Droits de l'homme . La Chine cherche à dissuader le comité norvégien de récompenser le dissident Liu Xiaobo.
De notre correspondant à Pékin Philippe Grangereau
Le comité Nobel doit annoncer à partir d'aujourd'hui les lauréats des prix annuels de médecine, physique, chimie, littérature et économie. Mais c'est le Nobel de la paix, attribué vendredi, qui pourrait créer l'événement. Le plus grand favori est un prisonnier politique chinois, l'écrivain Liu Xiaobo. Militant tenace de la démocratisation, Liu a été condamné l'an dernier par Pékin à purger une peine de onze ans de prison pour «incitation à la subversion du pouvoir de l'Etat».
Piqué au vif par cette éventualité, le gouvernement chinois s'est mobilisé. Geir Lundestad, le secrétaire du comité Nobel norvégien, a révélé la semaine dernière qu'une vice-ministre chinoise des Affaires étrangères, Fu Ying, lui avait rendu visite pour l'avertir qu'attribuer le Nobel à cet ancien professeur de philosophie «constituerait un acte inamical qui aura des conséquences négatives pour les relations entre la Chine et la Norvège».«La personne que vous mentionnez a été condamnée à de la prison. Ses actions vont totalement à l'encontre des objectifs du prix Nobel», a martelé jeudi, devant des journalistes étrangers, un porte-parole officiel chinois en prenant soin d'éviter de prononcer le nom de Liu Xiaobo. La presse chinoise, elle, n'a pas soufflé un mot du prix tant redouté.
Charte 08. L'ancien président tchèque Vaclav Havel, le dalaï-lama et l'évêque sud-africain Desmond Tutu plaident pour l'attribution du Nobel au dissident. Côté chinois, quelque 300 intellectuels, avocats, cadres retraités et ouvriers chinois ont eu le courage de signer une pétition en faveur de Liu - qui selon son épouse, Liu Xia, n'est pas au courant de ces initiatives. Lorsque celle-ci est autorisée à lui rendre visite dans sa prison, située dans la lointaine province du Liaoning (nord-est), il lui est interdit d'aborder des «sujets d'actualité». Pessimiste, Liu Xia estime que les pressions du gouvernement chinois réussiront à priver son mari du Nobel.
Liu Xiaobo, 54 ans, a participé en 2008 à la rédaction de la Charte 08, un manifeste politique préconisant une démocratisation du régime. Signé par des milliers de Chinois sur Internet, malgré la censure, ce texte défend les «valeurs universelles», que le pouvoir conteste.
«Les conceptions des droits de l'homme varient selon les pays», certifiait la semaine dernière un officiel, alors que Pékin publiait son Livre blanc annuel sur «les progrès des droits de l'homme en Chine». Selon ce texte novateur, posséder un téléphone portable ou conduire sa propre voiture sont des droits de l'homme. Dans son premier chapitre, intitulé «droits du peuple à la subsistance et au développement», Pékin se félicite que la Chine possède plus d'un milliard de téléphones portables et «31,36 millions d'automobiles en 2009». Le gouvernement, qui a reconnu depuis relativement peu de temps le concept de «droits de l'homme», accorde une importance primordiale à l'un de ses composants, le «droit à la subsistance».
Progrès. A l'instar d'autres pays, la Chine estime que la liberté de parole n'est pas d'une grande utilité à celui qui meurt de faim. Mais pour perpétuer sa vision des choses dans une Chine où la disette a disparu, Pékin ne craint pas d'étendre la définition du «droit à la subsistance». Le nombre d'utilisateurs chinois d'Internet (384 millions) est, en outre, donné en exemple pour démontrer les progrès des «droits politiques et civiques» - sans que soit évoquée la censure draconienne.
Tout le monde n'est pas d'accord avec le Livre blanc. L'un de ses paragraphes salue comme un «progrès» une baisse de 2,7% des plaintes adressées aux autorités. Les milliers de «plaignants», qui campent autour du Bureau des plaintes de Pékin, où ils sont constamment harcelés par la police pour les empêcher de déposer leurs dossiers, y ont vu une insulte. Samedi, malgré les barrages policiers, une centaine d'entre eux est parvenue à protester devant le bureau de représentation du Conseil des droits de l'homme de l'ONU de la capitale chinoise. Ils ont presque tous été arrêtés.
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