l'a rendue à la Chine. Ou d'une famille de NéoZélandais, venus le 18 octobre, faire don de vases qu'ils avaient hérités de leurs ancêtres...
Brice Pedroletti
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