mercredi 10 novembre 2010

DOSSIER - Écoutes : Jusqu'où va le pouvoir

L'Express, no. 3097 - france EN COUVERTURE, mercredi, 10 novembre 2010, p. 38-41

Des journalistes qui se croient surveillés, des responsables politiques qui se pensent espionnés... Fantasmes, dérives des services de police ou manoeuvres d'officines privées ? Le temps est au soupçon généralisé.

C'était dans la dernière ligne droite précédant la grande bataille présidentielle de 2007. Tout ministre de l'Intérieur qu'il fût, Nicolas Sarkozy veillait à ne jamais évoquer les questions sensibles sur son portable. "Il était convaincu d'être écouté par Dominique de Villepin, raconte l'un des principaux ministres de l'époque. Ce qui était cocasse, c'est que Dominique de Villepin [alors chef du gouvernement] était aussi persuadé de l'être par Nicolas Sarkozy. Chacun désignait nommément une officine privée au service de l'autre." L'ami de toujours, Brice Hortefeux, confirme : "Oui, Nicolas prenait ses précautions. Il a pu penser qu'il était la victime d'une officine."

Officiellement, c'est entendu (si l'on ose dire), les écoutes téléphoniques sont à ce point encadrées par des textes législa-tifs que les dérapages sont impossibles. "Comme l'a d'ailleurs dit Bernard Squarcini [patron de la DCRI, la Direction centrale du renseignement intérieur], tout cela me paraît relever du fantasme", déclarait la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, le 5 novembre sur France Inter, à propos des accusations de surveillance de certains journalistes. Le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, se montre tout aussi catégorique et insiste sur l'étendue des contraintes : "Si on continue de multiplier les demandes d'autorisation, les services ne pourront bientôt plus rien faire en termes de surveillance, prévient-il. Bien sûr, il y a des écoutes d'hommes politiques, mais seulement dans le cadre de procédures judiciaires." Il ajoute : "Par ailleurs, il y a des officines. Ce sont souvent des sociétés qui ont pignon sur rue."

L'enquête de la DCRI, la deuxième en quelques mois, a suscité un vif émoi

Le climat de suspicion qui s'est désormais installé résulte de la conjugaison de deux faits. D'une part, l'enquête de la DCRI, déclenchée à la suite de fuites dans l'affaire Bettencourt-Woerth (la deuxième en quelques mois, après celle sur les rumeurs autour du couple présidentiel), a suscité un vif émoi, jusqu'au sein de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Nicolas Sarkozy a très vite su le nombre exact de SMS qu'un magistrat avait envoyés en pleine perquisition à un journaliste. D'autre part, le rôle de ces fameuses "officines", dont le travail est facilité par les progrès de la technologie, donne libre cours à toutes les interrogations. "Que des structures privées, qui se livrent parfois à de l'espionnage éco-nomique, soient aussi utilisées pour surveiller des responsables publics relève de l'évidence", note un ancien ministre UMP. Et c'est ainsi qu'un vent de folie s'est emparé du milieu politique et de la classe médiatique. Si bien qu'une question, aujourd'hui, est sur toutes les lèvres : en matière d'écoutes, jusqu'où va le pouvoir ?

Une personnalité de droite vient de jeter un pavé dans la mare en mettant publiquement en cause la communication officielle du gouvernement. Après avoir appartenu au premier cercle des sarkozystes, Rachida Dati a été garde des Sceaux entre 2007 et 2009. "Que ce soit le président de la République qui supervise, cela me paraît impossible, sinon ce serait très, très grave, donc je ne peux l'imaginer, dit-elle, le 4 novembre, interrogée dans le Talk Orange-Le Figaro. Pour autant, il ne faut pas prendre cela à la légère."

Aucun de ses mots n'est prononcé au hasard. Quelque temps auparavant, Rachida Dati a vu le chef de l'Etat. L'entretien s'est très mal passé. Puisque la maire du VIIe arrondissement de Paris croit disposer d'éléments susceptibles de nuire à Nicolas Sarkozy, ses déclarations sonnent comme un avertissement, et sur le terrain le plus sensible qui soit, celui des libertés publiques. Dans son cas, c'est même une récidive : elle avait tenu des propos quasi identiques en avril 2010, quand elle avait été soupçonnée d'alimenter les rumeurs sur le couple présidentiel. En moins de vingt-quatre heures, l'Elysée avait changé de discours à son égard et l'infréquentable était redevenue une "amie".

Les responsables politiques n'ignorent rien de la loi, ce sont eux qui la font... et pourtant, la plupart agissent comme si elle ne les protégeait pas de grand-chose. "Le problème est double : d'abord, dans nos institutions, tout converge vers le président, ce qui donne des pouvoirs exorbitants aux hommes qui dépendent de lui, détaille un ministre en pensant notamment aux directeurs des services de police. Ensuite, la législation n'évolue pas assez vite : il est évident que tout recours aux"fadet" [les factures téléphoniques détaillées] devrait n'être possible que sous le contrôle du juge."

Les anciens Premiers ministres se montrent parmi les plus prudents

Seraient-ils paranos ? Ou est-ce parce qu'ils connaissent mieux que les autres les risques de dérives de l'Etat que leur expérience les incite à la défiance ? Toujours est-il que les anciens Premiers ministres se montrent parmi les plus prudents. Jean-Pierre Raffarin ne parle pas des sujets délicats sur son portable. Alain Juppé n'a pas de mobile, mais utilise parfois celui de son officier de sécurité. "Je ne suis pas très bavard au téléphone, un peu à cause de cette ambiance et aussi parce que je préfère rester discret", explique le maire de Bordeaux. Dominique de Villepin, accusé en son temps, on l'a vu, des pires turpitudes par Nicolas Sarkozy, commente : "C'est une pratique sur laquelle certains s'appuient, malheureusement, mais, par principe, je ne prends aucune forme de précaution. Il est toujours bon de savoir que quelqu'un peut s'instruire en vous écoutant !"

Copé dispose d'un autre téléphone, dont il ne donne jamais le numéro

Le nombre de ministres (y compris dans l'équipe actuelle de François Fillon), d'élus et de membres de cabinet muets au téléphone est en pleine expansion. Sans s'appuyer sur des preuves tangibles, Jean-François Copé le confie presque avec fatalité : "Je suis probablement sur écoutes, on peut en tout cas vraisemblablement le penser, et, si je le suis, ce n'est pas par une grande entreprise !" Le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale évite de passer certains coups de fil depuis son portable habituel, privilégie parfois une ligne fixe ("Il paraît que c'est plus fiable") et dispose d'un autre téléphone, dont il ne communique jamais le numéro.

La droite s'effraie et la gauche reste sur ses gardes. Quand Martine Aubry s'est installée dans son bureau de première secrétaire du PS, en 2008, elle a demandé à une entreprise spécialisée de vérifier que son bureau n'était pas équipé de micros. "Aujourd'hui, elle utilise son portable comme un outil quotidien et ne craint rien", assure l'un de ses collaborateurs. Pourtant, un membre de la direction du PS se souvient que plusieurs responsables du parti, dont elle, ont reçu, il y a quelques mois, des conseils de prudence. "Nous devons être vigilants, admet le conseiller politique de la première secrétaire, François Lamy. Pour la présidentielle, il faudra peut-être réfléchir à un dispositif." "Je ne dis pas que cela n'existe pas, mais j'ai pris le parti de ne pas me censurer au téléphone", indique François Hollande. "De plus en plus de personnes font attention", complète un proche de Dominique Strauss-Kahn. Il y en a une qui a moins de pudeurs, certaine d'avoir été, en 2007 et après, sur écoutes : Ségolène Royal. Entre les deux tours des municipales, dans un train qui l'emmène à Strasbourg, elle montre son portable à quelques journalistes et chuchote : "Les SMS aussi peuvent être interceptés." Citée par Le Nouvel Observateur du 4 novembre, la députée européenne Eva Joly, probable future candidate écologiste en 2012, affirme : "Je suis sur écoutes, ce n'est pas une inquiétude, mais une certitude."

Voici venu le temps du soupçon généralisé. Qui a incité le secrétaire général de l'Elysée à la contre-attaque. Accusé par le site Mediapart de piloter des opérations illégales de surveillance de journalistes, Claude Guéant a annoncé dans Le Journal du dimanche son intention de porter plainte pour "diffamation". Deux jours plus tôt, le groupe socialiste à l'Assemblée nationale avait demandé la création d'une commission d'enquête parlementaire sur l'attitude de la DCRI. Cette fois, il suffit de tendre l'oreille pour remarquer à quel point la petite musique d'ambiance se dégrade.

Éric Mandonnet, avec Marcelo Wesfreid


Fritures sur les lignes

Éric Pelletier et Jean-Marie Pontaut

Depuis un an et demi, les frictions se sont multipliées entre la police et la commission chargée du contrôle des écoutes. Sur des affaires suivies de près par l'Elysée.

A dix-huit mois de l'élection présidentielle, un vent mauvais souffle en direction de l'Elysée. Soupçons de cabinet noir, accusations de coups bas policiers, voire de cambriolages de journalistes... Cette chanson d'automne rappelle l'antienne des fins de règne sous la Ve République. Elle préfigure aussi le climat délétère de la future campagne. Les attaques sont virulentes. Le démenti est à la hauteur.

Dans son édition du 3 novembre, Le Canard enchaîné accusait Nicolas Sarkozy d'instrumentaliser la police pour "superviser l'espionnage des journalistes", jugés trop curieux, voire de missionner des "officines" pour visiter leur domicile e Guéant, assure qu'il va attaquer le site Mediapart.

Il subsiste pourtant un malaise, qui tient au flou entourant la législation sur les écoutes et aux insuffisances de la loi protégeant les sources des journalistes.

Depuis le début de l'année, la DCRI a tenté d'identifier les auteurs de fuites, non pas à destination d'un service étranger ou d'une organisation terroriste comme cela est d'usage, mais vers la presse. Pour cela, elle a utilisé les mêmes méthodes : les téléphones portables se sont transformés en mouchards. Leur facturation détaillée, baptisée "fadet", est devenue une arme imparable pour identifier les contacts professionnels ou personnels d'une "cible" (voir ci-dessous).

La loi sur les écoutes administratives de 1991 est censée encadrer ces recherches policières. Mais elle a fait l'objet, ces derniers mois, d'interprétations singulièrement divergentes de la part de la police et de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), placée sous l'autorité de Matignon. Et même entre membres de ladite Commission...

La plupart de ces débats n'ont pas dépassé le huis clos feutré du secret-défense. C'est ainsi, selon nos informations, qu'un accroc majeur a eu lieu le 26 juillet 2009. Avec Nicolas Sarkozy dans le rôle principal. Ce jour-là, le chef de l'Etat est victime d'un malaise vagal lors d'un footing à Versailles. A peine quelques minutes plus tard, un "informateur" propose le scoop à une rédaction parisienne contre rémunération. Alerté par un journaliste cherchant à vérifier cette information, le ministère de l'Intérieur veut savoir d'où vient la fuite et envisage donc d'examiner les appels passés par les gardes du corps du président. La Commission refuse. L'Intérieur regimbe.

"Il est urgent de clarifier la loi"

La DCRI s'est heurtée à un autre veto quand elle a voulu identifier les contacts d'un agent présumé des services américains en France. Là encore, la Commission a rejeté toute investigation téléphonique au motif, semble-t-il, qu'on risquait au passage de piéger de hauts fonctionnaires français, en contact avec le "suspect" mais sans lien avec l'affaire. En revanche, la CNCIS a donné son feu vert à l'enquête visant un membre d'un cabinet ministériel qui informait la presse de la fermeture programmée de casernes de gendarmerie en province.

Mais, en 2010, plusieurs affaires changent la donne. Avec, à chaque fois, les mêmes ingrédients : elles concernent des fuites dans la presse ; elles révèlent l'existence de "taupes" au sein du pouvoir ; et, surtout, elles sont suivies de près par l'Elysée.

Cette fois, les policiers ne prennent pas le risque de s'exposer à un refus de la CNCIS. Ils décident de la contourner en invoquant la "défense des intérêts nationaux". Dans ce cas, l'article 20 de la loi de 1991 sur les écoutes autorise en effet un accès direct aux opérateurs de téléphonie sans attendre l'aval de la Commission.

Des calomnies distillées su r Internet sont ainsi hissées au rang de "rumeurgate" : en février 2010, l'ex-garde des Sceaux, Rachida Dati, étoile pâlissante du sarkozysme, est soupçonnée de répandre des rumeurs sur la vie privée du couple présidentiel. Le nombre d'appels passés avec l'un de ses conseillers, doublé d'un renseignement fiable, suffit à emporter la conviction du chef de l'Etat. Et à bannir Dati.

L'été dernier, l'affaire Woerth-Bettencourt relance la polémique. Après la parution d'extraits de procès-verbaux dans Le Monde, mettant en difficulté le ministre Eric Woerth, la DCRI resserre l'étau autour d'un conseiller de la garde des Sceaux, David Sénat. Les policiers isolent une vingtaine d'appels avec le journaliste du quotidien, dont plusieurs la veille de la parution. C'est bien la preuve, selon eux, que le magistrat a fauté.

La police pouvait-elle contourner légalement la CNCIS ? Plusieurs des membres de cette instance s'estiment trahis. "En dehors des cas de terrorisme, la jurisprudence de la Commission varie et la position des deux derniers présidents aussi, regrette pour sa part un policier. Il est urgent de clarifier la loi." Depuis janvier, la situation a été examinée à Matignon, à l'Intérieur et au sein même de la Commission, mais le débat n'a pas été tranché pour autant.

La justice, elle aussi, a la tentation de consulter les fadet des journalistes. Ainsi, le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, n'a pas hésité en effet à recenser les appels de deux reporters du Monde dans l'affaire Bettencourt. Il voulait démontrer que sa consoeur Isabelle Prévost-Desprez avait enfreint le secret de l'enquête en informant un journaliste du quotidien d'une perquisition. Une loi, promulguée au début de l'année, était pourtant censée garantir le secret des sources des journalistes.


La "Fadet", nouveau mouchard

Eric Pelletier

Dans le jargon policier, une "fadet" - prononcer "fadette" pour "facturation détaillée" - désigne la liste des appels, SMS ou courriels, émis ou reçus par un téléphone. Sont notamment mentionnés le numéro du correspondant, l'heure et la durée de la conversation. Contrairement à une écoute, le contenu n'apparaît pas.

Comme la fadet permet d'identifier les contacts d'un suspect, elle est devenue un outil indispensable aux enquêtes, qu'elles soient judiciaires ou qu'elles émanent de services de renseignement. Depuis 2006, dans les affaires terroristes, la loi permet aux services de police d'avoir accès à ces données techniques, après avis d'une "personnalité qualifiée", membre du ministère de l'Intérieur.

Interrogé sur le nombre de demandes effectuées en 2009 par les 600 fonctionnaires habilités, le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) "estime n'avoir pas à répondre aux questions" de L'Express. Selon nos estimations, elles atteignaient 10 000 l'année dernière pour les seules affaires de terrorisme.



"Je ne suis pas le chef des barbouzes"

Propos recueillis par Jean-Marie Pontaut

Confronté à la polémique sur les écoutes, Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale, sort du silence. Et réfute l'existence de tout "cabinet noir".

Existe-t-il, à la Direction centrale du renseignement intérieur [DCRI], une équipe qui enquête sur les journalistes, comme l'écrit Le Canard enchaîné ?

Soyons clairs. Nous avons fusionné la Direction de la surveillance du territoire [DST] et les Renseignements généraux [RG] pour en terminer avec certaines pratiques. Nous avons supprimé la section presse des RG, détruit toutes ses archives et dissout la section politique, qui suivait l'activité des partis. Par ailleurs, lorsqu'il a été ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy a supprimé la pratique des notes blanches [NDLR : notes contenant des informations confidentielles et n'ayant pas d'existence officielle]. Il n'existe aucun cabinet noir au sein de la DCRI. Aucun de ses policiers n'est chargé de surveiller les journalistes. Des fonctionnaires rédigent simplement une revue de presse pour le ministère de l'Intérieur. Il arrive, bien sûr, que des journalistes soupçonnés d'espionner au profit d'une puissance étrangère ou de compromettre des secrets liés à la défense nationale soient surveillés. Mais ils le sont comme tout citoyen suspecté de violer la loi.

Dans l'affaire Woerth-Bettencourt, pour identifier une fuite destinée au Monde, la police a épluché les factures téléphoniques de David Sénat, alors conseiller de la garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie...

Je n'ai jamais voulu répondre à des questions sur le cas de David Sénat. Je n'ai publié qu'un communiqué. Mais je peux vous dire que tout ce que fait la DCRI est justifiable et traçable dans le temps. Je me suis complètement exprimé sur ce sujet devant la délégation parlementaire au renseignement, composée de huit élus de la majorité et de l'opposition.

Des ordinateurs de journalistes ont été volés. On évoque des "barbouzeries" et comme vous êtes proche du président, votre indépendance est mise en doute...

ça commence à bien faire ! Ces derniers temps, la police a été injustement mise en cause, alors qu'elle n'a cessé de se mobiliser, que ce soit contre le terrorisme ou les casseurs. Elle aurait mérité des félicitations ou, du moins, de la considération pour ce travail réussi. Au lieu de cela, elle fait l'objet d'accusations lourdes et absurdes. Pourquoi voulez-vous qu'un service officiel vole des ordinateurs de journalistes ? Pourquoi prendre un tel risque politique ? Cette accusation me scandalise aussi à titre personnel. Je suis un homme d'enquête et non de pouvoir. Fils d'avocat, j'ai travaillé vingt-cinq ans à la police judiciaire et j'ai toujours respecté la loi. Ma proximité avec Nicolas Sarkozy ne signifie pas que je suis prêt à tout pour conserver mon poste. Si demain Martine Aubry est élue, elle nommera à ma place quelqu'un en qui elle a confiance et tout le monde trouvera cela normal. Je suis le directeur de la police républicaine, pas le chef des barbouzes.


L'espionnage à la portée de tous

Anne Vidalie

Détourner des conversations téléphoniques, capter SMS et mails : c'est désormais possible grâce à des logiciels d'écoute en vente sur Internet.

"Il n'est pas légal d'espionner. Ecouter les conversations sur un téléphone appartenant à une autre personne, à son insu, intercepter ses SMS et mails, est hautement répréhensible. Vous encourez des peines pouvant correspondre à plusieurs années de prison selon les législations." Voilà le client potentiel de la jeune société suisse ProMibs prévenu. Pourtant, cet avertissement, affiché sur le site interne, ne décourage pas les espions en herbe, attirés par le logiciel d'écoute que ProMibs leur propose.

Dans le bureau de Michel Beruben, au bord du lac de Genève, le téléphone sonne sans discontinuer. "ça n'arrête pas, se réjouit l'ingénieur. Nous vendons en moyenne 80 licences d'utilisation par mois en France et une centaine ailleurs." Installé à Nenagh, en Irlande, Stéphane Gallois commercialise, lui aussi, des programmes de surveillance sous la marque Espion-on-line. "La demande, dopée par la baisse des prix de la technologie, augmente de 20 à 30 % par an", affirme-t-il.

Mode d'emploi des logiciels qui transforment un téléphone mobile en mouchard, pour un coût compris entre 100 et 1 000 €.

Comment ça marche ?

Le logiciel espion doit être téléchargé sur le téléphone "cible". "L'installation prend entre cinq et trente minutes, selon l'habileté de l'utilisateur", évalue Michel Beruben. Il est donc indispensable d'avoir en main, pendant ce temps, le portable que l'on veut piéger. Ou d'offrir un appareil déjà équipé à la personne visée. Quoi qu'en disent certains sites Internet, il est impossible d'installer un logiciel à distance.

Quelles sont les précautions à prendre ?

Les logiciels d'écoute ne sont pas compatibles avec tous les téléphones. Pas de problème avec les derniers-nés de la technologie comme les smartphones, à la fois portables et assistants numériques personnels. Avec les appareils plus anciens, c'est moins sûr. Mieux vaut s'assurer, également, que la "cible" dispose d'une connexion Internet. Sinon, l'installation du logiciel peut virer au casse-tête...

Que peut-on espionner ?

Une fois le mobile doté d'un logiciel mouchard, l'apprenti espion reçoit une copie de tous les SMS et mails envoyés et reçus. L'appareil piégé l'avertit par SMS de chaque appel. Pour écouter la conversation, il suffit d'appeler aussitôt la "cible" et le logiciel active l'"option conférence à trois". Ni vu, ni connu... A condition que la personne surveillée dispose d'un forfait SMS illimité, faute de quoi sa facture téléphonique risque d'exploser... et d'éveiller sa suspicion. Certains logiciels permettent également d'activer à distance le téléphone piraté, pour le transformer en discret micro.

Qui achète ces logiciels espions ?

Des hommes et des femmes qui doutent de la fidélité de leur conjoint. Des parents que les fréquentations de leurs enfants préoccupent. Des entreprises que s'inquiètent de la loyauté de leurs salariés. Des services officiels et des officines privées, également. "Nous recevons des mails publicitaires et des offres préférentielles", indique Alain Letellier, secrétaire général de la Chambre professionnelle des détectives privés, qui reconnaît que, "à partir du moment où le matériel existe, certains doivent être tentés de l'utiliser".

Comment s'en débarrasser ?

Ces logiciels sont invisibles, donc difficiles à détecter. "Par sécurité, je change de portable tous les six mois", confie le détective privé Alain Letellier. Pour se débarrasser d'un mouchard, deux solutions : réinitialiser le téléphone. Ou en acheter un nouveau.

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