Le Figaro, no. 20617 - Le Figaro, samedi, 13 novembre 2010, p. 17
Avec le G20, institution nouvelle qui a connu depuis la catastrophe financière de 2008 un essor imprévu autant que bienvenu, il semblerait que, pour citer Péguy, on soit passé rapidement « du moment mystique » au « moment politique ». Une telle évolution était, bien entendu, prévue de longue date : un organisme de vingt États, dont les dynamiques économiques sont très différentes voire contradictoires, ne pouvait, une fois l'urgence passée, que se muer en parlement de l'économie mondiale, dont la première utilité est de permettre aux grands acteurs de la planète de se parler en toute liberté, et la dernière priorité d'adopter des règles contraignantes qui ne pourraient avoir pour ultime conséquence que de faire partir un à un les mécontents en rébellion, à commencer, bien sûr, par la Chine. Décidément, non, le G20 ne sera pas une sorte de Commission européenne en gestation. Réduit ainsi à la fonction de chambre d'enregistrement, le sommet de Séoul aura néanmoins été un capteur très fin des grandes tendances de notre monde. On commencera, à l'évidence, par le constat de la dégringolade de l'influence américaine. « Tel tu fais ton lit, tel tu te couches. » Le vieil adage s'est appliqué avec usure à une diplomatie économique américaine qui avait, une semaine auparavant déjà, organisé sa propre perte de crédibilité en annonçant unilatéralement une manoeuvre de relance monétaire tout à fait considérable.
Lucide probablement sur l'ampleur et la solidité de la résistance chinoise à tout ajustement monétaire, l'Amérique aura finalement eu recours à une sorte de « Pearl Harbor inversé ». Puisque Pékin n'accepte aucune concession, Washington passe à l'attaque surprise en organisant une baisse spectaculaire du dollar, en croisant les doigts pour que cette descente soit suffisamment maîtrisée grâce à la reprise d'une croissance intérieure anémique, afin que soit évitée, dans quelques mois, une hausse des taux d'intérêt qui ressemblerait fort à la « stagflation » qui coûta, on s'en souvient, sa présidence à Jimmy Carter. Si on veut bien y ajouter les mauvaises nouvelles qui s'amoncellent tant sur le front irakien que sur le front pakistanais, on constatera une dégringolade dans la puissance sans équivalent depuis fort longtemps aux États-Unis.
Ensuite, le G20 aura marqué, de façon tout aussi frappante, la montée en puissance de la diplomatie de Pékin, comme s'il s'agissait d'un jeu de vases communicants. Tout d'abord, la Chine, que l'on pensait isolée dans sa politique de dépréciation monétaire permanente, a tout de suite su jouer sur les maladresses de l'interlocuteur américain, pour mettre dans sa poche l'Allemagne, seconde exportatrice, derrière elle, de la planète. Les velléités de Geithner d'imposer un plafond pour les excédents commerciaux étaient, dès lors, oubliées. À ce premier axe Pékin-Berlin s'est ajoutée une complaisance inattendue des autres participants asiatiques, que l'on présentait volontiers comme enclins à plus de fermeté géopolitique vis-à-vis d'une Chine agressive sur le plan militaire. Ici, c'est le Japon qui aura donné le signal du ralliement, dépendant qu'il est déjà de son vaste accès au marché chinois pour maintenir par des excédents commerciaux, lui aussi, son économie toujours déflationniste la tête hors de l'eau. Il n'y a pas que des effets pervers à ce consentement des partenaires asiatiques, dont on peut dire que la Corée du Sud et l'Indonésie se situent déjà dans une « zone yuan » virtuelle. Dans la grande politique, en effet, les négociations ne sont pas un jeu à somme nulle : la Chine aussi a besoin de ne pas noyer la croissance mondiale, en tout premier lieu celle de ses voisins géographiques.
On peut donc déduire de ce second succès une volonté des éléments réformateurs de la direction chinoise - dont le secrétaire du parti à Chongqing, Bo Xilai - de renouer très vite avec Tokyo, en renvoyant les militaires les plus agressifs à leurs chères études. Et en imposant à une Corée du Nord désorientée un peu de retenue. Étonnant G20 qui nous renvoie, comme dans une analyse médicale, le poids enfin exact des différentes puissances de la planète, celui de l'Europe, est-il besoin de le répéter, tendant vers le zéro relatif. Il appartient donc au président Sarkozy, qui est censé diriger cet aréopage, de renouer sans délai avec une Allemagne tentée par le solipsisme, pour présenter enfin un front commun qui commencera à remettre l'Europe dans sa vraie place, celle de la seconde économie de la planète.
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