Marianne, no. 706 - Événement, samedi, 30 octobre 2010, p. 16
Le casse du casseur...
En malmenant les valeurs fondatrices de la République qu'il est de son rôle de défendre, le président a démoralisé les Français. Pis, en déchirant le tissu social, Nicolas Sarkozy a divisé le pays contre lui-même.
Ce n'est pas un " voyou ", c'est entendu ! Ce n'est pas un délinquant en col blanc élyséen, évidemment ! Ce n'est pas un barbare briseur de vitrines et détrousseur de vieilles dames, certainement. Ce n'est pas un vulgaire casseur de la place de la République. C'est Sarkozy le Magnifique !
Une blague ? Une blague saumâtre ? Poussons encore le mirage : grâce à Lui, grâce à Sa Bénévolente Majesté, le calme et l'harmonie règnent en douce France, cher pays de notre enfance... Ce président exemplaire, soucieux du bien de ses sujets comme de la pérennité de son modèle social, a instauré un riche dialogue public entre les forces vives du pays. L'égalité est restaurée comme principe fondateur de notre cité, et le rassemblement des Français, initié par le Très-Haut, s'impose comme moteur de progrès contre tous les lobbies de la division et de la prévarication. Le bien-être collectif, désormais, l'emporte sur les privilèges indus de quelques-uns. Notre monarque républicain est juste, a rétabli l'égalité des citoyens devant la gabelle comme devant la gamelle. Son libéralisme princier est allé jusqu'à assurer l'indépendance de la justice et le respect des contre-pouvoirs institutionnels. Le gouvernement gouverne, le Parlement parlemente, les journalistes journalistent sans pressions ni poursuites. Nicolas Sarkozy Ier est décidément un grand chef d'Etat républicain à qui l'histoire, et Marianne d'abord, rendra les armes et les honneurs !
Aux abonnés absents
Il y a quelque chose qui cloche là-dedans, vous en conviendrez volontiers. Et même si nous avons déjà tenté un numéro spécial " sarkolâtre ", il nous est impossible de recommencer. Car la situation s'est par trop dégradée. Avec une République au coeur et aux reins brisés, aux membres épars, à la gueule et à l'espérance cassées.
Certes, Nicolas Sarkozy n'a pas cassé le modèle républicain à lui tout seul. Il était, reconnaissons-le, en piteux état quand il l'a ramassé. Sans doute n'aurait-il pas été élu si ce modèle n'avait pas été aussi déglingué et si ce personnage entreprenant n'avait pas joué, avec brio, le réparateur en campagne. L'ascenseur social en panne, par exemple ? Il promettait de le dépanner. Et pas besoin de raquer, c'est lui qui allait nous payer ! Il assurait même la sécurité, avec la propreté ! Kärcher, c'est d'enfer, ça allait rutiler.
La rupture, c'était justement pour cela, pour faire redémarrer la société française et transcender ses pesanteurs, ses dysfonctionnements et ses rentes de situation acquise. Il était M. Energie dont il fallait se servir à fond. Ses riches amis l'ont aussitôt compris. Le culte de l'argent et de l'amitié mélangés fut la première, et profonde, atteinte au principe de républicanité. L'erreur fondatrice irrattrapée, sans doute irrattrapable, symbolisée par le bouclier fiscal armoiré avec cette devise en lettres d'or : " Moi et mes copains d'abord ". Or, on est président-monarque pour les autres, à commencer par les plus déshérités qui ont besoin des mots de compassion du souverain, quand il n'a rien d'autre à distribuer.
La parole est sacrée... aussi longtemps qu'elle n'est pas dévaluée. Aussi longtemps qu'elle touche à l'essentiel, qu'elle s'attache à défendre les grands principes, à les faire vivre. Trop trivial, trop petit, Nicolas Sarkozy a désacralisé le verbe. Or, une autorité se légitime par l'élévation du propos, des dits et non-dits qui cernent les desseins présidentiels en même temps qu'ils les renforcent et le renforcent. Mais il s'est affaibli en ne prononçant jamais, non, jamais, les mots fondateurs de la République - liberté, égalité, fraternité - ensemble, indissolublement liés. Il ne s'agissait pas de les psalmodier pour l'hypocrisie de la prière au mythe national, mais de ressourcer la nation à son histoire et d'asseoir son trône. En laissant dépérir ses valeurs fondatrices qu'il est de son rôle de défendre, le président s'est enfoncé en même temps que le pays. Il l'a dévitalisé et démoralisé.
Le père de la nation, d'emblée, s'est mis aux abonnés absents, lui qui, pourtant, n'a eu de cesse de réclamer le retour de l'autorité parentale. Quelle ligne directrice a-t-il donnée ? Quel sens, quelle voie vers le redressement alors que tout valsait et s'affaissait ? Quel cap dans la tempête, lui qui prétendait tenir ferme la barre ? Quel esprit collectif a-t-il invoqué ou provoqué ? Cabotage et cabotinage sont les deux mamelles de la paternité sèche du sarkozysme.
Au mieux, ce navigateur à vue a-t-il désorienté jusqu'à ses soutiens les plus affirmés ; au pis, a-t-il divisé le pays contre lui-même. Il l'a hérissé d'hostilités. Il a " clivé ", selon son expression, sans qu'on lui rappelle la parole prophético-politique des Ecritures : " Toute maison divisée contre elle-même périra. Tout Royaume aussi. "
Flot de dérision
Celui qui a dressé le bilan le plus terrible, le plus accusateur contre la dérive antirépublicaine en cours, ce n'est pas un gauchiste, c'est Jean-Paul Delevoye, le médiateur, qui fort de son expérience a exprimé publiquement son " inquiétude " devant " une société fragmentée, sans espérance collective, où le chacun pour soi a remplacé l'envie de vivre ensemble ". Ce chiraco-gaulliste relève qu'il y a " trop de gestion des émotions collectives médiatisées, et pas assez de vision collective ". Et lui, qui n'est pas du genre catastrophiste, s'alarme pourtant : " Ça peut mal tourner, car la distanciation par rapport aux hommes politiques est plus forte que jamais. " Constat indiscutable qui n'épargne pas une gauche obstinément balbutiante, mais qui frappe en premier lieu le détenteur du pouvoir suprême. Il n'aura pas su habiter et sacraliser sa fonction. Depuis que Dieu est mort, il faut pourtant des autorités terrestres à respecter et honorer. Or celle-ci s'est disqualifiée. La preuve.
Avez-vous remarqué comment les Français s'agacent, ou s'esclaffent lorsque le président s'exprime, et il le fait souvent, au lieu de l'écouter, voire de l'entendre, avec gravité ?
Mais cette ironie qu'il provoque, ce ridicule qui lui est désormais attaché comme des grelots à ses épaulettes, tout ce flot de dérision parfois de mauvais goût viennent de ce qu'il n'incarne pas l'intérêt du pays en son entier, qu'il ne recherche pas son salut, mais la mobilisation de son électorat flagellant et apeuré. Sus à l'étranger pour commencer ! Droit sur les syndicats pour suivre. On commence par créer deux catégories de citoyens, les Français de souche et ceux venus de l'immigration - mais où est donc le principe d'égalité ? - puis l'on continue avec une démonstration de force en solo sur les retraites pour démontrer que le pouvoir n'a pas déserté l'Elysée. Plus il est solitaire, plus il serait solaire. L'astre élyséen se lèverait quand il est contesté et brillerait de mille feux lorsqu'il est conspué par une écrasante majorité des citoyens. Folie du tout-à-l'ego qui dégoûte le populo de ses gouvernants ! Démence, justement, de cette illusion d'un " capitaine Courage " qui tiendrait bon envers et contre tous, puisque seul il serait détenteur de la vérité.
Absolutisme et mépris
Car plus hyperprésident que tous les présidents, Nicolas Sarkozy a cassé les corps intermédiaires et contestataires. Autour de Narcisse à l'Elysée, il n'y a plus de conseillers critiques, il ne veut que des miroirs arrangeants. Son gouvernement ? Une miroiterie aussi. Son Premier ministre ? Idem. Même si François Fillon croit soigner son image, elle n'existe qu'en regard de celle du président. Sa majorité ? Miroitière aussi, même si elle ajoute parfois aux reflets flatteurs quelques timides contrastes. L'opposition ? Elle s'oppose à Lui, ce qui serait une autre manière, complémentaire, d'illuminer Sa Splendeur. Quant à négocier avec les syndicats ? Quoi ? " Je décide et vous exécutez ! " C'est encore bien beau qu'ils aient le droit de manifester.
On les avait suffisamment " traités ", Thibault et Chérèque, invités à l'Elysée, et même à déjeuner. Maintenant on les traitait de haut. Que de mépris public en sus de cet absolutisme. Cette manière hautaine de répéter en boucle qu'on " vous a écouté, qu'on vous écoute, qu'on vous écoutera ". Mais sans jamais rien concéder. Comme si l'on parlait à des enfants n'ayant aucun sens des responsabilités ni du bien commun. Allez, circulez ! De toute façon, il n'y a pas le choix, et vous ne pouvez pas comprendre, vous êtes trop butés, obstinés, le nez et les yeux sur votre pré carré syndical, quand le chef de l'Etat à la tête à la mondialisation et aux contingences célestes qui échappent aux mortels. Le cerveau contre les estomacs. Le premier pense avec sa tête, les seconds seulement avec leurs tripes et leurs instincts grégaires. Jamais pouvoir aussi disqualifié n'aura à ce point montré autant de prétention à la conduite sans partage des affaires publiques.
La difficulté des temps et la crise réclamaient pourtant, on nous l'a assez seriné, un effort collectif, d'investissement d'abord, d'imagination ensuite, de partage équitable enfin des sacrifices. Il fallait pour ce faire réinventer les Lumières ; on a la gouvernance de l'ombre. Surtout pas de transparence, le secret opaque, le mystère épais pour surprendre l'autre, tenu pour adversaire. Les ennemis d'ailleurs sont partout ! Au lieu d'une oeuvre commune, les Français sont donc confrontés aux plus communes des manoeuvres, y compris de basse police. Qui dira jamais ce qui s'est tramé en coulisses pour empêcher la justice d'accomplir son oeuvre salutaire dans l'affaire Woerth-Bettencourt-Sarkozy (lire p. 26, l'article de Laurent Neumann et Stéphanie Marteau) ? Une affaire d'Etat ? Les atteintes au secret des sources des journalistes, les pressions sur la magistrature, les intimidations des témoins laissent des traces qui conduisent jusqu'au sommet.
Le ministre du Travail lui-même, Eric Woerth, l'ex-trésorier de l'UMP, totalement délégitimé par demi-mensonges et ses quarts de vérité aura contribué à propager le pire poison pour l'esprit public : la suspicion de collusion permanente entre le gouvernement et l'argent. Il symbolise la connivence de deux mondes qui devraient se tenir à distance et qui ne perçoivent même plus le danger de s'acoquiner à déjeuner et à souper. L'esprit républicain impose de la distance, voire de l'austérité, sinon de l'exemplarité. Des vertus, en somme, de serviteur de la chose publique. Des valeurs immatérielles mais qui valent tellement cher, qui pèsent tellement lourd, en temps de crise particulièrement.
Bateleur de lui-même
Mais il faut risquer cette hypothèse : c'est justement parce qu'elles sont ignorées, piétinées, que ces valeurs peuvent revenir en force. La solidarité, le don gratuit, le service du bien commun redeviennent de saison quand paraissent dépassées les figures de style du sarkozysme flamboyant, tels la réussite individuelle ou l'enrichissement rapide. Le gouvernement ne s'est jamais tant gargarisé d'ouverture et de dialogue social depuis qu'il a fermé la porte au nez des syndicats (lire p. 20, l'article d'Hervé Nathan et Laurence Dequay).
Sans doute le nouveau gouvernement ira-t-il jusqu'à passer ostensiblement le bleu de travail pour ne pas abîmer davantage un tissu social que le sarkozysme a largement contribué à déchirer. Probablement s'affichera-t-il des comportements vertueux jusqu'à faire preuve d'une " sobriété " dont les débuts du quinquennat avaient singulièrement manqué. Très certainement sommes-nous promis aussi à un discours républicain ripoliné de tricolore. Nicolas Sarkozy n'a jamais été meilleur que comme bateleur de lui-même.
Le spectacle son et lumière du Sarkozy républicanisé. " Je suis le seul à pouvoir réparer ce qui a été cassé ", va-t-il nous chanter. Ça s'appellerait " Le casse du casseur ".
Nicolas Domenach
Les " saboteurs " du dialogue social Face à des syndicats responsables qui ont gagné en popularité, le chef de l'Etat et le gouvernement se sont révélés inaptes à une vraie négociation. Dans de telles conditions, la réforme des retraites restera un sujet brûlant. C'était à l'automne 2008. Nicolas Sarkozy plastronnait devant ses amis de l'UMP : " Désormais quand il y a une grève en France, personne s'en aperçoit. " Souvenirs... Il n'y avait pas que de la fanfaronnade dans ce tableau trop idyllique de la France sociale version Nicolas Sarkozy. Au moins le chef de l'Etat pouvait-il se vanter d'avoir fait passer sans trop de heurts le service minimum dans les transports, une réforme des régimes spéciaux de retraite et même la rupture négociée du contrat de travail. Même les premiers mois de la crise économique furent l'occasion d'un dialogue ouvert. Deux ans plus tard, avec le long conflit des retraites - six mois, dix journées d'action et trois à quatre semaines de grève pour certains -, les Français sont dressés les uns contre les autres, ouvriers du pétrole en colère contre livreurs de fleurs au chômage technique, éboueurs contre maires de grandes villes, dames de service des cantines contre mères de famille... En fait, la France redécouvre les affres de la lutte des classes, version années 70. Les patrons, qui s'étaient tranquillement planqués à l'abri du gouvernement et de l'UMP, ont retrouvé de la voix. La CGPME crie à la " chienlit ". Le Medef a ressorti les calculettes : " Le mouvement coûte entre 200 et 400 millions d'euros par jour ", s'exclame Laurence Parisot. Tiens, une crise sociale aurait donc un coût économique ? Les patrons redécouvrent la Lune ! Même Jean-François Copé, président du groupe UMP de l'Assemblée, renoue avec la bonne vieille rhétorique de l'UDR des années Pompidou et confond un barrage devant une raffinerie avec une " prise d'otages ". L'autre " jeune talent " de l'UMP, Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'Emploi, compte les jours de conflit en postes perdus : " 1 500 ! ", affirme-t-il, bien incapable d'expliquer comment il a calculé un tel chiffre. Provocateurs ! Terroristes ! Fauteurs de chômage ! Voilà ce que sont les invectives que la droite jette à la face des 65 % de Français qui veulent encore combattre la réforme des retraites après le vote du Parlement. Le dialogue social ? Brisé, cassé, pulvérisé. Rien à négocier En face aussi, on a repris les symboles traditionnels du combat de classe. On a vu, à Dunkerque, des familles de sidérurgistes, de chimistes, d'ouvriers, de caissières et d'employés chanter à tue-tête une Internationale le poing levé. Dans les raffineries, les personnels réquisitionnés partagent leurs salaires avec leurs collègues grévistes. Des cheminots emmenés par Sud Rail sont partis, parpaings sous le bras, dans le VIIIe arrondissement de Paris pour murer symboliquement le siège de l'UMP. Dans cette guerre sociale à bas bruit, on remarquait à peine dans les manifestations parisiennes la troupe du Théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine défilant sous une statue de la Justice, exhibant bien haut cette belle phrase de Benjamin Constant : " Que l'autorité se borne à être juste, nous nous chargerons d'être heureux. " Nicolas Sarkozy et son conseiller social, Raymond Soubie (lire p. 23), n'ont pas l'esprit philosophe. Dès le premier jour, leur intention de courir délibérément à la crise sociale a été manifeste. Car, en axant leur réforme sur le recul des bornes d'âge de 60 à 62 ans, et de 65 à 67 ans, l'Elysée a d'emblée choisi le bras de fer. Raymond Soubie a d'ailleurs lâché le morceau sur Europe 1 : " Quand on est un syndicaliste en 2010, on ne négocie pas sur ce tabou qu'est la retraite à 60 ans. " Le casse-pipe social était donc programmé. Retour sur images. En janvier dernier, conscient qu'il s'agissait non pas de négocier, mais de forcer le destin, Xavier Darcos, prédécesseur d'Eric Woerth au ministère des Affaires sociales, milite pour imposer cette réforme brutale pendant la Coupe du monde de football. " Les Français seront captivés par leurs écrans de télé ", avouait-il. Exit Darcos, trop franc ! Bonjour, Woerth, le " M. Parfait " de la Sarkozye. Le dépôt du projet de loi étant fixé au 14 juillet, le calendrier retenu par l'Elysée demeure extrêmement court. A quoi bon prendre le temps de discuter, puisqu'il n'y a rien à négocier ? " Le scandale est d'autant plus grand que les Français, en portant Nicolas Sarkozy à l'Elysée, ne lui avaient pas donné carte blanche pour rompre avec notre tradition de dialogue social ", s'indigne Bernard Thibault, le chef de file de la CGT. Son alter ego de la CFTC, le pondéré Jacques Voisin, ajoute : " Le dialogue social version Sarkozy, c'est : j'impose un sujet, je vous écoute puis je décide. Mais cela n'a rien à voir avec nos pratiques, qui sont de dresser ensemble le constat des difficultés, puis d'élaborer conjointement des solutions. " Le gouvernement se défend d'avoir été autiste : " Nous avons eu 50 réunions de travail " avec les centrales. Mais tous les dirigeants, de Sud à la CGC, en font le même récit. " Une parodie insupportable, confie Bernard Thibault. Quand on pense qu'Eric Woerth a eu le culot de me démentir, lorsqu'au sortir d'une de ces réunions j'ai révélé que cette réforme censée garantir l'avenir de notre régime par répartition n'était qu'un plan d'économies liquidant la retraite à 60 ans ! " Lorsque, début septembre, François Chérèque, le patron de la CFDT, propose une ouverture inattendue en suggérant de repousser à 2018 le passage à 67 ans pour une retraite sans pénalité, c'est niet aussi. Les agences de notation, fait-on savoir doctement, pourraient dégrader les emprunts d'Etat ! Chérèque trouve alors une solution de financement. Niet encore ! Chérèque, qui, en 2003, avait topé - et payé cher ensuite - avec un Premier ministre nommé Jean-Pierre Raffarin, n'en revient toujours pas de ce mépris, de cette volonté affichée, assumée, de ne pas négocier. " Le gouvernement n'a envisagé le problème des retraites qu'à travers un prisme financier, certifie-t-il. Chaque fois que notre organisation syndicale l'a engagé à remédier à une injustice de sa réforme, Eric Woerth, le ministre du Travail nous a répondu : "C'est trop cher." " Conflits en cascade... Dans les colonnes du Monde, Raymond Soubie a justifié ces humiliantes fin de non-recevoir infligées à la CFDT. A l'en croire, c'était pure tactique. Pour ne pas " la décoller " de la CGT et éviter que la centrale de Bernard Thibault ne se radicalise. N'en déplaise au Machiavel de l'Elysée, cette morgue et ce dédain affichés à l'endroit du dialogue social pourraient coûter cher à l'actuelle majorité. Non seulement l'Intersyndicale, dont le Figaro annonce tous les deux jours l'implosion, tient le coup. Mais elle jouit surtout, auprès des Français, d'une popularité deux fois supérieure à celle du chef de l'Etat, y compris depuis le vote de la loi sur les retraites au Sénat et à l'Assemblée. " On ne refuse pas la bagarre. On garde la tête haute, avec la confiance de l'opinion publique. Ce qui s'est passé va compter pour l'avenir ", pronostique Eric Aubin de la CGT, qui aurait engrangé, depuis septembre, 6 000 nouvelles adhésions. " Tant d'initiatives ont fleuri que cela devrait maintenir la mobilisation à un niveau élevé dans la durée ", assure Annick Coupé de Solidaires. D'ores et déjà, les organisations prédisent des conflits en cascade puisqu'il faudra régler dans les entreprises et les branches les questions non réglées, en particulier la pénibilité. La popularité des syndicats tient aussi à la responsabilité dont ils ont su faire preuve. " S'ils n'ont pas poussé trop loin le combat social, c'est parce qu'ils avaient conscience du risque de déstabilisation institutionnelle qui menaçait le pays ", explique le sociologue Henri Vacquin, bon connaisseur des appareils. Les syndicats ont rassuré la France quand l'exécutif l'électrisait ! Le pouvoir en a profité... Une réforme trop injuste Mais les salariés, à qui le gouvernement martelait qu'ils ne comprenaient rien aux enjeux des retraites, ont réalisé cet automne qu'ils étaient tout à fait capables d'estimer le niveau d'injustice d'une réforme. " Désormais sur tous les sujets, fussent-ils complexes, leur niveau d'exigence revendicative sera bien plus élevé ", prédit Bernard Thibault. Nombre d'entreprises ne s'y trompent pas et accélèrent les discussions sur les salaires et les conditions d'emploi. La puissante association Entreprise et personnel, qui regroupe les directeurs de ressources humaines du CAC 40, prévoit " un climat social pesant ". La semaine dernière, sur le plateau de France 2, la présidente du Medef, Laurence Parisot, répondant à une proposition de François Chérèque, a accepté d'ouvrir une " délibération sociale " sur l'emploi des jeunes et des seniors. François Fillon, trop pressé de tourner la page des retraites, s'est associé à cette initiative. Chérèque, lui, dénonce l'instrumentalisation de ses propos par le gouvernement... Le mouvement social peut néanmoins se targuer d'avoir décroché deux trophées hautement symboliques. " En acceptant par voie d'amendement au Sénat de réfléchir dès 2013 à une nouvelle réforme systémique, le gouvernement a d'ores et déjà reconnu le caractère court-termiste de sa réforme ", se réjouit Jean-Louis Malys de la CFDT. Pas la peine de se plaindre d'une absence de dialogue social, puisqu'il faudra recommencer à négocier en 2013 ! En mobilisant massivement les Français sur le thème de l'injustice, l'Intersyndicale a également contraint le gouvernement à annoncer la prochaine abolition du bouclier fiscal. " Qui aurait pu croire que ce serait advenu, commente Gérard Aschieri, ancien secrétaire général de la FSU, s'il n'y avait pas eu 3 millions de citoyens dans les rues ? " Pas assez cher payé, pense Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de Force Ouvrière : " Il faut envoyer la facture au président de la République ! C'est lui le responsable de tout cela. " Quand Nicolas Sarkozy appellera les syndicalistes à l'Elysée pour négocier un nouvel " agenda social ", il pourrait bien se voir présenter l'addition du conflit des retraites. François Chérèque prévient : " La réforme est tellement injuste que les retraites, on en parlera en 2012 avec les élections, puis en 2013 et même après, tant qu'on n'aura pas réglé le problème... " Les gauchistes se brisent les dents sur le mouvement "Tout est à nous, rien à eux. Tout ce qu'ils ont, ils l'ont volé ! " Dans les cortèges, les militants du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ne manquent pas de voix. Les manifestants s'arrachent leurs faux billets de 500 € frappés du slogan : " Woerth, Sarkozy : dehors ! Parce qu'ils le volent bien ! " Il n'empêche : le parti d'extrême gauche a raté l'automne social. Disparu, son leader, Olivier Besancenot. Il n'y a pas si longtemps, il était aux avant-postes de la contestation sociale (comme en 2009, lors du mouvement en Guadeloupe). Aujourd'hui, l'ex- " meilleur opposant à Sarkozy " s'est évaporé. Envolé, le facteur. Celui que les médias prennent pour un " timbré ", Mélenchon, lui a grillé la priorité à gauche du PS. Le bon client à la parole radicale, c'est désormais le patron du Parti de gauche (PG). Mais on ne peut évaluer le succès d'une organisation dans un mouvement social au nombre de plateaux télé foulés par son leader. La stratégie doit être regardée de près. Le NPA en a changé : il a choisi de ne plus ferrailler contre les directions syndicales. " Nous ne mettons plus en avant nos divergences avec certains syndicats et le PS ", explique Pierre-François Grond, numéro deux. Plus unitaire, le NPA ? Peut-être. Mais moins contestataire. Et retardataire, surtout, selon Christian Picquet, ex-membre de la LCR et à la tête de Gauche unitaire, la troisième formation du Front de gauche aux côtés du PC et du PG : " Mes anciens camarades se sont trompés. Leur discours vis-à-vis des syndicats a changé, mais trop tard. Comme Besancenot se trompe quand il appelle à "un Mai 68 aux couleurs XXIe siècle". Dans ce mouvement, il y a un Mai 68 rampant avec des grèves perlées. On ne peut pas appeler à un blocage intégral de toute l'économie. Le salariat n'est plus le même. La crise et le chômage sont passés par là. " Après avoir échoué aux régionales, Besancenot et les siens ont été incapables de chevaucher la vague du mouvement social. Que leur reste-t-il alors ? " Raymond la science ", le casseur de dialogue social Raymond Soubie, le conseiller social de l'Elysée, mène son dernier combat : la réforme des retraites. Sa priorité : briser le front syndical. Durant plus de quarante ans, cet homme discret a été le gourou du social en France. Durant plus de quarante ans, ses avis ont été attendus et précieusement recueillis avant d'être appris par coeur par les élites économiques, mais aussi sociales et politiques de ce pays. S'il y a bien un domaine où l'expression " pensée unique " a un sens, c'est ici. Cet oracle, c'est Raymond Soubie, pour quelques jours encore conseiller social de l'Elysée, baptisé jadis par un leader syndical " Raymond la science ". Un surnom qui ne lui seyait guère, tant ce père Joseph du social déteste la familiarité. Son absence d'empathie ? De la discrétion. Sa froideur dans les relations humaines masquée par un sourire distant et poli ? De la diplomatie. Son cynisme assumé qui lui a toujours fait adopter le point de vue du puissant dans les conflits ? Du pragmatisme. Pas de doute : pour parvenir à entretenir une telle légende, Raymond Soubie fascine. Champion de la dérégulation Né en 1940 à Talence (Gironde), ce jeune et brillant énarque fait ses premières armes en... 1969, où il est bombardé au cabinet du ministre du Travail de l'époque, le centriste de gouvernement Joseph Fontanet. Déjà en costume bleu sombre. A l'époque, il n'appartient pas, comme cela est répété, à ceux qui rêveront - Delors en tête - à une " nouvelle société ". Soubie arrive dans les bagages de ceux qui mèneront la réaction thermidorienne conservatrice après la chute du Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas. Il travaille vite, sait se rendre indispensable, et surtout défriche une terre vierge pour la droite qui ne connaît des relations sociales que le discret donnant-donnant entre le gaullisme et la CGT, un film d'espionnage en noir et blanc. D'ailleurs, il devient, à Matignon, conseiller social de Jacques Chirac entre 1974 et 1976. La consécration à 34 ans ! Raymond Barre, qui prend le contre-pied de la politique économique de son prédécesseur, reconduit Soubie dans ses fonctions. 1981. La victoire de la gauche n'est qu'un accident de parcours dans sa carrière. Il est aussitôt appelé comme directeur des publications Liaisons sociales, alors deuxième groupe de presse professionnelle en France. Il se met à son propre compte en 1992. Il y a, durant cette période, une autre personnalité qui aspire à apparaître comme un des spécialistes du social, Bernard Brunhes, ancien conseiller social de Pierre Mauroy. Un anti-Soubie autant par le fond que par la forme. Il est significatif qu'à l'aube des années 2000 le patronat français opte pour l'ancien conseiller de Chirac et de Barre. Social, Soubie ? Oui, si l'on considère comme des avancées sociales le changement de statut de GDF, la privatisation de France Télécom, la mutation d'Air France, la réforme des retraites de 2003... Social, Soubie ? Oui, si l'on estime que l'on peut juger en toute équité des sacrifices demandés aux salariés quand on a présidé aux destinées d'Altedia, le premier cabinet conseil en ressources humaines qui a conseillé la plupart des entreprises du CAC 40 lors de restructurations, de fusions ou de privatisations. Social, vraiment ? Ce champion dogmatique de la dérégulation et de la fin de l'Etat-providence a mis son expertise au service des thèses les plus archaïques. Une expertise qui, au passage, lui a rapporté un juteux business. Son capital d'expérience s'est transformé en du capital tout court puisqu'il revend son entreprise pour plus de 100 millions d'euros au groupe Adecco (le numéro un du travail temporaire - tout un symbole !). Voilà pour l'image du janséniste qui ne se nourrit que de grands airs d'opéra. L'immobilisme de la pensée ? C'est Soubie ! En plus de quarante ans, sa vision de la société française est restée la même. Elle peut se résumer par une moins-value sociale et le souci de traquer avec une ardeur, avec une ténacité glaciale, le " maillon faible " dans le front syndical. Cette réforme de la retraite devait être son dernier combat. A 70 ans, Soubie veut revenir aux affaires (les siennes). Pour renforcer son magistère, Nicolas Sarkozy vient de lui offrir une place au Conseil économique et social. Mais - crime de lèse-Soubie - des députés de droite s'interrogent aujourd'hui : ce dernier combat n'était-il pas le combat de trop ? Commentant récemment la météo sociale dans le Figaro Magazine, Soubie avait déclaré : " Personne n'a jamais vu venir les embrasements. " Pour une fois, Raymond Soubie parlait vraiment d'or. Des jeunes activés en sous-main par des fonctionnaires de police ou des policiers déguisés en casseurs ? Rien n'est moins sûr. Lyon, le 19 octobre, sur la place Bellecour. La manif n'a pas encore commencé, mais les esprits s'échauffent. Plusieurs individus, arborant des badges de la CGT, agressent verbalement un groupe de jeunes, avant de s'en prendre à eux physiquement. Des pompiers syndiqués, présents dans le cortège, interviennent pour ceinturer les agresseurs, qui brandissent alors leur carte de police. " C'était des flics de la BAC ", assure le syndicaliste qui relaie cette information auprès de ses camarades. Crédible à défaut d'être vérifiable, l'incident enflamme la Toile cégétiste. Avec la certitude que l'on aurait affaire à un complot orchestré au coeur même de l'Etat, soucieux de durcir l'affrontement social. On prête tellement à l'Etat Sarkozy, que l'on serait prêt à valider la thèse selon laquelle les casseurs seraient activés en sous-main par des fonctionnaires de la police nationale. Comme au temps du gaullisme resplendissant et du tandem Pasqua-Pandraud au ministère de l'Intérieur. A Paris, c'est une curieuse vidéo qui alimente le débat. On y voit un " casseur " masqué s'en prendre à la devanture d'une banque, en marge de la manifestation du 16 octobre, du côté de la Bastille. Un flic en civil, affirme la rumeur sur le Net, images à l'appui. Mandaté, donc, pour salir l'image du mouvement social. Un grand classique, alors que le préfet de police, Michel Gaudin, ne jure plus, auprès de ses visiteurs, que par Maurice Grimaud, le préfet qui parvint à contenir la violence en mai 1968. Tant qu'on en reste là, personne ne moufte dans les rangs de la police. Jusqu'à ce débat télévisé à la faveur duquel Jean-Luc Mélenchon, président du Parti de gauche, soutient que des policiers ont reçu pour consigne non seulement d'infiltrer les manifestants, ce qui pourrait être leur job, mais de jeter des pierres et de briser des vitrines. " Injurieux ", s'offusque-t-on aussitôt du côté de Synergie Officiers, deuxième force syndicale chez les officiers, où l'on accuse le leader politique de chercher à " édulcorer la responsabilité des casseurs ". Tandis que le Syndicat national des officiers de police (Snop), majoritaire, saute sur l'aubaine pour inciter le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, à déposer plainte contre le dissident socialiste. Recevant, le 26 octobre, les patrons des organisations syndicales de la police, Hortefeux sort les grandes orgues. Il félicite les policiers pour leur " sang-froid ", leur " professionnalisme " et leur " très grande efficacité ". Ils ont agi " avec mesure et discernement malgré les provocations des casseurs ". De plainte contre Mélenchon, il n'est point question. Officieusement, pour ne pas faire de lui un " martyr " de la cause sociale. A Lyon, le 19 septembre, les policiers ont cependant bel et bien été débordés lorsque plusieurs centaines de lycéens ont déboulé près de l'hôtel de ville vers 10 heures du matin. En quelques minutes, par petits groupes, ils ont retourné des voitures (et même un camion), cassé les Abribus et plusieurs vitrines, tout en mettant le feu aux poubelles. Les CRS, mobilisés à plusieurs kilomètres de là pour un cortège officiel, sont arrivés à temps pour protéger les commerces ; Albert Doutre, le directeur départemental de la sécurité publique, se fendant même d'un communiqué pour déplorer une " délinquance d'opportunité qui profite des mouvements sociaux pour commettre des vols ". Le fantasme du policier casseur se nourrit de mille histoires vraies. Aux beaux jours de l'extrême gauche et du mouvement autonome, à la fin des années 70, mais aussi dans les années 80, plusieurs cas ont été signalés, où l'on vit des fonctionnaires des RG jouer les agitateurs, avec une polémique monstre sur le sujet lors du mouvement de décembre 1986 et lors de la mobilisation contre le CPE (contrat première embauche) au printemps 2006. Aujourd'hui, le casseur de banlieue a (presque) remplacé le gauchiste. Cagoulé, rompu à l'exercice, plus amateur de razzia que réellement politisé, il profite des manifestations lycéennes pour se mêler aux autres jeunes et sortir du rang quand l'occasion se présente. Pour se retourner contre les lycéens friqués, comme on l'a vu en marge des manifestations contre le CPE, ou faire main basse sur quelques marchandises, comme cela s'est produit à Lyon. Pratiques inadmissibles La police attrape-t-elle ceux qui courent le moins vite ? Le 26 octobre, le ministère de l'Intérieur affichait sur ses compteurs 2 554 casseurs arrêtés. Lorsqu'on observe le profil des jeunes jugés en comparution immédiate dans la capitale rhodanienne, on découvre que les deux tiers sont mineurs, qu'un tiers est déjà connu des services de police, que la moitié seulement est scolarisée et qu'un sur 10 est une fille. A l'instar de Camille, 18 ans, lycéenne et militante altermondialiste, expédiée un week-end en prison pour avoir jeté une pierre sur une " sucette " J.-C. Decaux. Dans la même fournée, son ami Lou, 19 ans, étudiant en musicologie, poursuivi pour avoir fait des doigts d'honneur aux policiers. Fabien, 22 ans, étudiant en sciences-po et militant alter, accusé d'avoir mis le feu à une voiture. Oussama, 19 ans, étudiant en informatique, poursuivi pour avoir jeté des pierres sur les CRS. Clément, 19 ans, peintre au chômage, venu manifester avec un sac plein de cailloux, ou encore Vladimir, 18 ans, en rupture familiale et chômeur. Avaient-ils besoin d'être titillés par de vrais flics déguisés en faux manifestants pour recourir à la violence ? " Il est habituel que les policiers s'infiltrent parmi les manifestants, mais là un cap a été franchi, et ces pratiques sont inadmissibles ", insiste Pierre Coquan, secrétaire de la CGT dans le Rhône. Comme s'il était impensable que ce cocktail de gauchistes et d'émeutiers semi-professionnels venus des quartiers suffise à lui seul à mettre à sac le centre ville de Lyon... Pister et arrêter " Ou bien Mélenchon a des billes, et on veut les voir, ou bien il aurait dû se taire ", tranche Dominique Achispon, secrétaire général du Snop. Et d'expliquer que les policiers ont pour habitude de revêtir l'accoutrement de ceux qu'ils infiltrent. Ils se rasent le crâne pour se faire adopter des supporteurs du PSG, adoptent le vocabulaire idoine pour se rapprocher de l'ultragauche, et se déguisent en syndicalistes pour pister les casseurs dans les manifs. Ce que Nicolas Comte, secrétaire général du syndicat Unité-SGP, résume ainsi : " S'ils veulent être efficaces, ils ont plus intérêt à arborer des brassards de la CGT que ceux de notre organisation. " La police de Brice Hortefeux reprenant des méthodes en vigueur à l'époque du SAC, feu la milice du gaullisme ? Ils ne sont pas beaucoup à y croire. " Cela demanderait une énorme organisation, assure Nicolas Comte, et on est certains que cela se saurait d'une façon ou d'une autre. " " Il faudrait trouver des provocateurs pour faire ce boulot, et même dans les rangs des policiers encartés à l'UMP ce serait difficile ", assène Dominique Achispon. A les entendre, les policiers repérés à Lyon ou à Paris étaient précisément là pour pister les casseurs et les arrêter au moment opportun. Quitte à laisser faire et à intervenir à froid, comme on laisse parfois se perpétrer un hold-up pour mieux cueillir les auteurs lorsqu'ils regagnent leur planque. D'ailleurs, tranche Sylvie Feucher, la patronne du Syndicat des commissaires, " la situation sociale est tellement explosive qu'il n'y a nullement besoin de provoquer les casseurs "... La justice à l'envers Une juge indépendante bientôt dessaisie de l'affaire, un procureur qui se refuse à envoyer le ministre du Budget devant la justice, un exécutif qui court-circuite le judiciaire... C'est la justice qui rend les armes. Officiellement, le torrent judiciaire de l'affaire Woerth-Bettencourt serait donc en passe de regagner son lit. C'est du moins ce que répètent en boucle nombre d'acteurs et d'observateurs du dossier. Le climat du tribunal de Nanterre, disent-ils, " serait devenu trop délétère ". La faute à qui ? A la juge Isabelle Prévost-Desprez, que l'on s'apprête à dessaisir sur la foi de soupçons non vérifiés ? Ou au procureur de Nanterre, Philippe Courroye, qui, depuis quatre mois, se refuse obstinément à renvoyer Eric Woerth devant un juge d'instruction ? A une juge indépendante qui se bat pour que l'affaire Bettencourt ne soit pas étouffée ? Ou au pouvoir politique qui, dès la première minute, a choisi de pourrir le climat judiciaire ? Résumons pour celles et ceux qui auraient perdu le fil de l'affaire Woerth-Bettencourt et oublié qu'il s'agit sans doute d'un des plus graves scandales d'Etat en Ve République. Une juge indépendante - Isabelle Prévost-Desprez - sur le point d'être débarquée, et un procès pour abus de faiblesse contre François-Marie Banier sans doute renvoyé après la présidentielle de 2012... Un procureur de Nanterre - Philippe Courroye -, ami assumé du chef de l'Etat, que le ministère de la Justice consent enfin à décharger de ses enquêtes sur les soupçons de trafic d'influence, de prise illégale d'intérêts et de financement politique illicite qui pèsent sur l'encore ministre du Travail Eric Woerth - décision qui intervient, comme c'est heureux, le jour du vote de la loi sur les retraites... Deux confrères du journal le Monde (Gérard Davet et Jacques Follorou) dont on examine, en toute illégalité, les relevés téléphoniques. Deux journalistes du Monde et du Point (Gérard Davet, encore, et Hervé Gattegno) ainsi que le site Mediapart, cambriolés, trois médias qui, avec Marianne, n'ont pas ménagé leurs efforts pour faire éclater la vérité... Vous avez dit climat délétère ? Voilà où en est l'affaire Woerth-Bettencourt. Voilà, surtout, où en est la justice, où en sont les principes fondamentaux de la République. Seule l'Association des journalistes de la presse judiciaire (AJPJ) a eu le courage de dénoncer les " manoeuvres " du procureur Courroye qui a osé faire rechercher par l'inspection générale des services (IGS) - les policiers de la brigade financière auraient refusé de se prêter à une telle opération - les communications téléphoniques des deux journalistes du Monde pour connaître leurs sources. L'AJPJ a même réprouvé " de la manière la plus catégorique l'espionnage dont ont été victimes, au moins à deux reprises, des journalistes dans cette affaire où l'exécutif semble avoir une conception bien particulière des intérêts de la nation ". A part ça, rien. Pas un de ces médiacrates patentés, pourtant si prompts à monter au créneau lorsque Jean-Luc Mélenchon, mal embouché, on vous l'accorde, s'avise de dégommer l'intouchable Pujadas, n'a cru bon de dénoncer pareille atteinte à la liberté de la presse et à l'indépendance de la justice. Règlements de comptes Le 24 juillet, Marianne, qui venait de révéler les fameux carnets de caisse de Liliane Bettencourt dans lesquels étaient scrupuleusement notées les gigantesques sommes d'argent liquide distribuées par la richissime octogénaire, titrait à sa une : " Scandale Woerth-Bettencourt : ils veulent étouffer l'affaire ". Nous étions en dessous de la vérité. Dans cette affaire, les " casseurs " de la justice ont pu opérer en toute impunité. Premier acte, fin 2007 : Françoise Bettencourt-Meyers, la fille de l'héritière L'Oréal, porte plainte pour abus de faiblesse contre le photographe François-Marie Banier, qu'elle accuse de profiter de la vulnérabilité de sa mère. Montant du butin ? Près d'un milliard d'euros. C'est le moment que choisit Philippe Courroye, chef du parquet de Nanterre, proche du chef de l'Etat et décoré par lui de l'ordre du Mérite, pour entrer en scène. Il juge en effet la plainte irrecevable. Désavoué une première fois, il fait appel. Débouté à nouveau, il n'aura de cesse, dès lors, de mettre des bâtons dans les roues de la présidente de la 17e chambre du tribunal de Nanterre, Isabelle Prévost-Desprez, chargée de juger l'affaire. Mieux, en dix-huit mois d'enquête préliminaire, Philippe Courroye n'a pas cru bon d'auditionner une seule fois Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, l'homme qui, pourtant, sait tout de l'argent de la milliardaire. Deuxième acte, juin 2010 : le Point et Mediapart publient les comptes-rendus d'enregistrements pirates réalisés pendant plusieurs mois par le majordome de Liliane Bettencourt à son domicile. Des conversations qui accréditent l'abus de faiblesse, mais qui, surtout, mettent en cause le rôle intrusif de l'Elysée, celui d'Eric Woerth, alors trésorier de l'UMP et ministre du Budget, celui du procureur Courroye et même celui du procureur général de la cour d'appel de Versailles, Philippe Ingall-Montagnier. Troisième acte, début juillet 2010 : Marianne révèle d'abord l'existence d'une fraude fiscale à grande échelle, à propos de l'île d'Arros aux Seychelles (évaluée entre 300 et 500 millions d'euros) que Liliane Bettencourt n'a pas déclarée au fisc. Puis, nous rendons publics les fameux carnets de caisse à propos desquels l'ex-comptable, Claire Thibout, affirme qu'une partie des sommes en espèces servait à financer la campagne du candidat Sarkozy dont Eric Woerth était le trésorier. Le même Woerth dont on découvre, pour faire bonne mesure, qu'il est intervenu dans l'embauche de sa femme chez les Bettencourt et dans l'attribution de la légion d'honneur à Patrice de Maistre, le bras droit de la milliardaire qu'il avait pourtant assuré ne pas connaître. Protéger Woerth à tout prix Dès lors, une série d'enquêtes préliminaires sont ouvertes par le procureur Courroye : trafic d'influence, financement illégal d'activités politiques, blanchiment de fraude fiscale... Il est nommément cité dans les enregistrements pirates du majordome : tout autre que lui aurait d'emblée confié ces enquêtes à un juge d'instruction indépendant. Courroye, lui, s'y refuse obstinément. Pourquoi ? Sur ordre de qui ? Voici quelques semaines, le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, l'une des plus hautes autorités de la justice française, avait pourtant réclamé la nomination d'un juge d'instruction pour que les nécessaires investigations soient menées et les droits de la défense respectés. Philippe Ingall-Montagnier, le procureur général de Versailles, supérieur hiérarchique de Courroye, ne l'avait pas suivi et celui-ci avait pu continuer à suivre le calendrier concocté dans les moindres détails par l'Elysée : protéger coûte que coûte Eric Woerth jusqu'au vote de la réforme des retraites. Mission accomplie ? Pas tout à fait. Car le procureur Courroye s'était aussi promis de régler ses comptes avec la juge Isabelle Prévost-Desprez. Un règlement de comptes qui, là encore, arrange le pouvoir exécutif, inquiet des possibles dégâts politiques de cette affaire Bettencourt. Le 1er septembre dernier, à la suite d'un article du Monde révélant une perquisition au domicile de Liliane Bettencourt, Georges Kiejman, l'avocat de la milliardaire, qui sait pouvoir compter sur la diligence du procureur Courroye, porte plainte pour violation du secret de l'instruction - rappelons que, justement, il n'y a toujours pas d'instruction dans cette affaire ! Aussitôt, le procureur Courroye, en toute illégalité (1), fait dépouiller les relevés téléphoniques des deux auteurs de l'article. Jamais un procureur n'avait encore osé, Courroye, lui, l'a fait. Bingo ! L'un des deux a échangé plusieurs coups de fil et de nombreux SMS avec la juge de Nanterre. Que se sont-ils dit ? Personne ne le sait (2). Foin de la présomption d'innocence, Courroye transmet au procureur de Versailles, Philippe Ingall-Montagnier qui, lui, n'attend pas d'avoir la preuve d'une éventuelle violation du secret de l'enquête et réclame aussitôt le dessaisissement de la juge et le dépaysement de l'affaire. Opération réussie ! L'Union syndicale des magistrats (USM) a beau dénoncer une " manipulation honteuse ", Me Kiejman qui, naguère, passait pour un grand défenseur des libertés publiques, exulte. Gagner du temps En quatre mois, le procureur Courroye n'a pas trouvé le moyen de renvoyer Eric Woerth et Patrice de Maistre devant un juge, mais la juge Prévost-Desprez, elle, va se retrouver... devant un juge d'instruction. La justice à l'envers ! Sur la foi d'un simple soupçon, cette dernière va être dessaisie alors que, pour des faits avérés de conflit d'intérêts, Courroye a été soutenu pendant des mois et qu'Eric Woerth a pu mener à son terme la réforme des retraites (lire p. 29). Le scandale politique vire au scandale judiciaire. Et ce - autre heureux hasard - le jour où Isabelle Prévost-Desprez annonce qu'elle veut auditionner Liliane Bettencourt. Las. Sur les conseils de ses avocats et de ses attachés de presse, la milliardaire préfère répondre aux questions de Marc-Olivier Fogiel sur Europe 1 plutôt qu'à celles de la justice. Ajoutons que la juge avait prévu de clore son supplément d'information à la mi-novembre et qu'il ne lui restait plus à entendre que les deux principaux protagonistes de cette affaire, François-Marie Banier, l'accusé, et Patrice de Maistre, le bras droit de Liliane Bettencourt. " C'est justement parce qu'on s'approchait de la fin du supplément d'information qu'on oppose de nouveaux obstacles, déplore Me Olivier Metzner, l'avocat de Françoise Bettencourt-Meyers. Une nouvelle fois, l'objectif est de reculer l'échéance judiciaire. " Si possible après 2012. Ne restait plus alors à la Garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, étrangement silencieuse jusque-là, qu'à annoncer - enfin ! - la prochaine nomination d'un juge d'instruction pour s'occuper du volet politique de l'affaire. Tout serait ainsi rentré dans l'ordre ? Voire. Alors que l'ensemble des responsables politiques - socialistes compris - se félicitaient de cette décision, l'eurodéputée verte Eva Joly - ex-juge d'instruction au pôle financier, qui s'y connaît en pressions politiques - a cassé l'ambiance. Selon elle, " il est urgentissime [pour le procureur de Versailles, Philippe Ingall-Montagnier] de gagner du temps. Comme ça, il donne l'impression que la justice fonctionne bien [...]. On voit bien qu'il est complice de Philippe Courroye. Tous deux ont comme objectif d'empêcher la vérité de se faire jour dans l'enquête concernant le ministre du Travail Eric Woerth ". En réalité, après des mois de silence, le procureur de Versailles, Philippe Ingall-Montagnier, feint de se souvenir qu'il dispose d'une autorité hiérarchique sur Philippe Courroye. La preuve ? Les instructions écrites d'Ingall-Montagnier, ordonnant de transmettre l'affaire à un juge d'instruction, sont parvenues à l'AFP quatre heures avant que Courroye ne les reçoive. " Je vous laisse en tirer les conclusions qui s'imposent ", nous a fait savoir le parquet de Nanterre. La conclusion ? Courroye a fini par être lâché. Jusqu'à l'affaire David Sénat, du nom de ce haut fonctionnaire du ministère de la Justice suspecté, durant l'été, d'avoir informé le journal le Monde, les deux hommes s'entendaient plutôt bien. Fin juillet, le procureur général de Versailles avait exigé de son homologue de Nanterre qu'il lui remette le PV d'audition de Patrice de Maistre dans lequel celui-ci faisait état de ses liens avec Eric Woerth. Un soir, Philippe Courroye a fini par le donner à son supérieur hiérarchique, lequel a transmis au cabinet de la Garde des Sceaux. Ledit procès-verbal s'est ensuite retrouvé dans les colonnes du Monde. Entendu par la DCRI (les ex-Renseignements généraux), Courroye aurait alors accablé Ingall-Montagnier... Epargner Sarkozy d'ici 2012 Pour ce dernier, qui rêve de succéder l'été prochain à Jean-Louis Nadal à la Cour de cassation, le coup est rude. D'autant que ce magistrat connu pour son extrême prudence s'est exposé comme jamais. En témoigne ce dialogue croustillant entre Liliane Bettencourt et Patrice de Maistre, capté le 23 avril 2010, par le dictaphone du majordome. L'actionnaire principale de L'Oréal s'enquiert ce jour-là de l'évolution de la procédure l'opposant à sa fille. " En première instance, on ne peut rien faire de plus, lui explique Maistre. Mais on peut vous dire que, si vous perdez, en cour d'appel, on connaît très très bien le procureur [Philippe Ingall-Montagnier] ". Quelques jours plus tôt, le même Maistre est allé voir Patrick Ouart, l'ex-conseiller juridique de l'Elysée, qui continue à suivre les dossiers sensibles. Ouart n'a jamais fait mystère des liens qu'il entretient avec Philippe Ingall-Montagnier. Les deux hommes se sont connus dans les années 80 à l'Association professionnelle des magistrats (APM), un syndicat très à droite dissous en 2008. " Je n'ai jamais parlé de l'affaire Bettencourt avec Patrick Ouart ", nous avait juré cet été Philippe Ingall-Montagnier. Ce qui ne l'empêcha pas de nous livrer une lecture pour le moins engagée de l'affaire : " Il n'y a pas d'éléments prouvant la sénilité de Liliane Bettencourt. On a l'impression que l'enjeu est ailleurs, qu'il s'agit plus du contrôle de sa fortune. On sent que le majordome n'a pas agi seul. " On croirait entendre l'avocat de Liliane Bettencourt, Georges Kiejman... Dans les milieux judiciaires, Ingall-Montagnier est un procureur identifié comme " très politique ". Il a accompli une bonne partie de sa carrière dans les cabinets ministériels, notamment auprès de Jacques Toubon (1993-1995), puis de Dominique Perben, en 2002. Sa femme, Magali, est conseillère technique chargée des questions de justice au cabinet du président du Sénat, l'UMP Gérard Larcher. Homme de confiance, engagé à droite, Ingall-Montagnier est nommé en janvier 2010 à la tête de la cour d'appel de Versailles, qui coiffe notamment le tribunal de Nanterre où officie... le procureur Philippe Courroye qui, lui, veille aux affaires des Hauts-de-Seine, fief du CAC 40 et de Nicolas Sarkozy. Nommé en 2007 contre l'avis du Conseil supérieur de la magistrature, Courroye est l'incarnation de la porosité entre le parquet et le pouvoir, au point d'être méchamment surnommé " Courroye de transmission ". En témoigne encore cette autre discussion, enregistrée par le même majordome le 21 janvier 2009, au cours de laquelle Patrice de Maistre annonce une bonne nouvelle à Liliane Bettencourt : " [Patrick Ouart] m'a dit que le procureur Courroye allait annoncer le 3 septembre, normalement, que la demande de votre fille était irrecevable. " Des informations d'initiés que Maistre et sa patronne n'auraient jamais dû connaître, ne serait-ce qu'au nom du principe d'égalité devant la justice. Avec cet attelage Ingall-Montagnier/Courroye (qui a fini par s'entredéchirer), on comprend mieux pourquoi le scandale d'Etat Woerth-Bettencourt est toujours au point mort. Malgré la nomination d'un ou plusieurs juges d'instruction, il est acquis que l'Elysée fera tout pour qu'il n'avance pas plus vite d'ici au second tour de l'élection présidentielle, en 2012. L.N. et S.M. Eric Woerth et la morale publique Il y a quelque chose qui cloche. Malgré toutes les révélations du feuilleton Bettencourt, Eric Woerth est toujours là, au Parlement, sur les écrans, comme si de rien n'était. " Honnête homme " un jour, " honnête homme " toujours. A Canal +, il expliquait même sans rire qu'il n'était " pas mal placé pour rester ministre du Travail " dans le prochain gouvernement. Sourd un jour, sourd toujours. Avec son air de premier de la classe, on lui donnerait presque le bon Dieu sans confession, à Woerth. On en oublierait surtout les lourds soupçons qui pèsent sur ses épaules d'" honnête homme " : trafic d'influence, prise illégale d'intérêts, financement illicite d'activités politiques... Certes, la présomption d'innocence doit prévaloir en toutes circonstances, pour Eric Woerth comme pour n'importe quel citoyen. Coupable ou non ? La justice le dira (peut-être) un jour. Mais la morale publique ? Trésorier de l'UMP et, en même temps, ministre du Budget. Sa femme embauchée chez Liliane Bettencourt, une des principales donatrices de l'UMP et, par ailleurs, fraudeuse avérée du fisc. Et l'on ne parle pas de son intervention dans l'attribution de la Légion d'honneur à Patrice de Maistre, bras droit de l'héritière L'Oréal et patron de son épouse, Florence Woerth... " Même si on a essayé de fracasser mon image, j'ai gardé la tête froide ", dit-il dans le Monde. Il y a pire que l'impunité : Eric Woerth est persuadé d'être l'injuste victime d'une cabale politique. Or, dans toute autre démocratie, notamment dans ces Etats-Unis qu'apprécie tant Nicolas Sarkozy, Eric Woerth aurait depuis longtemps quitté son poste. Au lieu de cela, l'Elysée a choisi de couvrir ce ministre usé jusqu'à la corde, au point de lui faire porter la réforme des retraites. L'affaire Woerth-Bettencourt, redisons-le, touche au fonctionnement même du pouvoir, à ses relations incestueuses avec le monde de l'argent, aux incroyables passe-droits fiscaux dont bénéficient les plus riches - surtout s'ils versent leur obole à l'UMP. Elle concerne surtout le financement même de la campagne présidentielle du candidat Sarkozy en 2007 : Woerth en était le trésorier. Souvenez-vous, c'était en juillet dernier : Marianne dévoilait les fameux " carnets Bettencourt " et les montagnes d'argent liquide - près de 400 000 € ! - distribuées par le couple dans les quatre mois précédant le premier tour de l'élection présidentielle de 2007. Quelques jours plus tard, nous révélions l'existence d'un chèque de 100 000 €, retiré en liquide à la banque Dexia le 26 décembre 2006, quatre mois avant la même élection. En réalité, Liliane Bettencourt avait demandé à retirer... 500 000 € ! Pour qui ? Pour quoi ? Toujours pas de réponse. Entretemps, Claire Thibout, l'ex-comptable qui tenait à jour les fameux carnets de caisse Bettencourt, avait raconté aux enquêteurs les visites régulières des hommes politiques chez les Bettencourt, les enveloppes de billets qui circulaient et surtout ces " 150 000 € en liquide " que Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de l'octogénaire, lui aurait demandé de préparer, avant le premier tour de la présidentielle, pour qu'il les remette en mains propres au trésorier Eric Woerth. Le fin mot de l'histoire ? Toujours pas de réponse. Le procureur Courroye rencontre aussi des journalistes, la preuve... Si l'on a bien compris, le procureur Philippe Courroye reproche à la juge de Nanterre Isabelle Prévost-Desprez de parler à des journalistes. Qu'on me pardonne cette facilité, mais il est sacrément gonflé, le procureur Courroye... En octobre 2009, Philippe Courroye nous avait fait savoir, par un intermédiaire, qu'il souhaitait déjeuner avec Nicolas Domenach et moi-même. A cette époque, il était candidat au prestigieux poste de procureur de la République de Paris - fauteuil qu'il n'obtiendra pas. Philippe Courroye était alors en campagne et tenait à nous expliquer à quel point il était " indépendant " et que son amitié - affichée et revendiquée - avec Nicolas Sarkozy n'était en rien un handicap. Prudent, je précisai à l'intermédiaire en question qui s'occupait officieusement de la communication du procureur (curieuse pratique tout de même que celle d'un haut magistrat s'adjoignant les services d'un " communicant "...) qu'évidemment ce rendez-vous nous intéressait, mais que Marianne invitait Philippe Courroye, et non l'inverse. Le mercredi 4 novembre 2009, nous nous retrouvâmes donc dans le petit salon d'un restaurant célèbre, à quelques pas de l'Arc de triomphe. La discussion fut à la fois d'une grande civilité et passionnante. Philippe Courroye plaida sa cause, rappelant à quel point, au tribunal de Lyon puis au pôle financier, il fut un magistrat aussi intègre qu'impitoyable, qu'il n'avait évidemment pas changé, que trop de médias, dont Marianne, étaient injustes à son égard en le soupçonnant d'une supposée connivence avec le président de la République et quelques grands patrons célèbres. Il fit par ailleurs étalage d'une impressionnante culture littéraire et répondit sans détours quand Nicolas Domenach et moi-même l'interrogeâmes, nous aussi sans détours, sur l'affaire... Bettencourt. Philippe Courroye nous détailla alors, avec force arguments, pourquoi il persistait à estimer irrecevable la plainte déposée par Françoise Bettencourt-Meyers contre François-Marie Banier. Il entra même, sans la moindre hésitation, dans les arcanes du dossier. Il nous détailla aussi pourquoi il combattait et combattrait pied à pied la juge Isabelle Prévost-Desprez, ses méthodes, sa stratégie. Il vient de fournir une preuve éclatante de son obstination en construisant un dossier pour obtenir le dessaisissement de la juge, arguant qu'elle rencontrait des journalistes. Philippe Courroye, pour sa part, ne s'en est jamais privé non plus, nous pouvons en attester. Nous guettons, non sans impatience, ses explications. © 2010 Marianne. Tous droits réservés.
Laurence Dequay et Hervé Nathan
Gérald Andrieu
PAR JOSEPH MACÉ-SCARON
Flics et casseurs, même combat ?
L'enquête
Frédéric Ploquin, avec Alice Géraud, à lyon
Laurent Neumann et Stéphanie Marteau
Laurent Neumann
Maurice Szafran
1 commentaires:
C'est fou de voir à quel point Marianne peut être démago(chiste) autant que pour l'être parfois le Figaro à droite...
La presse française, une caricature de la France ?
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