Dans les archives de «Libé», il y a 11 ans. La Chine s'apprête à fêter avec faste les 50 ans de la République populaire. Mais le régime communiste saura-t-il gérer l'appétit de vivre d'une société qui goûte à la nouvelle prospérité?
Par Caroline Puel et pierre Haski (Libération du 1er octobre 1999).
«Avec Mao, la Chine a appris à se tenir debout, avec Deng à s'enrichir, et avec Jiang Zemin à être puissante.» Cette trilogie présentée par un dignitaire du régime se veut le résumé de cinquante ans d'histoire de la République populaire. Elle a le triple avantage de donner une image de continuité entre des périodes et des hommes qui ont suivi des politiques opposées, d'éviter de poser des questions sur les zones d'ombre de ce demi-siècle, comme le sanglant «bond en avant» de Mao, qui a fait des dizaines de millions de morts dans les années 50, et surtout, aujourd'hui, de tailler une cote sur mesure au président Jiang Zemin, troisième «timonier» d'une Chine qui décolle.
Chambardement. La République populaire présente, à l'heure de ses 50 ans, un double visage en apparence contradictoire. Au sommet, l'un des derniers régimes communistes de la planète prône la stabilité, en gérant son évolution politique à l'allure d'un escargot, et sans prendre de gants. A l'intérieur du pays, l'économie et la société vivent le plus grand chambardement qu'un gouvernement puisse imaginer, et cependant encouragé par le régime lui-même. Il s'agit de l'émergence d'une économie qui emprunte beaucoup au capitalisme le plus sauvage, rebaptisé ici du doux nom d'«Économie socialiste de marché», Qui permet une véritable révolution de la société, laquelle donne plus de droits à l'individu, sauf un... celui de contester le régime.
Ce découplage de la politique et de l'économie a doublement porté ses fruits : le Parti communiste chinois s'est maintenu au pouvoir alors que l'Union soviétique et ses satellites ont été balayés dans la foulée de la chute du mur de Berlin. Mais surtout, il a permis le prodigieux bond en avant - véritable celui-là - de l'économie chinoise passée, en vingt ans de réformes, à la dixième place dans le monde, avant de se classer un jour à la première, une belle revanche sur l'histoire. Et le niveau de vie des Chinois de connaître, au passage, une réelle amélioration, même si elle est profondément inégale selon les régions et selon les couches sociales.
Ce triomphe apparent du régime, célébré à satiété à l'occasion de cet anniversaire, a, bien sûr, ses revers de médaille. La dynastie communiste maintient, pour assurer sa survie, un énorme appareil policier dont elle n'hésite pas à se servir - les chars place Tiananmen il y a dix ans, le démantèlement du Parti démocrate l'an dernier, l'envoi des dissidents en exil... -, et une machine de propagande efficace, comme l'ont montré les mobilisations contre l'Otan ou contre la secte Falungong.
La réussite économique a, elle aussi, un coût. Cette marche forcée vers la modernité a créé une immense masse de laissés-pour-compte : nouveaux chômeurs d'un secteur d'Etat dégraissé sans ménagement, ou paysans pauvres attirés par l'éclat des villes. Des dizaines de millions de personnes qui pourraient menacer la stabilité du pays si la croissance économique rapide des dernières années ne permettait plus de les absorber dans son sillage.
Le développement anarchique a également produit ses fruits amers que le communisme prétendait avoir éradiqués : corruption effrénée, retour de la prostitution ou de la criminalité...
Pari. Ce décalage entre les sphères politique et économique constitue le principal pari de la Chine actuelle. Au nom des valeurs permanentes d'une culture plusieurs fois millénaire et de l'ampleur de sa population (1,25 milliard d'habitants), la société chinoise acceptera-t-elle le «marché» que lui propose le pouvoir : enrichissez-vous et vivez comme vous le souhaitez, à condition toutefois de ne pas franchir la ligne rouge de la revendication politique ?
Ou, au contraire, la transformation de cette société - émergence d'une petite bourgeoisie, naissance d'une classe d'entrepreneurs exigeants, circulation de l'information par l'Internet ou des médias moins coincés - rendra-t-elle insupportable, à une Chine devenue moderne, le maintien d'institutions non démocratiques ?
Il est d'autant plus difficile de répondre à cette question que, dans la phase de découverte de la prospérité toute récente que traverse la Chine, les aspirations politiques sont assurément passées au second plan. L'argent facile ou tout simplement un logement et une voiture sont devenus les valeurs refuge des enfants de Tiananmen, et il ne reste plus qu'une poignée d'irréductibles pour chercher à combattre de front un régime bardé d'autant d'atouts.
Adhésion. Beaucoup voient en fait dans l'émergence d'une nouvelle génération de responsables politiques, administratifs et dans la société civile, l'espoir d'une évolution progressive du régime vers plus d'ouverture. Un processus graduel qui se ferait, aussi, par le biais de l'insertion de la Chine dans une communauté internationale avec laquelle elle a longtemps entretenu une méfiance réciproque.
Certains de ces réformistes de l'intérieur voient par exemple dans l'adhésion du pays à l'Organisation mondiale du commerce la clé de son insertion dans un corps de règles qui garantirait sa modernisation à long terme. Pour la première fois de son histoire, la Chine s'ouvrirait ainsi volontairement au monde.
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