LORS DU G20 des ministres des finances réunis le 23 octobre à Gyeongju (Corée du Sud), les Etats-Unis ont débloqué le débat sur les monnaies qui menaçait de tourner à l'affrontement. En proposant de discuter des excédents des balances courantes avant d'aborder la question très sensible des taux de change, Timothy Geithner, le secrétaire d'Etat au Trésor, a recentré le débat sur la cause première des turbulences actuelles : les déséquilibres macroéconomiques entre les grands pays. La plupart des experts se félicitent de cette évolution mais, selon qu'ils croient ou non aux vertus de la réglementation et du multilatéralisme, ils n'attendent pas du G20 des chefs d'Etat et de gouvernement qui se tiendra à Séoul, le 11 et le 12 novembre, le même type de décisions.
Charles Wyplosz, professeur d'économie au Graduate Institute de Genève, est le plus sceptique. " Cela fait dix ans que tout le monde dit aux Chinois : "Epargnez moins et consommez plus." Ils s'y mettent, mais trop mollement, analyse-t-il. Les Américains, c'est le contraire : ils consomment trop et n'épargnent pas assez. C'est ennuyeux, mais c'est comme ça. Dans un monde idéal, on s'assiérait autour d'une table pour discuter de ces déséquilibres macroéconomiques et chacun corrigerait ses propres dysfonctionnements. Les subprimes américains ? Une carence dans la protection des consommateurs. Les folies immobilières espagnoles ? Une mauvaise distribution du crédit. "
Pour y remédier ne conviendrait-il pas de déterminer des règles économiques valables pour tous ? " Ne rêvons pas à une autorité économique mondiale, répond-il. Je ne vois pas par quel mécanisme, sauf en Corée du Nord, un pays pourrait limiter à 4 % de son produit intérieur brut son excédent ou son déficit courant, comme les Américains l'ont proposé. Il est tout aussi impossible qu'un gouvernement maîtrise son épargne. "
Que faire alors face aux dangereux déséquilibres symétriques chinois et américains ? " Il faudrait, par exemple, que leurs pairs disent aux dirigeants de Pékin de créer un système de protection sociale qui évitent aux ménages chinois d'épargner pour les mauvais jours de façon excessive, répond M. Wyplosz. Même chose pour les Américains, mais à l'envers. Cette façon de procéder est la plus efficace, car le Fonds monétaire international - FMI - n'a aucune autorité pour imposer des corrections de trajectoire, sauf aux pays en difficulté qui lui demandent de l'argent, et ce n'est le cas ni de la Chine ni des Etats-Unis. Il ne peut être le gendarme de l'économie mondiale, comme l'a souhaité Timothy Geithner. Tout au plus, peut-il se montrer bon pédagogue. Les Etats sont souverains : c'est comme ça. "
Christian de Boissieu, président du Conseil d'analyse économique (CAE) du premier ministre français, se félicite de la nouvelle approche des Etats-Unis qui " ont compris que le problème n'était pas le taux de change entre le yuan et le dollar, mais le déséquilibre des balances courantes qui reflète celui de l'épargne, des investissements et de la consommation ".
La proposition du secrétaire d'Etat américain de limiter à 4 % du PIB l'excédent et le déficit de la balance courante lui semble-t-elle bienvenue ? " L'idée n'est pas mauvaise en soi. Malheureusement, ce qui paraît l'invalider, c'est que le seuil de 4 % retenu par Timothy Geithner exonère les Etats-Unis de tout effort, puisqu'ils sont à 3,2 % de déficit quand la Chine et l'Allemagne ont des excédents supérieurs à 4 %. Cela plombe d'entrée le débat au G20, car tout le monde sait que l'harmonisation ne progressera qu'à la condition que chaque pays fasse un bout de chemin vers les autres avec un horizon temporel un peu long. Changer la Chine de puissance exportatrice en puissance consommatrice grâce à l'institution d'une protection sociale digne de ce nom va prendre du temps. "
Quant à l'Europe, elle doit " accélérer sa croissance par des réformes, tout en commençant à réduire ses déficits publics ", souligne M. de Boissieu. Et la Chine ? " Qu'elle s'engage à réévaluer sa monnaie au rythme qu'elle voudra et à privilégier un nouveau modèle de croissance. " Les Etats-Unis ? " Qu'ils nous parlent enfin de leurs déficits et des moyens pour les résorber, car le dollar est très fragile. "
Le FMI, lui, semble " l'instance la moins mal placée pour assurer la surveillance multilatérale " des politiques menées par ses membres. L'établissement de règles contraignantes ne lui paraît pas, à lui non plus, réaliste, comme le prouve la relative inefficacité du pacte européen de stabilité et de croissance.
Agnès Bénassy-Quéré, directrice du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), déplore la différence de tempo entre la Chine et les Etats-Unis. " Avec leur politique monétaire très accommodante, les Américains veulent créer de la demande et de la croissance à court terme. Ce faisant, ils ne se montrent pas du tout coopératifs avec le reste du monde, explique-t-elle. Alors que les Chinois vont dans le bon sens, mais trop lentement. "
Le FMI peut-il remédier à cet état de fait ? " Difficilement, juge-t-elle, parce qu'il n'a d'autorité que sur les pays qui demandent son aide. En attendant, il est urgent de compléter la réforme dite de Bâle III pour renforcer la solidité des établissements financiers qui laisse encore à désirer. "
C'est peu dire que le programme de Nicolas Sarkozy pour sa présidence du G20 à partir du 12 novembre n'emporte pas la conviction, et notamment sa volonté de refondation du système monétaire international. " Vouloir réformer les accords de Brettons Woods, c'est perdre son temps, avertit M. Wyplosz. Le régime bizarre sous lequel nous vivons, avec des monnaies qui flottent et d'autres pas, va perdurer. S'allier avec les Chinois pour contester la suprématie du dollar permettra à la France de vendre à la Chine quelques métros et c'est tout. On n'est pas là dans une logique économique, mais politique. "
Alain Faujas
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