mercredi 17 novembre 2010

ANALYSE - Face à la Chine, les Etats-Unis déploient une nouvelle stratégie en Asie


Le Monde - International, jeudi, 18 novembre 2010, p. 6

ANALYSE - Face à la Chine, les Etats-Unis déploient une nouvelle stratégie en Asie du Sud-Est

L'administration Obama vient d'amorcer le retour des Etats-Unis en Asie du Sud-Est, tablant sur le fait qu'un nouvel engagement dans une région au fort potentiel de développement contribuera à équilibrer l'irrésistible montée en puissance de la Chine.

L'Asie du Sud-Est avait été ignorée par George Bush, qui préféra se concentrer sur l'Inde, le vieux rival prosoviétique de l'Amérique au temps de la guerre froide, mais désormais perçue par les Etats-Unis comme l'un des contrepoids à la République populaire.

Le récent voyage de la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, au Vietnam, au Cambodge et en Malaisie, précédant, la semaine dernière, la tournée asiatique du président Barack Obama, a démontré sans ambages le nouvel intérêt des Etats-Unis pour cette partie de l'Extrême-Orient.

L'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean) est certes un sous-ensemble flou réunissant des pays qui se vouent parfois une solide inimitié et éprouvent souvent les plus grandes difficultés à trouver un terrain d'entente diplomatique. Mais cet appendice du continent asiatique, fort de plus de 580 millions d'habitants, présente aux yeux des Américains un intérêt stratégique non négligeable. L'Asean est, en effet, en partie une région maritime, surtout l'immense archipel indonésien composé de 15 000 îles et où Barack Obama vient de se rendre.

Cette réalité géopolitique est au centre des préoccupations américaines : M. Obama avait rappelé avant d'entamer sa tournée que les Etats-Unis sont une puissance maritime. Il sous-entendait ainsi que Washington a tout lieu de s'inquiéter des capacités à venir de la marine chinoise, à un moment où Pékin se concentre sur la modernisation de cette dernière dans le but avoué, à plus ou moins long terme, de faire pièce au contrôle du Pacifique par les Américains.

La nouvelle agressivité chinoise en mer de Chine du Sud, où les îles Spratley et Paracel, archipels inhabités mais faisant l'objet d'un conflit territorial mettant aux prises la Chine, le Vietnam, Taïwan, les Philippines, la Malaisie et Brunei, inquiète également certains pays de l'Asean, par ailleurs de plus en plus dépendants de leurs relations économiques avec Pékin.

Les Etats-Unis comptent sur cette inquiétude pour pousser leurs pions. Christian Caryl, de Foreign Policy Magazine, remarquait récemment que " les revendications chinoises en mer de Chine du Sud ont été élevées à un niveau d'"intérêt national primordial" comparable au Tibet et à Taïwan; cela a provoqué la colère des pays de la région ".

Robert D. Kaplan, auteur d'un ouvrage sur l'océan Indien et l'importance qu'il revêt pour le " futur du pouvoir américain ", renforçait la logique d'un réengagement américain en Asie en écrivant dans l'International Herald Tribune que les " divisions artificielles " de l'Asie héritées de la guerre froide ne sont plus de mise : " Désormais, avance-t-il, le Moyen-Orient, l'Asie du Sud et l'Asie de l'Est font partie d'un même continuum. En termes géopolitiques, la visite du président - américain - dans quatre pays - asiatiques - est centrée sur un seul défi : la montée en puissance de la Chine sur terre et sur mer. "

Un observateur étranger résidant à Djakarta estime que, même si les échanges commerciaux sino-indonésiens atteindront cette année une trentaine de milliards de dollars, l'Indonésie a besoin des Américains. Ne serait-ce que pour éviter une trop grande dépendance à l'égard de la Chine qui lui fournit des centrales thermiques.

Quelques jours avant l'arrivée du chef de l'exécutif américain, le Jakarta Globe insistait sur la rivalité sino-américaine en Indonésie. Il rappelait que le président de l'Assemblée populaire de Chine, Wu Bangguo, venait de se rendre en visite officielle à Djakarta où il avait évoqué la perspective d'investissements chinois en Indonésie à hauteur d'une cinquantaine de milliards de dollars d'ici à 2014.

Chercheur au Centre des études stratégiques et internationales indonésien (CSIS), Evan A. Laksmana, a une vision plus nuancée de la réponse indonésienne à la " séduction " américaine : " L'Indonésie ne se sentirait pas à l'aise si elle devait se prononcer entre la Chine et les Américains (...) Mais il est vrai que les pays de l'Asean possédant une surface maritime n'ont nulle envie d'étreindre une Chine qui peut se montrer très arrogante. "

Membre de la même institution, Jusuf Wanandi ajoutait, dans un éditorial du Jakarta Post, que " le président Obama a compris que les Etats-Unis doivent dépendre - dans la région - d'alliés et d'amis. Et la présence américaine en Asie orientale est importante parce que cela permet à l'Indonésie de mener une politique étrangère indépendante ".

Bruno Philip

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