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BNP Paribas, très présente dans les paradis fiscaux, commercialise discrètement, en Suisse, au Luxembourg et à Monaco, des sicav appelées " Luxumbrella ", qui permettent d'échapper à l'imposition des bénéfices.
BNP Paribas, la première banque privée française, offre à ses clients français des produits financiers leur permettant de soustraire à l'impôt une partie des revenus de leur épargne, en ouvrant des comptes en Suisse, au Luxembourg ou à Monaco. Troublant, pour un établissement bancaire qui a reçu 5,1 milliards d'euros de l'Etat au cours de l'hiver 2008-2009 ! L'Etat aura finalement avancé des milliards d'euros à un système bancaire qui continue de jouer contre lui en le privant de recettes fiscales...
Au plus fort de la crise, le ministre du Budget, Eric Woerth, expliquait pourtant que seuls les établissements " au clair " avec les paradis fiscaux pourraient bénéficier du plan de sauvetage. Mais Bercy n'a finalement rien exigé en matière de moralisation des pratiques bancaires. En février 2009, Baudouin Prot, directeur général de BNP Paribas, confirmait que " la question des paradis fiscaux n'avait jamais été abordée " entre sa banque et Bercy. Dommage. Selon nos informations, BNP Paribas banque privée, filiale de gestion de fortunes, permet, en effet, depuis Genève, aux contribuables européens d'échapper à l'imposition sur les revenus financiers, grâce à des sicav baptisées " Luxumbrella " - le parapluie luxembourgeois. Ces produits magiques, domiciliés dans le Grand-Duché, sont commercialisés en Suisse (Genève, Lugano, Zurich), mais aussi au Luxembourg et à Monaco.
Pour comprendre ce tour de passe-passe fiscal, il faut remonter à 2004, lorsque fut adoptée la directive européenne sur l'épargne. Après la libéralisation des mouvements de capitaux au sein de l'Union européenne, les pays à fiscalité élevée, la France et l'Allemagne, par exemple, craignaient que l'épargne file vers le Luxembourg, la Suisse, l'Autriche ou la Belgique, pays à faible fiscalité sur les revenus du capital et dotés d'un solide secret bancaire.
Un " détail " de... 7 milliards
Les grands pays ont alors mis en place l'" échange automatique d'informations " entre les pays membres de l'Union européenne. Ainsi, lorsqu'un contribuable français ouvre un compte en Allemagne, l'administration fiscale française en est avertie par le fisc allemand. Mais plusieurs pays, la Belgique, l'Autriche, le Luxembourg ainsi que la Suisse (qui n'est pas membre de l'UE), ont refusé de se plier à ce système incompatible avec le maintien du secret bancaire. En contrepartie, ils ont accepté de taxer à la source les revenus du patrimoine venant des comptes ouverts par des ressortissants européens. La France, le Royaume-Uni ou l'Allemagne ne peuvent savoir qui détient tel ou tel compte, mais ils reçoivent pourtant des centaines de millions d'euros grâce à cet accord. La taxe, 10 % au départ, atteint 25 % en 2010 et passera à 35 % l'an prochain.
Cette retenue à la source s'applique à tous les produits financiers sauf à certains produits très spécifiques, notamment des sicav (société d'investissement à capital variable) de droit luxembourgeois dénommés Ucit 1 et Ucit 2, qui y échappent. Une faille dans laquelle s'est engouffrée BNP Paribas. Des " petits génies " de la finance ont exhumé une vieille sicav luxembourgeoise créée au début des années 1990, Luxumbrella, qui n'entre pas dans le champ de la directive européenne de 2004. Sans ce " passeport européen ", elle ne peut pas être commercialisée à des particuliers en dehors du Luxembourg.
Interrogée par Marianne, la direction de BNP Paribas présente cette sicav furtive comme anodine. " Luxumbrella est une simple enveloppe juridique, un fonds de placement collectif interne. Les gérants de fortune l'utilisent pour placer l'épargne des clients dont ils ont reçu un mandat ", explique-t-on. Le client donne donc un mandat de gestion à BNP Paribas banque privée à Genève, et celle-ci place l'épargne uniquement en Luxumbrella. " La banque commercialise bien un mandat de gestion (Global First, Optima), confirme un gérant de la banque qui souhaite rester anonyme, mais ce mandat est un simple cache-sexe, puisqu'il est presque exclusivement investi en sicav Luxumbrella. "
Entre 4 et 5 milliards de francs suisses (entre 2,8 et 3,54 milliards d'euros) auraient ainsi été investis de la sorte depuis cinq ans. " Le mandat First est l'axe central de notre développement ", explique un gérant. " Durant nos stages de formation à Lugano, Zurich, Luxembourg et Monaco, le mot d'ordre est clairement d'écouler le maximum de ces sicav, poursuit-il. La pression est énorme. L'objectif est que ces mandats passent de 10 à 25 % des capitaux sous gestion, pour atteindre plus de 10 milliards de francs suisses [7 milliards d'euros]. "
De nombreux documents internes à la banque attestent que Luxumbrella permet avant tout d'échapper au fisc. Ainsi, une note de 2006 intitulée " Portfolio management, présentation des mandats First ", explique que son intérêt est de permettre de " proposer une large gamme de mandats défiscalisés pour les clients assujettis à la directive européenne ". Le mécanisme est simple : au Luxembourg, Luxumbrella ne connaît pas de clients français, allemands ou italiens, mais uniquement des gérants de fortune. Donc pas de prélèvement. Les revenus de la sicav sont alors transférés en Suisse... qui n'a pas à prélever à la source des revenus réalisés au Luxembourg. Le tour (fiscal) est joué.
Sacro-saint secret bancaire
Selon la banque française, il n'y a aucun problème puisque " BNP Paribas banque privée respecte évidemment la législation suisse ". On précise, un rien Ponce Pilate, que, " quoi qu'il en soit, aucun mandat n'exonère les clients de déclarer leurs revenus dans leurs pays de résidence ". Si fraude fiscale, il y a, ce n'est pas la faute de BNP Paribas, mais celle de... ses clients ! Comme, jusqu'à fin 2011, il n'y a aucune chance que le secret bancaire suisse soit levé, ces derniers peuvent dormir tranquilles...
Selon nos estimations, entre 5 000 et 10 000 mandats First ou Optima ont été conclus. Soit presque autant de clients qui ne sont ni suisses, ni luxembourgeois, ni monégasques - les résidents de ces trois pays clients n'ayant pas besoin de ce genre d'artifice pour éviter l'impôt. Combien de Français parmi eux ? BNP Paribas refuse de le dire. Secret bancaire !
Les banques ne souhaitent pas quitter les paradis fiscaux pour une raison évidente : elles y gagnent beaucoup d'argent. En 2009, Marianne révélait ainsi que les établissements français disposaient de plus 370 milliards d'euros dans ces paradis qui généraient, en 2008, 3 milliards d'euros de revenus, dont 800 millions d'euros en Suisse.
" Le secret bancaire, c'est fini ", affirmait Nicolas Sarkozy en septembre 2009. Le président de la République tient à ce que l'éradication des paradis fiscaux soit à l'ordre du jour du prochain G20. Encore faudrait-il regarder ce qui se passe dans notre arrière-cour...
Frédéric Kieber et Hervé Nathan
© 2010 Marianne. Tous droits réservés.
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