jeudi 18 novembre 2010

8 h 30 au Plaza, le rendez-vous du CAC 40 - Mélanie Delattre


Le Point, no. 1992 - Economie, jeudi, 18 novembre 2010, p. 102,104,106

Pouvoir. Le monde appartient à ceux qui... petit-déjeunent au Plaza.

Ce matin-là, sous les lustres imposants de la salle du petit déjeuner du Plaza Athénée, on a frôlé l'incident diplomatique. Il est à peine 9 heures quand Isabelle Adjani déboule dans le hall du palace, cachée derrière ses lunettes noires. Après une nuit de tournage, l'actrice a une soudaine envie de ces petits pains au lait, brioches au Nutella et autres viennoiseries qui font la réputation de l'hôtel 5 étoiles de l'avenue Montaigne. Pour une telle célébrité, une seule table peut convenir : celle de l'entrée à gauche, légèrement dissimulée derrière un paravent, depuis laquelle on embrasse toute la salle sans se faire repérer. Mais « l'as »- nom de cette table très convoitée - ne s'obtient pas si facilement... Car, dans le microcosme parisien, tout le monde sait que c'est là le domaine réservé d'Alain Minc, consultant de luxe, qui y donne ses rendez-vous tarifés entre 8 heures et 8 h 30 presque tous les jours de la semaine.

Adjani la star versus Minc le conseiller des princes : la bataille promettait d'être homérique... Elle n'aura pas lieu. Un mot glissé à l'oreille de l'inspecteur des Finances et, galamment, ce dernier cède sa place. Le ballet des serveurs avec leurs plateaux chargés de douceurs peut reprendre sans que les touristes, trop occupés à faire leur choix entre gaufres et pancakes, aient un instant soupçonné le drame qui se tramait. Les habitués, eux, n'ont évidemment rien perdu du chassé-croisé et se délectent encore de cette anecdote bien plus savoureuse à leurs yeux qu'une chocolatine signée Christophe Michalak, le chef pâtissier de l'hôtel.

Depuis des années, la salle à manger du Plaza est le lieu où les gens qui comptent viennent pour voir et être vus. A l'exception de quelques noctambules en goguette - Thierry Ardisson y fait de temps en temps une apparition -, on y croise surtout des hommes d'affaires, dont les grosses berlines avec chauffeur encombrent le parvis de l'hôtel. Dirigeants de grande entreprise, ténors du barreau, communicants en vue et patrons de presse se mêlent aux clients ensommeillés de l'hôtel, parfois relégués dans la galerie adjacente s'ils ont eu le malheur de vouloir descendre prendre leur petit déjeuner à la même heure que le Tout-Paris...

Le grand ordonnateur de cette chorégraphie matinale, qui commence à 7 heures et se finit à 10, s'appelle Antoine Lair. Sa carte de visite en épais carton rouge et blanc indique « Directeur room service et petit déjeuner ». Mais le discret quinqua ne la sort que pour les nouveaux venus. Les autres n'en ont pas besoin. Ils savent en effet qu'il est depuis dix-sept ans le gardien de ce temple gourmand où le petit déjeuner est érigé en véritable rituel. A peine assis, le client se voit proposer un jus de fruits frais - dont l'étonnant Rouge Plaza, mélange aux couleurs de l'hôtel composé de fruits rouges, d'ananas, de mangue et d'un zest de pamplemousse, pour l'amertume. Arrive ensuite la boisson chaude, servie à table... et à volonté. Puis, porté telle une statue sainte que l'on aurait sortie de son église, le plateau d'argent où trône la fameuse pyramide des pâtisseries. Aux classiques croissants et petits pains Christophe Michalak, champion du monde de pâtisserie, a ajouté ses créations : le kouglof, le croissant noix-citron, la roulade aux fruits confits ou encore la brioche à la framboise. Au total, plus de 400 viennoiseries sortent chaque jour des fourneaux de l'hôtel. Et les tentations ne s'arrêtent pas là. Tel le génie de la lampe, Antoine Lair peut exaucer pour ses clients n'importe quel voeu culinaire, qu'il s'agisse d'une omelette au caviar ou d'une sole meunière. Mais ce n'est pas là la partie la plus délicate de sa mission.

Le plus difficile consiste à préserver cette atmosphère la fois conviviale et raffinée qui a fait la réputation de l'hôtel. Quitte à rappeler à l'ordre un client jugé un peu trop bruyant. Ou à raccompagner au plus vite à sa table ce journaliste envahissant qui fait le tour de la salle en serrant des mains. Un service d'ordre soft, qui exige de « l'efficacité, de la discrétion, mais aussi une bonne dose de psychologie », commente Antoine Lair, dont la brigade de quatorze serveurs a tout d'une escadrille de diplomates en tablier blanc. Pour le placement, casse-tête quotidien au vu de la densité de VIP au mètre carré, une certaine culture économique est également nécessaire (cela tombe bien, parmi les serveurs figure le fils du leader de la CFDT, François Chérèque).« Nous évitons par exemple de placer côte à côte Nicolas Beytout, patron du quotidien Les Echos , et Alain Weill, ex-propriétaire de La Tribune , son concurrent numéro un. De la même façon, après les batailles boursières, nous faisons en sorte que pendant quelque temps le vainqueur ne croise pas de trop près le vaincu », raconte-t-il.

A condition d'avoir, comme les serveurs, bien révisé son Who's Who, un petit déjeuner au Plaza est toujours instructif. Les initiés ont ainsi compris le message lorsqu'ils ont surpris, il y a quelques mois, Stéphane Richard, ancien directeur du cabinet de Christine Lagarde aujourd'hui patron de France Télécom, attablé au côté d'Alain Minc. Les deux hommes étaient en froid depuis que l'influent conseiller du pouvoir avait fait campagne contre Richard pour porter son poulain Jacques Veyrat (SFR) à la tête de l'entreprise publique.« En s'affichant ensemble au Plaza, c'est comme s'ils avaient publié un avis de réconciliation dans la presse, commente un observateur.Dès le lendemain, le Tout-Paris était au courant. »

Intrigues. Le décryptage n'est pas toujours aussi évident.« Parfois, c'est seulement a posteriori que l'on comprend ce qui s'est joué sous nos yeux », commente une habituée. Et de raconter comment elle a saisi, au moment où le « putsch » réussi de Lionel Zinsou sur le fonds de private equity PAI a été rendu public, la signification des mines réjouies affichées quelques semaines plus tôt par ses voisins de table au Plaza.« En voyant Zinsou, nouveau venu chez PAI, plongé dans une joyeuse discussion avec le discret Amaury de Sèze, ancien président de ce fonds d'investissement, je pensais que le second coachait le premier de manière décontractée autour de quelques croissants. En réalité, il lui donnait son feu vert pour éliminer les dirigeants de PAI et prendre leur place. »

« Il y a dix ans, c'est dans les salons baroques du Raphaël que se nouaient et se dénouaient les intrigues du pouvoir, note une célèbre chasseuse de têtes.Maintenant, tout se passe au Plaza. » Le patron du palace de l'avenue Montaigne, François Delahaye, tempère cette observation : « Le Plaza a toujours été incontournable dans la vie des affaires parisiennes. C'est chez nous que, dans les années 80, Vincent Bolloré et son mentor, le redoutable Antoine Bernheim, ont monté leurs plus jolis coups. » La patronne d'Image 7, Anne Méaux, figure également parmi les clients de longue date du Plaza, qui a toutefois élargi sa base d'habitués avec l'arrivée d'Alain Ducasse en 2000. Jamais en retard d'une tendance, le chef étoilé a observé au cours de ses nombreux déplacements une évolution des moeurs patronales : soucieux de gagner du temps et de préserver leur ligne, les dirigeants délaissent de plus en plus le traditionnel déjeuner d'affaires, et a fortiori le dîner. Il faut donc les chouchouter au petit déjeuner.

Pour séduire les puissants, le roi des fourneaux a appliqué sa recette magique : « Un lieu privilégié, des produits de qualité et surtout un service qui flatte l'ego », résume son bras droit, Laurent Plantier. Le concept de power breakfastétait né. Chargé du réaménagement de la salle, qui accueille son restaurant trois étoiles le soir, Ducasse éloigne les tables et interdit les groupes de plus de huit personnes. Jugeant les pâtisseries mauvaises, il les fait fabriquer sur place. Et recommande à Antoine Lair de glisser un petit doggy bag au client lorsqu'il part,« pour la secrétaire ». Une façon délicate de courtiser les assistantes, qui prennent les réservations et qui auront ainsi intérêt à privilégier le Plaza plutôt que l'un de ses concurrents.

Dernière étape de cette révolution de palace : Ducasse remplace le buffet par un service à table - avec tous les jours une recette d'oeufs différente, qui varie selon les saisons. Au menu de la carte du moment, traduite en sept langues : oeufs mollets sur un lit de pousse d'épinard au beurre, accompagnés de crème fleurette le lundi. OEufs pochés coeur de saumon le mercredi. OEufs au plat, cèpes et jambon le jeudi.« La touche Ducasse au petit déjeuner, les clients de l'hôtel adorent. Ils trouvent ça tellement chic », confie François Delahaye. Mais, pour les Parisiens, le vrai snobisme est de venir au Plaza.... pour se contenter d'un café qu'ils pourraient prendre au PMU du coin.

« Il y a des années que je n'ai pas touché aux pâtisseries », reconnaît l'avocat préféré du Cac 40 Georges Terrier, qui vient quatre fois par semaine mais ne commande jamais rien d'autre qu'un double expresso. Comme lui, les habitués du Plaza ont leurs petites manies. Le patron de Nexity, Alain Dinin, fidèle parmi les fidèles, n'a même pas besoin de commander pour que son thé sur mesure, sa confiture à la rose et son expresso de fin de repas arrivent comme par magie sur sa table fétiche, la 11. Et le fromage blanc 0 % accompagné de fruits rouges d'Alain Minc est désormais si célèbre qu'il pourrait figurer au menu.

« 46 euros, ça fait quand même cher le café et le yaourt », tempère Stéphane Richard, qui, lorsqu'il était directeur du cabinet de Christine Lagarde, venait régulièrement, à condition de n'être pas la puissance invitante. Le prix est un détail qui décourage souvent les politiques - à l'exception de Jean-François Copé ou de Renaud Donnedieu de Vabres. Il n'effraie en revanche pas certains « accros » du Plaza, qui, pour être sûrs d'avoir une place dans cet antre du pouvoir le jour où ils ont un invité de marque, n'hésitent pas à prendre une chambre à l'hôtel. Ce qui porte la note du petit déjeuner à... 750 euros au minimum !


A chacun son petit déjeuner

Hôtel Costes : le plus people.

Aperçus slalomant parmi les starlettes : Karl Zéro, Thierry Ardisson, mais aussi le banquier Matthieu Pigasse et le patron du groupe Robert Louis-Dreyfus, Jacques Veyrat.

L'Esplanade : le plus politique.

Les députés de droite comme de gauche ont leurs habitudes dans ce café Costes de la place des Invalides.

Le Murat : le plus télévisuel.

Proche de TF1 et Canal+, on y croise, entre autres présentateurs, Claire Chazal, Michel Denisot et Laurent Fontaine.

Lutetia : le plus éclectique.

La salle est petite mais bien fréquentée : le député PS Jean-Marc Ayrault y a ses habitudes, le commissaire à la Diversité et à l'Egalité des chances,Yazid Sabeg, y a été vu en compagnie de Patrick Buffet, le patron d'Eramet, et l'écrivain Yasmina Reza y rencontre des journalistes.

Le Bristol : le plus sarkozyste.

Situé à deux pas de l'Elysée, ce palace est un fief sarkozyste où de nombreux conseillers du président donnent leurs rendez-vous.

Salée... l'addition.

38 euros pour un petit déjeuner continental, 50 pour l'américain, avec oeuf et yaourt.

Métronome. Même table, même menu ultralight tous les jours : Alain Minc a ses habitudes au Plaza.

Fidèle. Une table attitrée - la 11 - pour Alain Dinin, le patron de Nexity, avec thé sur mesure et confiture à la rose.

Econome. Stéphane Richard, le président de France Télécom, tique sur les prix pratiqués par son ami Ducasse.

Sans complexe. Jean-François Copé, le nouveau patron de l'UMP, n'a pas peur de s'afficher au Plaza.

Pratique. Nicolas Bazire, le numéro deux de LVMH, vient en voisin : il a ses bureaux en face de l'hôtel.

Star. Pour Isabelle Adjani, seule la table de l'entrée à gauche, derrière un paravent, peut convenir.

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