La Chine et l'Allemagne, les deux premières puissances commerciales de la planète, font en sorte d'avoir des monnaies sous-évaluées. Malin.
Il y a du tirage au sein de la « Chinamérique », mais la « Chinallemagne » file le parfait amour. Ainsi se résume la rencontre des chefs d'État et de gouvernement au G20, la semaine dernière à Séoul. D'un côté, le couple Chine-États-Unis : il n'arrive décidément pas à se mettre d'accord sur le bon taux de change entre le dollar et le yuan. De l'autre, la Chine et l'Allemagne : les deux premiers exportateurs au monde, qui enregistrent les plus gros excédents commerciaux, ont des intérêts communs à défendre. Le président Hu Jintao et la chancelière Angela Merkel ont fait front pour déjouer la proposition américaine de limiter les déséquilibres extérieurs au sein du G20.
On redoutait un condominium sino-américain sur l'économie mondiale. De nouvelles alliances objectives font jour. Pékin et Berlin se découvrent des affinités de plus en plus nombreuses. Leur dynamisme repose sur l'exportation et ils font la course en tête, chacun dans sa catégorie. L'économie allemande affiche la plus forte croissance dans le club des pays « avancés » (3,9 % sur les douze derniers mois), tout comme la Chine (9,6 %) dans le camp des émergents.
Autre similitude, l'une et l'autre s'arrangent pour bénéficier d'une monnaie sous-évaluée et doper leur compétitivité, fût-ce par des moyens totalement différents. Le Congrès américain ne cesse de dénoncer la sous-évaluation du yuan qu'il estime entre 20 % et 40 % vis-à-vis du dollar. Les autorités chinoises sont accusées de « manipulation ». Il leur est facile de maîtriser le cours du renminbi (monnaie en chinois) grâce à un contrôle des changes draconien.
Rien de tel pour l'euro. Il fluctue au gré des marchés. Ses cours actuels donnent d'ailleurs l'impression d'être très surévalués. Il ne devrait valoir que 1,17 dollar américain selon la Banque mondiale : telle est sa « parité de pouvoir d'achat », le niveau théorique de l'euro-dollar qui permettrait d'égaliser le coût de la vie aux États-Unis et dans la zone euro. Mais ce serait un leurre de croire que les seize pays de l'Euroland, sous prétexte de partager la même monnaie, sont réellement égaux. Certains le sont plus que d'autres.
Hans-Werner Sinn, le président de l'IFO, l'un des principaux instituts de conjoncture d'outre-Rhin, a calculé que l'Allemagne avait réalisé « une dévaluation intérieure réelle » de 18 % entre 1995 et 2008 par rapport à ses partenaires. Cette dévaluation compétitive a été obtenue par un resserrement des coûts salariaux et la mise en place de la TVA sociale. Avec le double effet d'alléger les charges des entreprises et d'alourdir la fiscalité payée par les consommateurs.
Contrairement à leurs voisins du Sud et de l'Ouest, les Allemands se débrouillent pour rester compétitifs. Sont-ils pour autant les grands gagnants de l'instauration de l'euro? Hans-Werner Sinn conteste cette interprétation. Il rappelle que les capitaux générés par les surplus commerciaux de l'Allemagne sont allés s'investir à l'étranger. « En Grèce, en Espagne, au Portugal, en Irlande et dans une moindre mesure en France », explique-t-il dans une récente tribune au Wall Street Journal. Ces pays ne sauraient donc se plaindre d'avoir pu financer à bon compte leurs propres investissements, notamment immobiliers. Le président de l'IFO redoute toutefois que les épargnants allemands et leurs banques ne récupèrent jamais totalement leurs billes si par malheur la Grèce et l'Irlande devaient faire défaut.
L'Allemagne joue vis-à-vis du reste de l'Europe un rôle de créancier similaire à celui de la Chine pour les États-Unis. Sauf que le circuit n'est pas du tout le même. Conséquence du contrôle des changes, la Banque populaire de Chine, la banque centrale, centralise les devises gagnées par les entreprises à l'export. D'où l'explosion de ses réserves, qui ont triplé depuis 2005 pour atteindre aujourd'hui 2 450 milliards de dollars. En Allemagne, économie libérale, le portefeuille d'investissements à l'étranger réalisés par les banques commerciales et les entreprises allemandes est passé de 800 milliards de dollars en 2001 à 2 100 milliards en 2008, selon les calculs du FMI. Et pour une part importante (290 milliards de dollars) à destination de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal.
La fourmi chinoise porte la casquette du capitalisme d'État. Son homologue allemande s'incarne dans les fonds d'épargne des électeurs. Les deux se préoccupent de préserver leurs capitaux. La semaine dernière, l'agence de notation financière chinoise Dagong a abaissé sa note de la dette fédérale des États-Unis, dont elle juge la solvabilité « au bord du gouffre ». Cette rhétorique ne fait que confirmer des actes : sur les sept premiers mois de 2010, la Chine a réduit de 70 milliards de dollars son encours net de bons du Trésor américain.
Côté allemand, les contribuables sont de moins en moins prêts à payer la facture des pays étrangers, martèle Angela Merkel. Pékin et Berlin expriment désormais la même défiance vis-à-vis de leurs débiteurs, qu'il s'agisse des États-Unis ou de la Grèce. D'où leur souci commun de prendre des garanties solides. Au printemps dernier, deux parlementaires allemands avaient émis l'idée, jugée saugrenue, de prendre en gage des îles grecques. Quelques semaines plus tard, l'armateur chinois Cosco rachetait une partie du port du Pirée.
Au printemps dernier, deux parlementaires allemands avaient émis l'idée, jugée saugrenue, de prendre en gage des îles grecques. Quelques semaines plus tard, l'armateur chinois Cosco rachetait une partie du port du Pirée
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