vendredi 29 octobre 2010

OPINION - Un G20 sous haute tension - Philippe Dessertine

Le Figaro, no. 20604 - Le Figaro, vendredi, 29 octobre 2010, p. 14

Le directeur de l'Institut de haute finance * dresse un état des lieux des forces économiques en présence, à deux semaines de la réunion de Séoul.

Présider le monde! Un doux vertige pourrait saisir Nicolas Sarkozy, en débarquant à Séoul, pour le premier des deux G20 placés sous sa responsabilité. Quel meilleur antidote aux tracas d'une France bloquée que d'assumer l'exaltante mission de remettre la planète sur de bons rails? On sait le chef d'État français friand de ces moments où souffle le grand vent de l'Histoire.

Pourtant, cette fois, le contexte est différent de ses deux grands faits d'armes, la faillite de Lehman en octobre 2008 et la crise grecque en mai 2010; il était alors question de dysfonctionnements du système vis-à-vis desquels la communauté internationale était démunie. Face à une panique généralisée, l'énergie et la volonté du président français avaient été utiles. À Séoul, le défi sera d'une autre nature, plus dramatique encore si possible.

En cette fin d'année 2010, jamais le fragile édifice de la mondialisation n'a été si proche d'une dislocation. Les vingt pays les plus importants du globe veulent-ils continuer leur route de concert, tant les signaux négatifs se sont multipliés au cours des dernières semaines? La guerre des monnaies en est le paroxysme. Ne nous y trompons pas, il s'agit là d'une gangrène majeure : la crise gigantesque dans laquelle se débat l'économie mondiale depuis plus de trois ans a été provoquée par une émission volontaire de dette; donc cette crise est d'origine monétaire, et non financière, comme on veut le résumer si souvent. À l'occasion du précédent G20 de Toronto, deux camps s'opposaient; les partisans de l'austérité contre ceux de la relance. Dans la querelle monétaire, autrement plus grave, les ennemis sont multiples.

La Chine, d'abord, mise au banc des accusés avec son yuan dévalué, véritable base de lancement de ses exportations. Au cours du récent sommet Europe-Asie à Bruxelles, les autorités chinoises ont surpris autant par leur intransigeance officielle que lors des négociations en coulisses : la puissance chinoise ne doit pas faire illusion; elle est dangereuse surtout par sa fragilité. Un ralentissement de sa croissance aurait des très graves répercussions internes. Revient le spectre des funestes accords du Plaza, en 1985, quand, dans une situation identique, et déjà sous pression américaine, le Japon avait réévalué sa monnaie, provoquant catastrophes en cascades et explosion durable des échanges internationaux.

C'est ici qu'il convient d'évoquer l'« Obama paradox ». Le président américain, dont l'élection a suscité le plus grand espoir universel, a choisi de manière délibérée le rôle du boutefeu, par des attaques d'une incroyable violence à l'encontre de la Chine et du reste du monde : le vote d'une résolution au Congrès, préparant le principe de rétorsions protectionnistes en cas de maintien du statu quo dans la sous-évaluation du yuan; mais surtout, l'intervention possible de la Federal Reserve, sous la forme de 1 000 milliards de dettes nouvelles, afin de donner une impulsion supplémentaire à son économie. Plus que jamais, « le dollar est notre monnaie mais votre problème », selon la vieille formule du sénateur Connally. En clair, à Washington, le chômage local est l'unique obsession. Pour le juguler, tous les moyens sont bons, y compris le risque de faire exploser le commerce international, donc la mondialisation.

Face à ces attitudes radicales, le Japon voit avec effroi monter des tensions rappelant la guerre, la vraie. De violentes manifestations antijaponaises se produisent dans de nombreuses villes chinoises, ou en Corée; sans parler d'une escalade des incidents militaires, entre accrochages maritimes et querelles territoriales. Alors Tokyo, sur le terrain des monnaies, a décidé depuis septembre de jouer une partition unilatérale; interventions surprises, non concertées; comme si les hostilités avaient déjà commencé.

Reste l'Europe, cherchant à faire prévaloir derrière une Allemagne revigorée une approche raisonnable. Les fondamentaux monétaires sont rappelés sans cesse, y compris à ses propres membres; comme pour tenter de consolider les fondations de la maison mondiale avant de passer à sa rénovation. Car le véritable objet de ces G20 devrait être de poursuivre la réflexion sur les aberrations de la finance et les corrections nécessaires.

D'autres lignes de fracture apparaissent encore; les récents accords de Bâle III confrontent les lobbies bancaires anglo-saxons, d'une part, et les établissements européens ou nippons, d'autre part. La concurrence est sauvage, les règles nouvelles sont utilisées avec une parfaite mauvaise foi; pourquoi, par exemple, n'avance-t-on pas sur le fameux axiome « too big to fail », trop gros pour faire faillite, cause des désastres de la haute finance? Les coupables, encore en vie, n'ont rien perdu de leur arrogance.

Vraiment, la gestion de ces sommets ne sera pas une sinécure. Il faudra à Séoul déployer des trésors de diplomatie; et agir vite. Ne pas ergoter, ne pas conclure d'improbables alliances, par exemple avec un Japon sur la défensive, dans le seul but de reporter le maximum de succès au G20 français de 2011 pour de belles répercussions électorales. La situation est assez grave pour qu'une fois au moins soient oubliés les intérêts particuliers.

*Auteur de Le monde s'en va-t-en guerre (Anne Carrière).

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1 commentaires:

Antoine a dit…

Les Européens se sont faits bernés. Maintenant que le dollar est bas, que le Japon a agit pour dévaluer sa monnaie et que la Chine a fait croire que sa monnaie était devenue flottante et prenait de la valeur (alors qu'elle reste artificiellement très basse), les pays sus cités ont réussi le tour de passe passe de maintenir leurs monnaies au niveau où ils le souhaitent. Suite à ces dévaluations, tous ces pays sont naturellement d'accord pour arrêter la guerre des monnaies. L'Europe, en benni oui oui, à accepté le deal en oubliant au passage qu'elle seule, n'a pas procédé à un ajustement de sa monnaie....Aujourd'hui, l'Euro est à un niveau très (trop) élevé, à environ 1.4 dollar pour un euro...et avec cet accord de principe, l'Europe ne peut plus agir sur sa monnaie...L'euro risque donc de rester structurellement élevé pour un bon bout de temps, pénalisant fortement nos exportations...Nous nous sommes faits roulés dans la farine et aucun économiste, politique ou journaliste n'a évoqué ce constat... Le salut viendra donc par la prochaine explosion de l'économie des PIGS (Portugal, Irlande, Grèce, Spain) qui, à force d'être dégradées par les agences de notation inutiles, finiront par peser sur l'euro...Il y a deux mois, on s'alarmait sur la chute de l'euro...Aujourd'hui, l'euro est trop haut et personne ne semble s'en soucier...L'euro, c'est notre monnaie et notre problème.